Se lancer dans l’UTMB. C’est se lancer dans la plus grande course d’Ultra Trail de montagne au monde. Quand je dis plus grande, ce n’est pas de la longueur ou de la difficulté dont je parle. Je parle de la dimension de l’événement en lui même. De l’attractivité mondiale, de la pression médiatique, de la densité du plateau, de l’ambiance qui flotte dans l’air de Chamonix durant les quelques jours et nuits que traverse l’événement. On ne peut être totalement insensible à cette magie. On ne peut débarquer sur la ligne de départ comme sur une ligne de départ. Même lorsque, avec arrogance, on prend cela pour un « entraînement ». Dans les faits, cela ne peut l’être. On fait partie de quelque chose qui nous dépasse. Et d’un point de vu sportif, on prend conscience qu’on va forcément faire face à un monument de la discipline. Qu’on va prendre la réalité de son niveau en pleine face. Plus de « Il n’y avait personne au départ ». Plus de « Ça devrait le faire ». Tout. Tout est remis en question sous cette arche. On vient avec son bagage. Avec ses acquis. Avec ces certitudes. Et dès qu’on rentre dans le SAS, on perd tout cela. On se retrouve nu. Une nudité de pudeur. Du dernier amateur, au premier élite. Une nudité de respect. Une nudité nécessaire. 

Il est 16h20. J’ai encore 10 minutes pour me présenter sous l’arche. Les rues sont déjà bondées. La circulation piétonne se fait de plus en plus difficile. « Pardon. Excusez-moi.. pardon.. pardon.. poussez-vous, excusez moi. Poussez-moi, excusez-vous ». Je n’avais plus ressenti cette sensation de foule immense depuis des mois. Cela remonte à une époque où COVID et 19 n’était qu’un mot inconnu et un chiffre insignifiant. C’est agréable cette foule. Je suis totalement équipé. Le public regarde le trailer. Certains me reconnaissent. Me font un signe. Me demande un selfie. D’autres m’encouragent. D’autres, regardent simplement le dossard « 114. C’est un élite regarde ». 

Je me faufile jusqu’au pied de la banque de Savoie. J’y rejoins ma chérie. Je suis fier. Elle est dans le public, et va assister à son premier départ de l’UTMB. Elle va pouvoir toucher de près cette ambiance qui me fait revenir chaque année. Nous nous embrassons. Plusieurs fois. Ces baisers sont de ceux qui disent « J’y vais mon amour » – « Je te promets de faire attention » – « Donne moi la force d’y arriver » – « Je suis heureux que tu sois là » – « On se revoit dans quelques heures sur le parcours ».

Dernier baisé échangé. Il est temps. Je me dirige vers un accès qu’il faut se créer en traversant un ou deux rangés de foule. Ma vessie me rappelle à l’ordre. Je regarde ma montre. 16h28. 2 minutes pour rejoindre l’arche. Aller, j’ai le temps. Je pars en courant de l’autre côté de la rivière. Je trouve des toilettes publics. Et je reviens en courant. C’est maintenant. Je transperce les 3 – 4 lignes d’observateurs pour atteindre le tracé de départ et remonter jusqu’à l’arche. Le bénévole vérifie mon dossard et me laisse passer. Il s’agit maintenant de remonter l’arrivée seul au centre, entouré d’un public totalement fou. J’applaudis autant que je suis applaudis. Quel petit kiff l’arrivée des élites. Ça change des 3h d’attente sur la place du triangle de l’amitié. J’échange quelques mots avec madame Poletti. Et je me positionne à ma place. Quelques mètres derrière les vrais élites. Je retrouve quelques têtes connues. Nous discutons jusqu’à la cérémonie de départ. Cela finit de faire fuir le stress qui m’a envahit toute la journée. Les officiels enchaînent les discours. Le discours de l’ami du trailer décédé sur la TDS entre en moi comme un message à deux orientations. La première : La montagne est dangereuse. La seconde : On n’a qu’une vie. J’entends totalement ce message. Il fait partie de mes valeurs. Il finit de me convaincre que je suis bien à ma place. 

3 min du départ. Alors que chacun regarde le funambule passer au dessus de notre tête. De mon côté, je scrute les fenêtres de la mairie de Chamonix. Je cherche l’unique. Le seul. Celui sans qui le départ de l’UTMB n’a pas le même goût pour moi. Je parle d’Edouard Balladur. Je passe et repasse chaque fenêtre. Je ne le vois pas. Il est forcément là. Cela me frustre. Jusqu’au 20 dernières secondes, je n’aurai de cesse de l’attendre. Il ne viendra pas. C’est un signe j’en suis sûr. 20 dernières secondes. La musique du départ est prenante. J’en connais les accords. J’en connais les couplets. Je sais très exactement à quelle note, il faudra s’élancer. Je fais le point. « Tu as la diagonale des fous dans 7 semaines. Ne fait pas le foufou. Gestion de course jusqu’à Courmayeur. Et puis à Champex, on voit ce qu’il reste et on avise. Certes, tu trouves que les gens exagèrent sur les réseaux sociaux. Certes, il y a cette grosse pression que sans le vouloir, ils t’ont donnée en te pronostiquant très à l’avant. Tu le sais bien. Ce n’est pas possible au fond. Mais si. Mais si tu avais un jour de très bien. Ça serait formidable de se montrer aujourd’hui. De montrer de quoi tu es capable. Allez gamin. Oubli que tu es là pour l’entraînement. Et saisie ta chance. Fait du mieux que tu peux ». 3 – 2 – 1. Yuuuuuu Tiiiii èmmmme Biiiiiiiiii 2021. C’est parti. 

 CHAMONIX / Km : 0 / D+ : 0 / Class : 0

Vous ne serez pas étonné si je vous dis que le départ est un moment unique. La foule. Le bruit. Les encouragements. C’est tout simplement un moment d’exception. A vivre une fois dans sa vie. Bon. Personnellement, je l’ai déjà vécu une fois. Donc ce vendredi, j’ai plus envie de fuir Chamonix qu’autre chose. J’ai déjà envie d’être dans la nuit. Dans les grands espaces. D’être seul. Il faut donc faire passer ce moment le plus vite possible, sans se cramer. Je vois les 4h qui viennent, et qui me séparent de la nuit comme un espace temps tampon. Un moment à attendre que la course commence. Comme une préchauffe. Il faut avancer certes. Mais ça ne sert à rien de se cramer. 

Dans les rues de Chamonix, je tente de faire les bordures. Ma stratégie est de rattraper Courtney Dauwalter et de rester le plus longtemps avec elle. Enfin, sur ses temps de 2019. Je mets quelques grosses accélérations. Et j’arrive en me faufilant à la rejoindre. La montre bip les premiers km. 3min53. 3min59… voilà.. comme à chaque fois, l’UTMB s’est quand même un sacré délire. Partir à 16-17 km/h pour un 100 miles. Franchement. C’est n’importe quoi. Et puis en plus, je vois le groupe de tête avec les François, Xav, Jim, Tim.. et eux ils sont encore plus rapide. Quelle folie. 

Les kilomètres jusqu’au Houches se font bien. Je discute avec les quelques copains qui sont là. Coucou Jean-Marie. Coucou Mathieu. Je prends un peu d’avance sur Courtney. Tout va bien. Je ne surchauffe pas. Je laisse partir gentiment les foufous devant. Bref. Ça gère sa course. Un coureur qui me dépasse me demande « T’as pris ton duvet ? ». Il est vrai que j’ai un énorme sac. Pourtant, je n’ai fait que prendre le stricte minimum. Juste le matériel obligatoire. Pas plus. Pas moins. Quand je regarde autour de moi, les sacs que je vois sont beaucoup moins imposants. Pourtant, je sais bien que personne ne triche. Tout le monde flippe de se prendre des pénalités, ou une disqualification. Tout le monde a tout le matériel obligatoire. Et pourtant, mon sac est deux fois plus gros. Il va falloir que j’en parle un peu avec quelques super-élites. Ils doivent, je pense, utiliser des techniques de mise-sous-vide. Je ne vois que cela. Passons. Je suis habitué de toute manière. 

Arrivé aux Houches. Je prends deux gorgées d’eau au stand. Et je continue en compagnie de Courtney. Je lui fais la locomotive pour le début de la montée. J’ai la sensation de ne pas être à l’aise. Mais il est tôt dans la course. Ça va venir. Mes jambes ont généralement besoin de 20 – 30 bornes. Avant, c’est de la souffrance. Le temps que cela chauffe. Après quelques centaines mètres de dénivelé. Je commence à faiblir. La souffrance est légèrement trop grande. Je ne veux pas me mettre dans le rouge trop tôt. Je laisse filer Courtney en lui souhaitant bonne course. Je regarde ma montre. Je suis parfaitement dans ses temps de 2019. J’ai même un peu d’avance. Elle va clairement plus vite cette année. Sur la fin de la première montée, et sur la descente sur St Gervais, je me fais reprendre par le top 5 féminin. Coucou Mimi. Coucou Camille. Coucou Katie. C’est un réel plaisir de courir avec elles. 

J’ai le souvenir du moment de la bascule entre la montée et la descente. Un petit plateau, entouré de champs remplis de moutons et de patou. Ils ont l’air biens. Paisibles. La course ne les dérange pas plus que ça. Mais tout à coup. Alors que je suis avec Camille Bruyas. S’élève sur notre gauche un hélicoptère. Il se rapproche. De plus en plus près. En vol stationnaire. Le bruit est assourdissant. Les patous, voyant leurs moutons effrayés aboient de toutes leurs forces. Je ne les entends même pas. Quel est donc ce gros moustiques mécaniques qui ose déranger mes brebis doivent-ils se dire. Dégage connard. Le vent produit par l’hélicoptère soulève foin et poussière. Je dois fermer les yeux, et tenir ma casquette pour avancer. Alors, peut être que c’est super cool pour le suivi live. Mais sur place.. c’est clairement moins drôle. Quelques arbres plus loin. Au moins, là dedans. Il ne nous suivra plus. J’effectue la descente sur St Gervais sans pression. Sans m’impliquer à fond. Je ne veux pas fracasser mes cuisses de suite.

 

⛰ ST GERVAIS / Km : 22 / D+ : 926 / Class : 93 / Tps : 02h04

Aaaaaaah. St Gervais. Rien que pour ce passage, il faut absolument faire l’UTMB. Un vrai stade. Une vraie ambiance de stade à ciel ouvert. Vous êtes encore à quelques centaines de mètres au dessus, et pourtant vous sentez le frémissement d’une casserole pleine de supporters en ébullition. Entrée dans la ville : Nous devons effectuer un aller-retour pour aller chercher le ravitaillement. Les supporters sont bien présents. Certains me reconnaissent en m’encouragent de quelques « Allez Casquette Verte ! ». Je me sors un peu de la course pour en profiter. Je vais taper quelques mains d’enfants à ma gauche, puis à ma droite. J’entre dans le ravitaillement en courant. Les bénévoles se projettent sur nous pour nous donner de l’eau. Ils sont incroyablement efficaces. Je l’avais déjà remarqué la dernière fois. Mais cette fois-ci on était proche du Pit-stop en F1. Tu tends tes flasques. Ils ont deux bouteilles d’eau à la main. Arrivent à gérer le double-remplissage simultané. Et j’ai même eu le droit à une accélération du remplissage par un écrasage de la bouteille pour accélérer le flux d’eau. On est proche du geste technique. Et en même temps, ces mêmes bénévoles arrivent à t’encourager, et à te donner un classement approximatif. Franchement. C’est tout simplement le top du top du top des bénévoles de début de course. Je tenais à le dire. 

Je quitte le ravitaillement. En courant toujours. Sans forcer. Mais à bon rythme. Je sue beaucoup. La descente en « basse » altitude, et le petit arrêt au ravitaillement m’a fait monter en chaleur. Je profite encore des supporters sur le bord de la route. C’est très agréable. Il fait encore bien jour. Le prochain ravitaillement des Contamines est dans 10 km. Le terrain est une sorte d’enchaînement de plat et de faux plat. Il fait encore assez jour. Je décide de ne pas mettre ma Petzl de suite. 

Peu de souvenir de ces 10 km. J’ai simplement le souvenir de discuter un peu avec les premières féminines et de brancher mon MP3 à pile par la suite. Je sens la nuit arriver, et je sais qu’elle va être longue. J’attends encore un peu avant d’être plus impliqué dans ma façon de courir. 

Les contamines approchent. Je vais croiser Matthieu (Salomon) qui m’assiste à ce ravito. Vais-je trouver cette assistance utile ? Agréable ? Ou est-ce que devoir se gérer soit même, et gérer la conversation avec Matthieu va-t-il être un soucis de plus à gérer ? Je me pose la question. 

⛰ CONTAMINES / Km : 32 / D+ : 1500 / Class : 73 / Tps : 03h10

Légère montée avant le ravitaillement. Je cours à fond dedans. Je respirerai à l’intérieur. J’arrive au niveau de l’entrée de la tente. Je suis bien transpirant et essoufflé. On me fait signe de mettre mon masque. Je ne sais plus où je l’ai mis. Poches arrières ? Grande poche avant gauche ? Grande poche avant droite ?.. je ne le trouve pas. Ça me soule. Perdre du temps par ce que je ne suis pas organisé. C’est juste frustrant. Aaaah. Il est là. Dans la poche ventrale de mon short. Improbable. Je le sors de son sac de congélation. Je tente de le mettre. Mais je galère. Entre les gantelets des bâtons, les écouteurs du MP3. Je me perds. Je m’embrouille. Ayé. Oreille gauche. Oreille droite. Il tient. J’avance d’un pas. On me tend du gel hydroalcoolique. Et par réflexe je tend les mains. A ce moment précis. Mon masque décide de se faire la malle. Je le rattrape par réflexe avec mes mains.. zpouiiiiique zpouiiiiiique (oui ça fait ce bruit là). Le bénévole me met du gel.. petit soucis.. il le met à l’intérieur du masque.. ça va être très agréable ça.. passons. 

Je repère Matthieu. Je file vers lui. Il y a beaucoup de coureurs et de personnes qui font l’assistance sous la tente. Cela parle dans toutes les langues. C’est fabuleux. J’enlève mon sac. Matthieu a installé sur un banc, les gels que je veux prendre. Il les enfourne dans mon sac. Il n’a pas la même méthode que moi. Personnelement, j’utilise les 2 poches zippées à l’arrière de mon sac. Celles qui obligent à une contorsion totale pour pouvoir les atteindre. Et je fais un dispatch de tous les types de gels un peu de chaque côté. Sans organisation particulière. Matthieu est plus organisé. Gel GU d’un coup. Gel coup de fouet de l’autre. Sur le moment, cela me change de mes habitudes.. mais bon c’est pas grand chose. Au final, je trouverais cette nouvelle organisation plus pratique pour gérer ma consommation et surtout les recharges à effectuer. 

Pendant ce temps de mon côté, en prévision de la nuit qui ne va pas tarder à tomber : je sors ma Petzl et je me l’installe sur la tête. Je sors aussi un t-shirt un peu épais manche longue. Je sais que pour l’instant il fait encore très bon.. mais avec la montée de la Croix du bonhomme, le col de la Seigne et l’arrête du Mont Favre à plus de 2500 m d’altitude. Cela va bien se rafraîchir dans la nuit. En plus, l’activation du pack grand froid est un signal supplémentaire. Ça sera toujours plus pratique de perdre 2 minutes maintenant à me changer au ravitaillement dans le confort, que de perdre 5 minutes à me changer à l’arrache dans une montée totalement exposée au vent. Je vois d’ailleurs qu’autour de moi, nombreux sont les coureurs à opter pour cette stratégie. Fini la rigolade. Une gorgée d’ice tea. Et c’est reparti. Je file.

En sortant du ravitaillement, je me rends compte que le matériel n’a pas été contrôlé cette année. Je suis étonné. Je ne comprends pas. J’oublie rapidement ce fait, car je commence à faire le point sur cette première assistance que j’ai reçu en course depuis que j’ai commencé à courir. J’ai la sensation que c’était agréable. Aussi bien matériellement que psychologiquement parlant. Mais je pense avoir passé 7 à 8 fois plus de temps que d’habitude. D’habitude.. c’est 20 – 30 secondes par ravitaillement. Je recharge en flotte et let’s go. Je suis donc un peu frustré par tout ce temps perdu. Cela me fait un peu sortir du suivi de mon état physique. Et tant mieux. Mais cela me fait aussi rapidement dire, qu’il faut que je rattrape ce retard si je veux rester sur mon plan de course qui suit les temps de passage de Courtney en 2019. Pour l’instant. Je vérifie. 03h10min à l’entrée du ravitaillement. Courtney était en 03h11min. Incroyable. Je tiens le rythme sans trop y penser. Continuons. 

C’est assez roulant sur quelques km avant de monter à La Balme puis à la Croix du Bonhomme. J’envoie moins sur le plat qu’il y a quelques années. Enfin, c’est l’impression que j’ai. Est-ce par ce que je ne me rends plus compte de la difficulté à plat ? Ou est-ce car j’anticipe naturellement, sans m’en rendre compte, que je vais prendre un bon petit +1500 tout de suite ? Je n’ai pas la réponse. 

Fin du roulant. Nous approchons d’un lieu que je trouve mythique sur l’UTMB. Ce genre d’endroit pour lequel je reviendrai chaque année. Ce genre d’endroit qui t’étonne la première fois. Mais qui continue à tout autant te surprendre les fois suivantes. Ce type d’endroit que tu aimerais partager à tes amis. Simplement pour leur dire.. il faut absolument que tu vois ça. Que tu vives cela. Et cet endroit c’est NOTRE DAME DE LA GORGE. 

Alors.. comment décrire cela. Déjà. Ça commence avant de commencer. Avant de le vivre.. avant de le parcourir. Cet endroit vous l’entendez. De loin. De très loin. Le bruit des cris. Des cloches. Qui oscille entre un bruit de fond et des notes hautes au rythme des coureurs qui te précèdent. Plus tu approches et plus cette oscillation est forte. Tu sens que tu vas arriver dans un truc de dingue. Le bruit te le fait sentir. Un peu comme quand tu es à une remise de diplôme.. que les gens sont appelés par ordre alphabétique. Et que tu sais très exactement quand cela va être ton tour. Et ce que tu vas recevoir comme énergie.. comme cris.. comme encouragement.. comme ferveur. Je suis avec un autre coureur à ce moment là (L’ami Samir si je ne me trompe pas). Je le sais, il va y avoir un petit virage à gauche, et on va avoir une grimpette sur des rochers assez plats avec un bon %. Ce ne sera ni trop court, ni trop long. (De toute façon, je suis bien incapable de vous dire combien de centaines de mètres cela fait.. je suis à chaque fois trop pris par l’ambiance pour m’en rendre compte). Et surtout.. il va y avoir des centaines de personnes complètement exaltées qui vont nous crier dessus. Un petit Alpes-Huez. Un dernier moment d’exaltation avant le calme infini de la nuit. Ça va être génial. 

Nous nous lançons tous les deux dans ce passage. Et c’est un bordel de dingue. J’avais presque oublié à quel point la ferveur était immense à cet endroit. Cela me fait énormément rire sur le moment. Mais surtout cela me donne une force incroyable. Je serai incapable de faire ce passage à 70 % de mes capacités. C’est du 100% forcément. Voir plus. Un 100% pour remercier ceux qui nous font vivre un moment incroyable. Un 100% pour profiter à fond du moment. Un 100% par ce que bien qu’idiot stratégiquement en plein milieu d’un Ultra, ce type d’envolée donne l’âme d’une course. 

Après à peine quelques mètres, je double. Et redouble. Je survole le passage. Tous les signaux sont dans le rouge. J’alterne marche très rapide et course. Bien sûr que cela grimpe assez fort. Bien sûr que c’est dur. Mais les encouragements, les cris, le bruit des cloches, les flashs de portables sont partout et si puissants qu’être dans le rouge n’est pas un soucis. 

Ce passage se termine. Il s’agit maintenant d’attaquer la montée sur le col de La Croix du Bonhomme un peu au dessus de 2500 m d’altitude. La nuit est bien présente maintenant. Mon effort dans Notre Dame de la Gorge se fait un peu sentir. Je sue. Je tente de revenir dans ma gestion de course. Je ralentis un peu. Mes t-shirts sont un peu trempés suite à l’effort. J’aimerai sécher avant de grimper le col. Je pense qu’il doit y faire frais. Et j’aimerais éviter le petit coup de froid de la nuit qui pourrait être fatale pour mon organisme au petit matin. 

La montée se passe bien. Je reprends quelques coureurs. D’autres me reprennent aussi. Je suis dans un mood de progression efficace. Pas forcément ultra rapide. Mais efficace. Rendre son pas parfaitement régulier. Dépenser le minimum d’énergie. Et progresser le plus linéairement possible. En approchant du sommet, bien qu’on ai pu voir les étoiles tout le long, c’est le brouillard que l’on doit transpercer maintenant. Celui-ci change l’ambiance. L’atmosphère. Le faisceau de la Petzl n’éclaire plus bien loin. Il faut anticiper au maximum les prochaines balises, que l’on cherche à grands coups de tête à droite et à gauche en direction du sommet. Je suis seul depuis un bon moment. Et je le reste. Difficile de trouver quelqu’un à suivre / à accompagner qui est dans mon rythme. Soit ça va trop vite. Soit ça n’avance pas assez. Cette solitude ne me dérange pas. 

Arrivée au sommet. Redescente sur les Chapieux. Mes souvenirs sont simples : J’en ai aucun. C’est le trou noir. Avec le recul, j’ai remarqué que ces trous noirs n’arrivent pas le plus souvent sur des portions de course où je suis en difficulté, mais sur lesquelles j’avance plutôt bien. Donc je suppose qu’il s’agissait d’une descente pas trop roulantes, mais pas non plus terriblement technique. Dans laquelle, j’ai dû débrancher le cerveau, et la mémoire vive. 

⛰ CHAPIEUX / Km : 51 / D+ : 2859 / Class : 72 / Tps : 05h56

Comme dans la descente, je ne garde aucun souvenir de ce ravitaillement. Tout ce que je me rappelle, c’est que je regarde ma montre.. Il est presque 23h. Je cours depuis 6 heures. Et la nuit va encore durer un long moment. Je ne dois pas m’enflammer. Je ne me renseigne pas sur le classement. On fera un point à Courmayeur plutôt. Je vérifie tout de même si je respecte à peu près les temps de passages de Courtney de 2019. Je regarde : 06h00. Je suis à 05h56. J’ai 4 minutes d’avance. C’est incroyable. Je continue, rassuré sur mon tempo. 

C’est reparti pour une montée à nouveau au dessus de 2500 mètres. D’abord avec le Col de la Seigne. Ensuite avec celui des Pyramides Calcaires. J’ai à nouveau très peu de souvenir. Les seules bribes qui me reviennent sont des souvenirs d’ambiance visuelle. D’abord dans le col de la Seigne. Ou je prends parfois, au gré d’un pat assuré, le temps de me retourner pour regarder derrière moi. La lune qui commence à flamboyer éclaire légèrement les reliefs. Ce n’est pas un noir total. On fait plus que d’imaginer les formes des montagnes. On les discerne. Elles sont là, dessinées d’un léger coup de crayon. Et dans celles-ci, sortent des dizaines de points lumineux. Parfois solitaires, parfois regroupés par petites grappes. Ces points lumineux forment une chenille sur le chemin que j’ai pris quelques dizaines minutes auparavant. Je pense réussir à voir jusqu’à 50 minutes en arrière. J’ai cette sensation de voyager dans le temps. Je me revois à l’endroit de ces points lumineux. Je les vois aussi avancer lentement dans mon sens. Comme si mon passé me rattrapait. Je me sens vivant. C’est extraordinaire. Je garde en mémoire ce type de moment. Mais je n’ai plus aucun souvenir de ma condition physique, de si j’avais enfiler ma veste ou non. De s’il faisait froid ou chaud. Une chose est sûr, j’ai bien passé ce col de la Seigne. Mais cela restera à jamais un souvenir oublié qu’on ne peut qu’imaginer. 

On enchaine avec les pyramides calcaires. Je me souviens qu’en 2019, j’avais beaucoup apprécié ce passage. Assez technique. Mais très dépaysant du reste du parcours. Je me souviens d’avoir apprécier cet endroit. Mais je n’ai aucun souvenir de l’endroit en lui même. Et quel dommage, car ce que j’ai découvert cette année est tout simplement magique pour les yeux. La lune qui commençait à flamboyer dans le col précédent, brille d’un phare bleu. On fait plus que de pouvoir simplement deviner les formes et rondeurs de ces pyramides. On les voit. Dans une pénombre bleu. C’est magistral. La lumière est celle d’un reflet. Ce type de lumière qu’on ne peut obtenir qu’avec un support qui ferait rebondir une source lointaine. Le ciel est dégagée. Mais l’intensité lumineuse de la lune cache toutes les étoiles. Il n’y a que la lune. Fixée la haut à droite. Et ces immenses parois pyramidales qui se dressent sur la gauche. Le chemin sur lequel on évolue, n’est pas de ceux que j’arrive à courir. C’est plutôt, de ceux que je crapahute. Lentement. En m’appuyant par moment à des rochers qui m’arrivent à la taille, ou me dépassent. Je suis encore seul. Personne devant à plusieurs minutes, et personne derrière à de nombreux coups de bâtons. J’ai la sensation d’être dans une boule à neige. Sous un bloc de verre en plexyglass. Et qu’on aurait laissé cette boule sur un étalage d’une boutique de souvenir fermée, dans laquelle une lumière de veilleuse bleu crée quelques ombres à mon passage. C’est hors du temps comme moment. Et j’en profite. 

Fin de la rêverie. Je passe le col des Pyramides Calcaires sans trop de difficulté. Je me sens en pleine forme. Cela doit faire 8h que je cours. Mais je respecte parfaitement ma stratégie de course. Aucune fatigue. La course. Ma course, n’a pas commencé. Je finis la descente en direction du Lac Combal.  

⛰ LAC COMBAL / Km : 68 / D+ : 4170 / Class : 68 / Tps : 08h46

Lac Combal, me voilà. J’ai repris quelques coureurs juste avant d’atteindre le ravitaillement. Je vais me dépêcher. 

En arrivant dans celui-ci, j’ai le souvenir d’un accueil chaleureux. Et plus particulièrement d’un photographe (Yann Gobert) qui m’a reconnu et me demande si « J’ai gardé mon orteil non-fracturé cette année ? ». Nous rigolons. Je pioche quelques tranches de dinde et quelques rondelles de saucissons. Je remplis rapidement mon eau. Et je file. Je ne veux pas perdre de temps. 

CopyRight : Yann Gobert

En quittant le ravitaillement, je profite des quelques km de plat pour renvoyer un peu de vitesse, tout en avalant le ravitaillement. J’ai oublié que je suis en train de courir. Je me sens bien. Ça avance presque tout seul. Je profite de la vue sur le lac qui reflète la lumière, cette fois-ci orangée de la lune. Je contemple cette surface que le vent soulève légèrement. J’ai le souvenir de ce lac sur l’UT4M, celui que j’avais confondu avec une surface bitumée. Ici, l’erreur ne peut se faire. Les petites vagues rappellent qu’à moins d’un miracle, je ne pourrais marcher dessus. Et cela me rappelle aussi à mon envie d’un jour pratiqué la voile, d’envahir un autre monde, celui-ci, qui m’est alors inconnu : celui de l’immensité de la mer et des océans. 

Trèves de lunatisme. Je suis en train de courir l’UTMB. C’est pas le moment de faire des plans sur la comète, ou de s’évader trop loin. Mais d’un autre côté, c’est un signe que je me sens bien. Je n’ai pas besoin de rester trop concentré sur mon effort, sur mes sensations. Tout est parfait. Je profite. Je dois tellement profiter que j’oublie complètement l’heure qui suit. Le passage à l’arrête du Mont Favre, et à Checrouet (pas sûr de l’orthographe là…). 

Mon esprit revient avec l’apparition des lumières de Courmayeur. Ça y est, j’y arrive. Ma course va enfin pouvoir commencer. Je me hâte de rejoindre la ville qui est encore loin en contre-bas. J’adore cette sensation. De voir la destination encore lointaine, la nuit, depuis une descente qui pourrait paraître interminable. C’est loin. C’est sur. Mais en ultra, tout est loin. Il n’y a qu’avec un peu de temps devant soi, qu’on peut s’en approcher. Pas de raccourci temporel ou distanciel possible. Il faut continuer à aller de fanions en fanions, de rubalises en rubalises, pour qu’à force d’accumulation on atteigne l’étape tant attendue. 

J’ai un bon souvenir de cet endroit. Je suis dans une station de ski. Éclairée par endroit la nuit. Pourquoi pas. Je ne sais pas si elle l’est toujours, ou bien si c’est l’office du tourisme local qui souhaite qu’on se rende bien compte des infrastructures en présence. 

Descendre des pistes de ski, est très loin d’être une passion. C’est un moment à passer. J’ai appris à ne plus râler, à ne plus grogner dans ces passages. Je n’aime pas ça. Ok. C’est douloureux physiquement pour moi. Mais je le prends avec le sourire. Presque comme un exercice. Et puis je suis encore seul. Comme 95% du bout de nuit qui vient de s’écouler. Seul, dans une station de ski vide. Eclairée de nuit. J’ai la sensation de faire un trip urbex. Étonnant. Mais pas assez pour me faire oublier que je veux rejoindre rapidement Courmayeur. 

Fin de la partie piste de ski, remontées mécaniques. La descente devient plus technique et plus sèche. Depuis que nous sommes passés sur ce flan du massif du Mont Blanc, j’ai remarqué que le terrain est très poussiéreux. Aucune accusation envers les italiens de ne pas nettoyer leurs montagnes hein. Il s’agit, d’une poussière légère, qui se soulève au passage de chaque coureur. Lorsque j’enlève la sueur sur mon visage, et que je jette un coup d’œil à ma main, je vois une épaisse crasse noir. Je commence à la ressentir dans ma respiration. Je sens bien que ma bouche, mes narines, ma trachée sont en train de se recouvrir d’une épaisse couche de particules. Ce n’est pas agréable, mais cela ne me dérange pas pour respirer pour le moment. Cette poussière est encore plus épaisse dans le single de descente en S avec des bonnes hauteurs de marches à descendre. 

Cette poussière amortie un peu les appuis. Ils sont fuyants. Mais, mes GLIDES tiennent bien dessus. Cette descente un peu plus technique est encore l’occasion pour moi de me faire rattraper par les coureurs que j’avais doubler précédemment dans le plat et les montées. Je fais le ratio dans ma tête. Je pense avoir été moins doublé que je n’ai pu le faire. Cela me ravit. Je finis la descente. Maintenant on file à la base vie de Courmayeur. 

⛰ COURMAYEUR / Km : 82 / D+ : 4671 / Class : 58 / Tps : 10h52

J’arrive aux abords du Gymnase de Courmayeur. J’ai mis un petit coup de collier depuis que j’ai quitté la descente pour rejoindre rapidement le ravitaillement. Petit détour autour de la salle pour rentrer à l’intérieur. Je suis content. J’ai entendu au loin des encouragements. Dont une voix qui me fait bien plus plaisir que les autres. Une voix que je n’entends jamais durant mes ultras. Celle de ma copine. Je remonte sur le pont. Je fais une petite blague, je l’embrasse et je finis par rentrer dans la base vie en courant. Coup d’œil dans la salle. Tout est calme. Un silence pesant. Il y a pourtant pas mal de coureurs et d’assistances. Je repère Matthieu au milieu qui me fait signe. 

Il prend de mes nouvelles. Je le rassure en lui disant que je me sens en super forme. Il est 04h du matin. Mais je suis totalement déconnecté du temps réel. Je m’assoie. J’enlève mon sac et le pose sur la table. Matthieu s’empresse de le remplir de mes gels. Toujours avec sa méthode particulière. Pendant ce temps, je bois quelques gorgées de café. C’est la première fois depuis le début de la course que je le fais. D’ailleurs, c’est la première fois que j’en bois depuis 2 semaines. Cela devrait me donner un coup de fouet bien caféiné. Je grignote un peu. J’ai décidé de changer de chaussures et de chaussettes. J’avais anticipé un besoin de confort et d’amorti pour finir la course. J’enlève mes Slab Ultra 3.. et hop.. ça enfile mes GLIDE. Elles sont neuves. Mais ayant beaucoup couru avec une autre paire de GLIDE ces derniers temps, cela ne me rend pas anxieux. 

CopyRight : Yann Gobert
CopyRight : Yann Gobert

Nous discutons avec Matthieu. Je lui dis que j’ai l’impression d’être un peu en retard, mais que j’ai aussi la sensation d’être très bien. Ceci expliquant aussi peut être cela. Je lui dis que je vais tenter d’accélérer jusqu’à Champex. De son côté, il me dit de prendre mon temps. Il me fait un point sur l’avant course. Sur les autres coureurs qui sont avec moi. Avoir tous ces éléments en tête est très plaisant. Mais c’est chronophage de récupérer toutes ces informations. Je me rappelle que Matthieu insiste aussi lourdement sur le fait que les autres font des ravitos solides. Des vrais. Pas seulement quelques cacahuètes et du saucisson comme moi. « Les autres prennent du riz.. les autres prennent des pâtes.. ».. je l’écoute. Mais dans ma tête j’ai le couplet de Céline Dion qui résonne : « On me dit qu’aujourd’hui.. on me dit que les autres font ainsi ! Je ne suis pas les autres, naaaaah oh non ahhhh ». Le mode têtu doit être activé je pense. Je finis de remettre mon sac. Je me lève. Je fais une bonne blague. Les autres coureurs sont restés drôlement silencieux par rapport à ce que j’ai pu faire pendant mon passage. Définitivement : Je ne suis pas les autres, naaaaaah oh non ahhhh.. 

CopyRight : Yann Gobert

J’ai pris une bonne poignée de saucisson et de fromage avant de partir. Je me mets à recourir dans la salle. Je file dans les escaliers, je traverse la porte et hop. C’est reparti. Un petit bisou à Raphaëlle. Je lui promets de faire attention, et je lui dis « À tout à l’heure ». Juste après, en quittant le gymnase en direction du centre ville de Courmayeur, Jeremie m’accompagne en filmant. Je ne sais pas pourquoi il fait cela. C’est moche ici. Et puis moi j’ai envie de parler. Je commence à lui demander son avis sur l’arrivée potentielle de Mbappé au Real. La conversation tourne court. Il veut moins parler que moi je pense. Aller. Merci Jeremie, et à tout à l’heure aussi. 

Je tente de garder un rythme dans le centre ville. Tout cela, en mangeant mes saucissons et mon fromage. J’essaie de bien mâcher. De brouiller ces aliments. Je veux éviter d’avoir quelques gros morceaux dans le ventre avant d’attaquer la montée sur le refuge Bertone. Courmayeur est totalement vide. Bon. Ok. C’est vraiment l’heure creuse là. 04h du matin. Dans une ville de la vallée d’Aoste. UTMB ou pas. On reste sur quelque chose d’assez calme et silencieux. Ce petit passage en ville me fait rire. On traverse un départ de télésiège en pleine ville habillé d’un tapis rouge. Des ruelles. Et aussi une petite galerie marchande. Qu’est ce que c’est que ce délire sérieusement. Bon. Au milieu de la galerie, j’ai failli vomir. Je pense avoir beaucoup trop mangé d’un coup. Je subis un peu. 

Je me reprends. J’avais fixé ma stratégie, si j’arrivais en forme à Courmayeur. Alors, derrière, j’allais accélérer et attaquer une tentative de remontada. J’ai déjà repris une quinzaine de coureurs entre les abords de la base vie, et mon ravito plus rapide que beaucoup. Je m’en suis bien rendu compte. Et ça me positionne dans une good vibe. Let’s go mon petit. C’est ton moment. On n’attend pas Champex. On y va. Et maintenant. 

Je finis l’approche de la montée sur Bertone assez rapidement. Je le sais, la montée est costaud. Mais j’en garde un super souvenir de 2019. Je ne sais pas pourquoi. Je me trainais ma fracture de l’orteil depuis un moment pourtant. Passons. J’attaque la montée. Ça bâtonne dur. Moi qui ne court jamais avec mes Leki. Je me trouve plutôt à l’aise et efficient avec. Rapidement, je repère une lumière quelques virages au dessus. Je pars en chasse. Je cours dans des bons %. Je suis en mode déterminé. Je fais très peu d’erreur d’appuis. Mes foulées sont longues, régulières et tout le temps dans la relance. Je rejoins rapidement la Petzl que me devançait. En la dépassant, je reconnais une coureuse américaine que j’avais croisé plus tôt. Elle ne cale pas vraiment. Mais je vais beaucoup plus vite. Je lui demande si ça va ? – I’m Ok – Je lui demande si elle a besoin de quelque chose ? – Nothing. Thank U. – Top. Je continue moi. Bonne course. À plus tard. Et je m’en vais. Quelques dizaines de secondes plus tard, me voilà déjà loin. Je prends rapidement un ou deux virages d’avance. Et je vois à nouveau de nouvelle proie sur lesquelles fondre. Et j’attaque encore. Quel bonheur ce genre de moment. 

Je double de nombreux coureurs et coureuses dans cette montée. Mais à un moment, alors que je chasse cette nouvelle Petzl qui me devance. Je me rends compte que je connais le coureur que je vais avaler. C’est le mec en vert. Je ne vous en ai pas déjà parlé je crois. Mais, quelques temps plus tôt dans la course. Vers le km 55. Je me suis pris une belle taule. Je suis bien tombé au milieu d’un sentier. Comme un poids mort. J’avais alors poussé un bon cri de douleur. Et j’étais un peu resté au sol. Et bien ce coureur, qui était quelques mètres derrière moi, m’est passé devant. A quelques centimètres, et à dû me confondre avec un rocher (portant un sac, un Petzl, un short, des baskets et une casquette verte) car il n’a rien dit. Il est juste passé. Sans me demander si j’allais bien. Sans s’arrêter une seule seconde. Sans même me regarder. En se disant certainement qu’il gagnait une place. C’est rare ce genre de gros cons sur les ultras. Mais lui, il fait parti de la confrérie des gros cons. C’est certain. Sur le moment, j’avais trop mal pour le rattraper et le remercier comme il le faut de l’assistance solidaire qu’il m’avait porté. Et puis je l’avais oublié par la suite les kilomètres avançant. 

Mais là, là.. mon coco. Je te reconnais. Et puis je suis dans ma montée de Bertone. Dans celle que je suis en train d’avaler. Et tu es cette fois-ci sur mon chemin. Sur le rail de la locomotive verte. J’hésite un temps à lui faire une réflexion. Je décide de m’abstenir. Je vais être encore plus cruel. Il ne m’a pas encore repéré. Il avance bien. Mais je suis clairement beaucoup plus rapide à ce moment là. Je me décide de me rapprocher d’un coup. Comme une voiture qui arrive sur la file de gauche de l’autoroute en faisant des appels de phares. Et puis, je vais rester derrière lui. Juste pour qu’il se sente dans l’obligation d’accélérer. Un petit moment. Quelques minutes. Deux ou trois. Juste le temps de se mettre dans le rouge. Et quand je commencerai à voir un signal de faiblesse. Cligno à gauche. Une petite tape sur l’épaule. Et tchao. 

C’est exactement ce que j’ai envie de faire. Et c’est exactement ce que j’ai fait. Une vengeance. Pas très sympathique je vous l’avoue. Mais tellement méritée. Ça t’apprendra Bonhomme à ne pas assister quelqu’un qui se vautre devant toi. Monsieur en vert. Je ne vous salue pas. A jamais. 

Fin de la montée sur Bertone. J’ai dû reprendre une dizaine de coureurs dans celle-ci. A peine une heure pour faire Courmayeur – Bertone. Je suis content. Les sensations sont fantastiques. J’entame ma stratégie de remontada avec panache. C’est si plaisant. Je me calme un peu. Je sais que les moments de grands mieux.. ne peuvent qu’annoncer des moments de grands moins bien si on n’y prête pas attention. 

Avec le recul. C’est quelques kilomètres ont été les plus plaisants de toutes ma course. Pas par ce que j’ai repris pleins de coureurs à la loyale. Pas par ce que j’allais super vite. Mais plutôt par ce que j’avais l’impression de maîtriser mon sport. Enfin, je dis mon sport. Mais dans les moments comme cela, je n’appelle plus cela un sport. Mais un art. Je ne dis pas cela avec un melon aussi grand que le Mont Blanc. Je dis cela dans le sens, que j’ai atteint à ce moment là une sensation de maîtrise totale. Un beau geste. Une foulée pleine de panache. Un travail des bâtons plein de grâce. Une gestion de l’effort rectiligne, sans bavure. Vous voyez. Je considère souvent le trail comme un art. Et pas comme un sport. Je prends régulièrement l’exemple de la danse pour expliquer cela. Pour moi, un danseur est un artiste avant d’être un sportif. Pourtant, nous serons tous d’accord pour dire que la danse est un sport. Et bien, je ne sais pourquoi, mais l’ultra trail est considéré comme un sport, avant d’être considéré comme un art. Et plus ça va, plus j’ai cette sensation. Que je ne suis pas un sportif, mais un artiste. Comme le peintre qui dépose ses couleurs. Comme Zidane qui fait sa roulette. Comme un architecte qui finit une façade. Comme un golfeur qui fait du petit jeu. Je le ressens comme ça. Et c’est vers quoi je pense aller dans les années à venir.  Oublier l’aspect sport. Et mettre de l’élégance, de la maîtrise et l’excellence dans ma pratique… artistique donc. 

⛰ BERTONE / Km : 86 / D+ : 5476 / Class : 50 / Tps : 11h57

Trèves de coups de pinceau. Fini les aquarelles. On revient dans la course. Me voici donc à Bertone. Je prends le temps de m’assoir quelques minutes. J’ai envie d’un café. Et j’adore ce ravitaillement. C’est mon petit café du matin en terrasse, avant que le jour ne se lève. Quel bonheur. Je me sens vivant. Et puis on attaque une partie que j’adore. Le tronçon jusqu’à Arnourvaz. 

Je suis bien assis là. Sur mon petit banc de bois vermoulu. Café bouillant dans la flasque. Buvant une gorgée après l’autre. En écoutant les conversations intimes des bénévoles en présence. J’adore ce genre de petit moment aussi. A vrai dire, je suis baudelairien dans mon expérience d’ultra-trailer. Ce que j’aime c’est cet instant authentique. Qui permet de sublimer la banalité de ce type d’ultra. Une pause au milieu de nul part devient l’occasion d’un voyage intérieur. D’une évasion. 

Je repars du ravitaillement. Il fait assez froid. Je rejoins rapidement les sentiers en balcons. Je double encore quelques coureurs. J’avance vite et bien. Alors que je vois dans la démarche des autres coureurs que la fin de la nuit leur est difficile. Ça commence à caler. Je ne me réjouis pas de leur défiance. Je me réjouis simplement de ma bonne gestion du début de course qui m’a permis d’arriver ici en plutôt bonne forme pour quelqu’un qui a déjà couru 12 – 13h. Je prends un peu le temps de contempler les montagnes immense qui se dresse de l’autre côté de cette petite vallée. 

Au loin, devant moi, se dresse le grand col ferret. Je sais qu’il s’agit souvent du juge de paix sur l’UTMB. Mais une chose à la fois. Il faut d’abord progresser le plus rapidement possible jusqu’à Arnouvaz. Je cherche pendant une grosse dizaine de minutes la blancheur de la tente de ravitaillement au fond du valon.  Cela me parait bien loin encore. Le jour commence a estompé les brillances des lumières et halos artificielles dans la nuit. Nous sommes à ce moment de gestion de la course où je me sais être défaillant. Le passage de la nuit au jour. Un réveil pour beaucoup. Un temps long généralement pour moi. Virage à gauche. Ça y est. On va descendre sur Arnouvaz. Je me déconcentre un peu dans celle-ci. Je manque à plusieurs reprises de tomber. Je me re-concentre. Un petit coup d’œil en arrière sur les balcons que j’ai parcouru quelques minutes précédemment me rassure. Les coureurs que j’ai dépassé sont déjà loin. Il va falloir commencer à penser au classement. Je ferai plutôt le point après La Fouly. L’ami Ferret ayant certainement, un peu plus stabiliser les écarts. 

⛰ ARNOUVAZ / Km : 99 / D+ : 5874 / Class : 43 / Tps : 13h44

J’entre dans le ravito en courant. Celui-ci est presque vide. Un coureur asiatique entrain de prendre de la soupe. Un autre assis sur une chaise en plastique. Torse nu. Semblant être au bord de l’abandon. Je dis à un bénévole qui semble totalement absent de l’endroit et du moment « C’est la fête normalement sur ce ravito. Qu’est ce qui se passe ? ». « Bah. Les premiers sont déjà passés depuis longtemps. Et là, nous avons quelques heures avant que le gros des troupes arrive. Alors on se repose un peu ». Je comprends. C’est dommage. Mais je comprends. Je vide mes poches des gels usagés dans une poubelle. Je remplis mes flasques. Je pioche une poignée géante de fromage et une de saucisson. Et je file. En marchant cette fois. 

Le coureur asiatique m’emboîte le pas. Je suis plutôt content, car si on peut faire l’ascension du Grand Col Ferret à deux, c’est toujours ça de gagner. Je n’ai pas vu de coureurs partir du ravitaillement au moment de mon arrivée. C’est donc loin devant. Je pense ne rattraper personne. 

La montée commence. J’y finis mes quelques denrées. Je suis en mode marche rapide sans bâtons. Et déjà, l’autre coureur ne suit plus. Je l’encourage à distance. « Come on. We do it both ». Il me répond d’un geste de la main, qui se traduit facilement en un « Laisse tomber. Ça coince. Va y tout seul ». Tant pis. J’aurai bien aimé faire la montée à deux. Je me remets dans l’effort. Quelques centaines de mètres plus loin, je me retourne. Je vois au loin le coureur asiatique faisant le choix d’un demi-tour pour retourner à Arnouvaz. Je pense qu’il va abandonner. Je suis un peu triste pour lui. N’y pensant pas. Je finis la première partie de l’ascension jusqu’à un petit plateau. 

Avant d’attaquer la seconde partie. La plus coriace. Je décide de me vêtir plus chaudement. Je suis totalement exposé au vent à cet endroit. A quelques dizaines de mètres sur la gauche se trouve une ancienne bergerie. Je la rallie afin de me cacher du vent. J’enlève ma Petzl. Il fait bien jour maintenant. J’enfile un bonnet sous ma casquette. Et je mets mes gants, ainsi que mes sur-gants pour ne pas craindre le froid qui, pour sûr, est plus intense sur les hauteurs. J’ai mis beaucoup de temps à faire tout cela. Je suis totalement refroidis. Un petit gel, et ça repart. 

Enfin ça repart. Ça galère à repartir. J’ai beaucoup de mal à prendre un rythme régulier intense. Je fais le yoyo entre une vitesse d’ascension rapide, et une marche lente et saccadée. Je ne ressens pas pourtant de fatigue particulière. Je n’ai ni sommeil, ni la sensation d’être vide en énergie. Mon soucis est plutôt mécanique. Pas un manque de fraîcheur, mais un manque de force. Je garde assez peu de souvenirs. Le moment n’était pas agréable. C’est dommage. Je gardais un si bon souvenir de toutes les fois où je suis passé par ici. Arrivé au sommet. Les 200 derniers mètres de dénivelé ont été dans les nuages. Avec une sorte de petite bruine qui mouillerait presque. Mais surtout un froid humide qu’un vent n’aide pas à oublier. J’ai bien fait de me vêtir à mi-montée. Je suis bien dans mon équipement. Ça passe de manière plus confortable. J’ai même le ressenti que je prends un peu trop mes aises. Peut-être que vêtus un peu moins confortablement, j’aurai dû hâter le pas et finir ce col plus vite. Je ne sais pas. Il est temps de basculer de toute manière. 

Quand on attaque la descente du Grand Col Feret.. on n’est plus la même personne. Enfin, je ne suis plus la même personne. Dans la montée, je suis volontaire. Engagé. Prêt à une relance à chaque instant. Dans les descentes, je suis l’ombre de l’ombre de l’ombre de moi même. Je me force à courir. Je ne suis pas à l’aise. Complètement en arrière sur mes appuis. Rapidement, je me fais dépasser. Je m’arrête alors sur le côté, et fait un petit signe de la main, l’air de dire « Vas-y. Toi tu sais faire dans ce genre d’endroit ». La descente jusqu’à La Fouly est longue. Une dizaine de kilomètres avec un peu plus de 1000 mètres à descendre. Il ne m’en faudra pas tant pour que la défaillance physique sonne la fin de la remontada. 

Très rapidement. Après 200 ou 300 mètres de dénivelé négatif. Je comprends que mes cuisses souffrent. J’ai l’impression qu’on y a retiré quelques muscles et qu’à chaque foulée, les vibrations du sol remontent directement dans mes hanches. Ce n’est vraiment pas agréable. Je ne cours plus vraiment. Je lance ma jambe en avant. Celle-ci atteint le sol quelques dizaines de centimètres plus loin. Je n’arrive pas à mettre d’impulsion dedans, tant et si bien que je ne peux que simplement ramener la jambe arrière pour la lancer elle aussi vers l’avant. Ce n’est pas académique. Mais ça me permet d’avancer encore un peu, le temps que j’analyse la situation. 

Je me suis déjà retrouvé dans ce type de moment. Ou je sais que les cuisses ne fonctionnent plus. J’ai peu de choix : Soit je ralentis, et cela va être très long. Soit je continue ma foulée de ski de fond, mais je sais qu’à la fin de la descente je ne pourrais même plus courir à plat. Soit. Cette seconde option, peu optimiste sur ma capacité de progression future, je la prends, je me force à la prendre. Tout simplement. Je force ma foulée. Je force les appuis bondissants. Pour cela, il faut tout déconnecter. Oublier la douleur que provoque les mouvements. Mais parfois. Enfin souvent. Au bout de 15 / 20 minutes, les douleurs se font oublier et on garde un rythme élevé. Ça ne sera pas le cas. Jusqu’à la Fouly. Ce fut un réel exercice mental. Un exercice de résistance, de gestion du niveau de douleur, et d’espoir que cela revienne. 

Fin de la descente. Je crois que je vais enfin revoir Raphaelle, Matthieu et Jeremie. C’est plutôt sympa ça. Cela m’est de côté pour quelques minutes les pépins physiques. 

⛰ LA FOULY / Km : 113 / D+ : 6683 / Class : 43 / Tps : 16h12

Je ne veux vraiment pas rester longtemps ici. Avec tous les chocs que j’ai mis dans mes jambes sur la descente. Si je m’arrête. Mon organisme va se refroidir à vitesse Grand V. Et il faudra alors repartir de zéro dans l’échelle du confort pour redémarrer le rythme. Je file. Pas envie de souffrir de trop à nouveau. 

Ma copine, Matthieu et Jeremie sont bien là. Nous échangeons un peu. Ils courent avec moi quelques dizaines de mètres. Ils me racontent ce qu’il se passe à l’avant de la course. Je les écoute d’une oreille. D’une demi oreille même. Ma concentration est totalement focusée sur ma gestion de la douleur. Le segment qui vient se court totalement sur le papier. En dehors de la remontée sur Champex. Le rythme se doit d’être bon. 

Une dizaine de kilomètres en faux plat descendant. Suivi de 3 – 4 kilomètres pour grimper au ravitaillement. Les premiers kilomètres se passent dans la difficulté. J’ai vraiment du mal à tenir un beau rythme. Je me fais doubler à deux reprises. Cela me met un peu le moral dans les chaussettes. J’ai beau faire énormément d’efforts. Je me fais reprendre. Je n’arrive pas à suivre. Et donc je me fais déposer. Outre, ces quelques moments de dépassement, je suis à nouveau entièrement seul. Je pense que depuis St Gervais, je n’ai pas réussi à passer plus de 5 minutes dans le même rythme que quelqu’un. Cela ne colle jamais. Au fond, cela ne me déplaît pas. 

Je finis cette partie roulante en accélérant quelque peu. J’ai bien repéré Champex sur les hauteurs. Cela me motive à accélérer modérément. Et puis, surtout. Je suis très exactement sur les 2 ou 3 kilomètres durant lesquels j’avais pris la décision de m’arrêter il y a 2 ans. Je me revois alors titubant. N’arrivant qu’à marcher en gémissant. Je relativise vis à vis de la situation actuelle. J’accélère même. 

Traversée de ce petit village suisse totalement vide. En 3 passages dans celui-ci, 2017 – 2019 – 2021. Je n’y ai toujours pas vu le moindre humain. Le moindre bruit. La moindre fumée attestant que ce village n’est pas un village témoin. J’aime cette théorie. Un village suisse témoin.. pour montrer au reste du monde, l’architecture, la propreté et le calme helvétique. Je m’évade alors dans un raisonnement autour de l’intérêt pour un pays de faire des villages témoins. Comment devrions-nous fabriquer celui de Paris. Celui de Marseille. Ou cela de Pontarlier. Ces pensées, bien éloignées de l’épreuve me permettre de continuer à bien avancer. J’arrive au pied de la montée. 

Après quelques mètres dedans, je me retourne pour voir au loin s’il y a des poursuivants. C’est assez idiot, car je sais qu’en montée, on ne peut pas me rattraper. C’est le cas dans celle-ci. Je grimpe à nouveau très bien. Il fait de plus en plus chaud. Cette chaleur aussi me fait du bien. Nombreux sont les randonneurs  dans cette section. Je commence à me sentir vraiment mieux. Je parle avec eux. Fais quelques blagues en les doublant. Je reprends un peu de plaisir. Ça faisait un long moment que ce n’était pas arrivé. 

Fin de la montée. J’entre dans le ravitaillement. 

⛰ CHAMPEX / Km : 127 / D+ : 7230 / Class : 40 / Tps : 18h

Juste avant de rentrer. Je pense à ce qu’il reste à parcourir par la suite. Un gros marathon et 3000 de dénivelé. Le marathon ne me fait pas peur. Mais là, j’avoue que les 3000 en + et surtout ceux en négatif m’inquiète un peu. Je ne suis pas dans le même état d’esprit qu’à l’UT4M. Où j’avais réussi à trouver le déclic pour finir les 50 derniers km à fond les ballons. Je ne m’entrouve même pas cette option. Je suis sur un mode « Est-ce que tu vas y arriver ? – C’est possible – Mais comment y arriver le moins lentement ? – Ça je ne sais pas ». Je me fais donc la réflexion suivante : On oublie les ravitaillements express. On tente de se reposer un peu régulièrement. De ménager la monture. Pour recharger les batteries et réussir à ne pas totalement caler dans le dénivelé. 

J’entre donc dans le ravitaillement dans cet état d’esprit. Je cherche du regard. La salle est pratiquement vide. J’avance presque jusqu’au fond. Je me retourne. Je regarde dehors. Je regarde encore une fois l’ensemble de la salle. Un bénévole me voyant faire me demande « Ça ne va pas Alex ? Tu cherches quelques choses ? » – « Euh. Bah. Ma meuf ». Je mets quelques secondes à comprendre. Mon assistance n’est pas là. Je m’inquiète. J’espère qu’ils n’ont pas eu de soucis sur la route. J’hésite à sortir mon téléphone pour les appeler et être rassuré. Et puis je me rassure en me disant que j’ai du plus accélérer que prévu dans la montée. Je dois être un peu en avance sur le prévisionnel de LiveTrail. 

Changement de stratégie. On va faire sans. Je recharge en eau. Et je demande si je peux avoir quelques choses pour transporter les pâtes servies qui ont l’air chaudes. On me donne un bout de bouteille de coca découpée à l’arrache. On y verse quelques pâtes. Ça fera l’affaire. J’hésite à attendre encore un peu. Ils ne sont certainement pas très loin. Mais, je n’ai pas non plus envie de m’arrêter trop longtemps. Je grignote une pâte. Puis deux. J’en ai marre. Aller. J’y vais. Cassos. 

Au moment où je prends cette décision, je vois ma copine entrer dans le ravitaillement. Glacière à la main. Elle fronce les sourcils. Je la sens énervée. Même de loin. Elle arrive à mon niveau. Je lui dis « J’y vais ». Je la vois énervée. Elle reprends ses esprits et me demande de quoi j’ai besoin ? – J’ai envie de lui dire « C’est bon. J’ai fini. Je repars ». Mais ça serait cruel. Et je n’ai pas envie de la dégoûter de l’Ultra, enfin de l’assistance en ultra. Je décide donc de lui demander quelques petits choses. Presque pour lui faire plaisir. Elle me propose du café. Je prends un début de gorgée. Aaaaaaaaaaarrgggh. Je recrache tout au milieu du ravitaillement. C’est plus que brûlant. Décidément. Les astres ne sont pas avec nous dans ce ravito de Champex. Je tente de parler un peu avec elle pour dédramatiser la situation et lui faire comprendre qu’elle ne doit pas s’en vouloir. Je suis aller un peu trop vite. C’est de ma faute. Nous nous embrassons. Cela fait du bien. Et je lui dis que je repars. 

Voilà. Voilà, pourquoi je ne veux pas avoir d’assistance. Non pas à cause du petit retard. Mais plutôt par ce que cela me met dans une situation d’avoir à gérer ma course, mais pas que. Et je n’arrive pas à ne pas vouloir gérer le ressenti de mon assistance. Vouloir que cela soit un bon moment pour elle. C’est si important pour moi. Plus que la course. Bien plus que la course. Et malheuresement, cette volonté parasite un peu l’objectif de fond, qui est d’avancer et de ne pas perdre de temps. Bref. Pas le meilleur moment. 

Je quitte le ravitaillement. Jeremie court à nouveau quelques centaines de mètres avec moi. Il me fait rire. Je l’entends me répéter cinq ou six fois « Qu’ils sont tous morts devant – Que même en marchant vite je vais les rattraper – Ils sont fumés.. je te le dis.. CRAMÉS ! – Des raisins secs ! – Tu vas les reprendre un par un… ». Cela me fait rire. Ce décalage total entre moi qui lutte contre mes propres douleurs et qui ne pense pas une seule seconde au classement et à la compétition. Et mon accompagnant du moment qui voit encore l’aspect course et compétition. J’ai envie de lui dire « mec.. ils sont morts. Ok. Mais je suis mort aussi. On est TOUS morts. ». Je ne lui dis rien. Et je fais mine de recevoir ces commentaires comme une source de motivation. « Tiens regarde. Il s’arrête lui. Une place de gagnée ». Mais arrête ! Ce n’est plus le moment de compter les places. C’est le moment de se dire, je n’abandonne pas non plus. Je le quitte. Et file en direction de la montée pour attaquer le secteur de la Giète. 

Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de cette montée. Quelques coureurs doublés. Une montée éprouvante. Et un manque d’eau. Voilà tout ce qu’il me reste. 

J’ai aussi très peu de souvenirs de la bascule et de la descente sur Trient. Simplement, un souvenir du passage dans la bergerie qui sert de ravitaillement. Personne dedans. Un passage express pour remplir l’eau. Et je file. La descente finit de tuer totalement mes cuisses. C’est officiel, je suis physiquement terminé. Je vois mes forces se réduire de kilomètres en kilomètres. Il m’est alors impossible de tenter de déconnecter le cerveau pour accélérer un peu. C’est une agonie. Mon seul mot d’ordre maintenant : Il s’agirait de finir. 

⛰ TRIENT / Km : 143 / D+ : 8286 / Class : 37 / Tps : 20h44

Je repère l’église de Trient un peu plus bas. Je tente de courir le plus possible jusqu’au village. Ainsi que dans celui-ci. Je retrouve ma copine. Elle me dit que Matthieu m’attend dans le ravitaillement. Elle me dit aussi que c’est formidable ce que je fais. Que les autres coureurs qu’elle a vu ne court même pas à cet endroit. Je cours donc. Mais c’est plutôt pour lui faire plaisir. C’est illusoire. Je sais la descente affreuse que je viens de faire. Je sais que ce que je leur montre là, n’est qu’un brouillard, qu’une oasis, qu’une illusion. 

Alors que je cours en direction du ravitaillement, je me fais beaucoup encourager par les supporters. Et un d’entre eux me fait beaucoup rire. Il me filme à l’iPhone en courant proche de moi. Je le reconnais il s’agit de David W. Un copain de trail que j’ai beaucoup croisé en course sur les dernières années. Et ce qui me fait rire, c’est qu’il me filme en criant « Aller Mathieu ! C’est énorme ce que tu fais. Vas-y Mathieu. Vas-y Mathieu. Vas-y….. ». Je ne le reprends pas. Cela me fait rire. 

Ravitaillement. Ma copine et Matthieu sont là. Je rigole un peu avec eux. Je me sais très frais dans la tête. Je suis totalement lucide. Mais, et ils le voient bien, mon physique me lâche. Je m’assoie avec difficulté. Je bois de l’Ice Tea comme un enfant boit en rentrant de 5h de balade en forêt sans eau. Je les entends me répéter qu’ils sont tous morts devant. Que je vais les reprendre. J’essaie de leur dire, sans leur dire, que c’est mon cas aussi. 

Fin du ravitaillement. Je recours pour en sortir. Et voilà à nouveau David. Qui me filme encore. Et je rigole énormément lorsque je l’entends dire « T’es énorme. Désolé. Je sais pas pourquoi je t’ai appelé Matthieu. Vas y Alex. Allez Alexxxxxxx. ». Je quitte le village et j’attaque la montée vers la Catogne. Prochain point d’étape : Vallorcine. Et je le sais, à partir de là, cela sera presque la fin. 

Ma mémoire me fait à nouveau défaut. Je me rappelle simplement de deux choses. Premièrement, c’est vachement plus dur que dans mes souvenirs de la CCC 2017. Cette montée est assez violente. Avec un terrain pas forcément si souple et joueur que sur le reste du parcours de l’UTMB. J’arrive tout de même bien à monter. Je double quelques coureurs à nouveau. Effectivement, ils étaient bien morts. 

Deuxième souvenir : ce couple de randonneur. Très chargés. Je double d’abord la femme du couple. Je l’encourage un peu. Quelques virages plus haut, je rattrape le mari. Je l’entends dire à des randonneurs qui descendent « Vous pouvez encourager ma femme. Elle cale dans la montée. ». Lol. L’enfoiré. Va la chercher bordel. C’est pas en lui mettant 200 mètres dans la vue que tu vas l’aider. Je ne dis rien. J’avance. Et je termine la montée. 

Bascule. Je m’arrête pour uriner. Je respire un peu. Cette descente va me fracasser. Mais c’est l’avant dernière. Alors, bas les masques. On assume. Et on y va. Il me faut à peine 800 ou 900 mètres de distance pour me faire doubler par les coureurs que j’avais repris dans la montée. C’est sans fin. Je me promets, comme à chaque fin d’ultra, de travailler 1000 fois plus les descentes à l’avenir. Ce schéma qui me donne l’impression de gâcher tous mes efforts du dénivelé positif dès que je bascule dans le négatif me frustre. 

Je me souviens simplement que cette descente commence par un balcon plutôt joli. On sent bien que l’on est passé de l’autre côté du massif et que l’on approche de Chamonix. Il y a quelques choses comme une sensation de proximité avec la fin de l’effort dans l’air. Ça flotte. Mais c’est encore insaisissable. 

Un bon gros 20km – 1000 D+ / 1800 D- à parcourir. Sur le papier, c’est une sortie d’entraînement. Dans la réalité. Avec 22h de course dans le corps. C’est loin. Il ne faut pas faiblir mentalement. Finir en marchant serait vraiment trop long. T’as envie que ça se termine vite. Court alors. Ça passera plus vite. Pas forcément mieux. Mais vite. 

Par la suite, on rejoint le haut de quelques remontées mécaniques et on empreinte une piste de ski. Une verte, ou une bleue dans mon souvenir. Mais surtout c’est le nº marqué sur les panneaux qui me foudroie. Nº20. Ça va être long. J’éteins un peu le cerveau. 19. 18. 17. Que c’est long. À on coupe un peu par la forêt là. On recroise la piste un peu plus bas. 14. Mentalement, ce compteur décroissant aide, et n’aide pas. Il aide car il permet de se rendre compte qu’on avance. Mais il n’aide pas, car on se rend aussi bien compte de ce qu’il reste à faire. La descente se termine au petit trot. J’arrive à Vallorcine. 

⛰ VALLORCINE / Km : 154 / D+ : 9100 / Class : 36 / Tps : 22h57

Dernier ravitaillement avec assistance. C’est ma copine qui s’en occupe. Elle a tout bien préparé. Quelques bouts de pastèques. De l’Ice Tea. Un peu de café. Quelques gels. Elle prend le temps de m’éponger un peu la nuque avec une serviette humide. C’est si agréable. De temps en temps dans la descente, depuis 3 ou 4h, je ressens une immense douleur au niveau de celle-ci. Je pense que c’est dû au poids du sac, et au mouvement que je fais avec les bâtons. Je ne suis pas habitué à cela à l’entraînement. Ces quelques soins qui me sont donnés me font du bien. Énormément de bien. Je relève la tête. Mon visage est celui de la détermination, de la persévérance. Mais aussi celui de la grande fatigue, et du dépassement physique. Je la regarde. Elle me regarde aussi. Je vois dans ses yeux, qu’elle se rend compte de l’effort nécessaire à ce type de course. Je sais que c’est la première fois qu’elle me voit dans cet état. Et pourtant elle m’a vu dans pleins d’état. Mais l’état d’une fin d’ultra vaut le détour. Je suis fatigué. Mais pas assez dans la tête pour ne pas lui faire quelques blagues. Je lui lance un « Le pack grand froid qu’ils disaient ». Étant totalement transpirant, avec des bonnes couleurs sur la peau, et du sel autour des yeux et sur les pommettes. Nous rions un peu. Ironie d’un ultra. 

Je repars. Quelques kilomètres de faux plat en direction du Col des Montets. Matthieu, Jeremie et Raphaelle m’ont dit qu’ils vont m’y attendre. Je leur dis que je vais prendre mon temps. Je veux m’économiser pour assumer au mieux la montée sur la tête aux vents. C’est bien ce que je fais. J’avance peu rapidement par rapport à ce que je sais faire sur ce type de faux plats. Je relance quelques fois en courant, mais je ralentis dès que je sens que je commence à basculer dans le rouge. Je tente de prendre quelques gels, et de la compote. Je ne veux surtout pas caler dans la prochaine montée. Ça serait tellement long. 

J’arrive au col de Montets. Il y a pas mal de supporters à cet endroit. On traverse la route. Je demande à Matthieu, Jeremie et Raphaelle « Je suppose que c’est le truc en face.. là ? » – « Oui ». Aller. D’accord. Même pas peur. Se dresse devant moi une sorte de mur, dans lequel depuis le sol, on repère bien le slalom qui permet de grimper jusqu’en haut. Je vois plusieurs coureurs dedans. La progression ne semble pas très rapide. Je me sens bien. Je sors les bâtons de mon carquois. Je fonds sur le départ de la montée.. les encouragements sont nombreux. J’ai cette sensation de plaisir de réaliser quelques choses de dur, et de le faire avec un peu de panache. Se crée comme un ralenti dans ma tête. Je me vois courant en direction de ce mur à la troisième personne. Je plane. Et j’attaque la montée en courant. 

C’est la première fois que je vais monter à la tête au vent. Sur la CCC 2017, nous avions fait un direct vers la Flégère. Et en balade, j’ai toujours évité ce passage. Je pense que c’est simplement un peu plus haut. Cela ne me fait vraiment pas peur. Même pas du tout. J’attaque la montée sur un superbe rythme. J’avale les premières dizaines de mètres de dénivelé dans une grande facilité. J’entends en bas les « aller Alex’ ! – Aller Casquette Verte ! ». C’est très motivant. Je me calme un peu. Et je me mets dans un rythme régulier que je pense pouvoir tenir jusqu’au sommet. C’est la dernière montée de la course. Je le sais. Je n’ai calé dans aucune depuis plus de 22h. Cela ne doit pas commencer maintenant. 

Après une trentaine de minutes de montée. Je commence à ressentir un manque de souffle. Un vrai manque de souffle. Je pense d’abord que j’ai tout simplement la trachée un peu prise. Je bois. La sensation de manque d’air continue. Je ralentis un peu mon rythme pour redescendre en pression. Je tousse. Je tousse beaucoup. Et quand je respire cela siffle comme jamais. Je sais très bien quand ce symptôme m’est déjà arrivé. En présence de chats. Desquels je suis très allergique. Ayant relativement peu côtoyé cet animal mesquin sur ma course, je fais l’analyse suivante : Je sais que je sur-ventile depuis des heures. Et le terrain est particulièrement poussiéreux cette année. Et étant aussi allergique à la poussière. (Décidément). Enfin faisant des réactions asthmatiformes à cela. Bah. Voilà. Petite crise d’asthme. Manquait plus que ça. 

Je finis tant bien que mal la montée. Je me fais un peu reprendre sur le final. Je suis lent. Sacrément lent. C’est un peu technique. Je respire mal. Je commence à sentir que les jambes ne fonctionnent plus. Je manque de motivation. Bref. Je suis bien accablé. Je tente d’avancer en sachant bien que ma vitesse de progression est ridicule. Dès, que je tente d’accélérer un peu. Mon souffle devient épuisant. Mes bronches pèsent des tonnes. Et j’ai presque la sensation d’asphyxie. Je n’avais jamais ressenti cela pendant une course. Généralement, cela m’arrive à l’arrivée, après une bonne journée dans la poussière. Dans cette situation, ok. Je comprends. Je toussais des conglomérats poussiéreux. Mais c’était après l’effort. Mais là. En pleine course. Pas cool. Je subis. 

Fin de la montée à la tête au vent. J’imaginais les quelques kilomètres qui me séparent de La Flegere plutôt cool et roulant. Et bien, ce n’est clairement pas ça. Mais alors pas du tout ce que j’imaginais. Psychologiquement, je n’étais pas prêt. Et vas-y que ça doit crapahuter. Et vas-y que les cailloux ne sont pas rangés. Je mettrai presque une heure pour relier la flegere. Et pourtant, il devait y avoir à peine 3 km. Que c’était long. A chaque petit sommet, je m’attendais à la voir dépasser au loin. Mais cela n’arrivait jamais. Un, deux, trois, quatre, cinq coureurs me rattrapent. Et ils me déposent très facilement. Je sens que je loupe totalement la fin de ma course. Le terrain technique n’aide pas. Je n’arrive pas à me remobiliser. J’attends d’être à La Flegere. Je me pose quelques minutes. Et puis go sur Cham’ pour finir. 

⛰ LA FLEGERE / Km : 165 / D+ : 10047 / Class : 41 / Tps : 23h37

J’entre dans le ravitaillement en marchant. Je m’assoie. Je suis le seul coureur. Un bénévole me propose de remplir mes flasques. J’aimerai bien grignoter quelques choses. En levant mes yeux, je vois les bénévoles du ravito se rassembler autour de l’un d’entre eux. Ils lui tendent chacun un verre. Je me dis que c’est plutôt sympa. Ils s’hydratent en groupe. Comme les zèbres ou les antilopes. Mais lorsque je vois celui qui sert, saisir une grande bouteille de rouge. Chacun autour tendant fièrement son verre. Je me suis dit que c’était encore plus sympa. J’hésite un instant. Tu vas quand même pas.. au pire.. il te reste peu de kilomètres.. ça se tente franchement. Le bénévole qui me sert de l’eau revient avec mes flasques à cet instant. Je me résous à rester à l’eau. 

Je sors du ravitaillement. Aller. On se secoue un peu. On tente de courir jusqu’à la fin. Le début de la descente est de ceux que l’on n’aime pas quand on finit un ultra. Une bonne piste de ski. Je connais par cœur toute la descente. Force toi. Cela ne va pas durer bien longtemps. 

Après un petit quart d’heure, je commence à reprendre un rythme qui me sort de la zone du ridicule. Les kilomètres défilent, et je sais que Chamonix n’est vraiment plus très loin. Je rattrape même quelques coureurs. Le second que je rattrape marche. Mais de la bonne marche qui veut dire « de toute façon je ne peux plus rien faire d’autre ». Je m’arrête à son niveau pour l’encourager. Lorsque nos regards se croisent, je le reconnais. Robert Hajnal. Je l’avais vu en 2019. Finir à la seconde place de l’UTMB. Je comprends alors qu’il fait partie d’une race d’ultra-trailer que j’aime. Cette espèce qui n’abandonne jamais. Peu importe l’état de forme. Peu importe le classement. Pas de ceux qui quittent la course lorsque le top 10 n’est plus envisageable. Nous parlons un peu. J’essaie de l’encourager. Mais il n’en a clairement pas besoin. Il m’explique que sa course est terminée depuis une grosse dizaine de kilomètres. Ça fait 2h qu’il marche, et il me dit qu’il va encore bien mettre 1h30 pour les quelques kilomètres qui nous séparent de l’arrivée. Notre échange se termine sur un High-five. Je suis content de l’avoir rencontré. 

Les sentiers joueurs de la descente me tiennent dans un bon rythme. La sensation d’approche à la ville me rassure. Le fait oublier toutes les longues heures précédentes. Aaaaaah. Mais je ne rêve pas. Je viens bien de.. de sentir une goutte de pluie. Ne me dit pas que c’est pas vrai. Je vais terminer mon premier UTMB à l’heure parfaite pour traverser Chamonix (l’apero). Et il va se mettre à pleuvoir. Ça fait 4 jours que je suis ici. C’est grand soleil h 24. Limite chaleur. Et là.. par ce que j’arrive, c’est orage. D’accord. D’accord. Résilience. J’accepte. J’enlève même ma veste pour fêter ça ! 

Me voilà donc trempé. Totalement trempé. Finissant la forêt et virant sur la gauche pour entrer dans les rues de Chamonix. Ah. Le voilà. Le fameux pont métallique pour éviter la route. Cette structure qui rappelle que la sécurité prévaut sur le bon sens. En effet, il s’agit de monter sur un échafaudage de 2 étages pour traverser une petite route. Alors qu’on a précédemment traversé des dizaines et des dizaines de routes sans aucun signaleur. Bref. Je pense que cela doit bien avoir une petite utilité pour quand le peloton arrive. Mais seul, sous la pluie, sans trafic de voiture, c’est assez ridicule. Je traverse la rivière quelques dizaines de mètres plus loin. Puis je la longe. Entrée dans le dernier kilomètre. 

Me voici le long de cette rivière qui traverse le village. Il pleut. Et il pleut vraiment. Je me suis fait cette première  arrivée de mon UTMB des centaines de fois dans la tête. Je me voyais profitant à fond de la foule. Allant taper des mains. M’arrêtant même peut être pour boire une gorgée de bière d’un passant qui me la tendrait. Mais là, la foule est moins nombreuse qu’espérée. L’orage qui s’abat va me permettre une grande discrétion. Quelle dommage. Et puis d’un autre côté, je ne suis pas à la fête. Il y a certes l’état physique qui est bien atteint. Il y a certes la fatigue immense de plus de 26h30 de course. Mais c’est surtout cette frustration qui m’empêche de célébrer de manière excentrique. La frustration de n’avoir pas tout donné. Et je ne me cherche pas des excuses. Je ne dis pas « de n’avoir pas pu tout donner » – je dis bien « de n’avoir pas tout donné ». Difficile. Même en faisant un joli top 50. Même en étant parisien. Difficile de faire abstraction de mon auto-déception. Je tente de savourer tout de même un peu. J’applaudis les quelques supporters présents. Virage dans la rue piétonne. Descente jusqu’au petit détour. Passage à côté de la statue pointant le Mt Blanc. J’arrive en vue de l’arche. Ayé. J’ai bouclé la boucle. C’est peut être le moment où je me dis « c’est quand même pas mal ce que tu as fait ». Ce moment, lors duquel tu refoules le même bitume qu’un jour auparavant. Et qu’entre temps, à la simple force de tes jambes, tu as fait le tour du massif du mont Blanc. Cette petite fierté, me permet de finir avec un sourire en coin. 10 mètres. 5 mètres. 2 mètres. Je prépare ma signature. Les épaules se dés-axent vers la droite. Appui pied gauche. Double appui. Petit saut. Et on envoie son premier 360° d’arrivée sur l’UTMB. 

⛰ CHAMONIX / Km : 172 / D+ : 10055 / Class : 43 / Tps : 26h42

Voilà. C’est fait. UTMB : Check. Maintenant, on tente d’accepter les félicitations. On tente d’être heureux du résultat. Enfin de paraître. Mais au fond de moi, peu sont les aspects positifs vis à vis de mon résultat. Et même vis à vis de ma course. Non pas que je pense avoir fait de grosses erreurs. Je pense en avoir fait assez peu. Mais je m’en veux. Je m’en veux de n’avoir pas pris plus au sérieux la préparation. Je m’en veux de n’avoir pas tenter d’améliorer les faiblesses que je me connais avant de me lancer dans ce gros morceau. Et je fais un constat rapide : Tu as la diagonale des fous dans 6 – 7 semaines. Tu n’es pas prêt. Clairement pas. Tu es encore loin du niveau nécessaire pour atteindre ton objectif du top 10 sur la Diagonale. Et avec si peu de semaines, tu n’auras pas le temps de t’y atteler. Je prends du recul. J’accepte de n’être pas prêt. J’accepte d’aller à la diagonale sans autres ambitions que de re-decouvrir le terrain en prévision de 2022 – 2023 – 2024. S’agissant de l’UTMB. Il faudra revenir. C’est sûr et certain. Cette course est la plus incroyable à vivre. Pas la plus dure. Pas la plus longue. Mais c’est définitivement notre finale de la coupe du monde à nous. Les ultra-trailers. 

Si je dois rapidement faire un état des lieux de fin de course. Les points négatifs que je m’identifie sont les suivants. Une grande difficulté en descente. Je le savais déjà. Mais je pensais que l’Ultra01 et l’UT4M m’avaient tout de même un peu permis de m’améliorer sur cet aspect. Et bien non. Il y a encore trop d’appréhension à la chute. Pas assez d’engagement vers l’avant, et donc un corps totalement en arrière, presque assis dans un fauteuil. Et je pense aussi, que je manque tout simplement de musculature. Que mes quadris’ ,et que l’ensemble des muscles qui permettent une descente fluide ne sont malheureusement que peu développés chez moi. C’est une piste à creuser. Ce point négatif sur la descente s’applique aussi dans le technique. Voir même, il s’applique encore plus franchement. Je me suis trouvé nul. Mais nuuuuuul quand il y avait quelques cailloux. Des excès de prudence que j’ai du mal à regretter. Mais aussi, et sûrement un manque de travail de pied, de travail d’appui que je paie cash au classement. Sur ces deux points : Pas de surprise. Je le savais déjà. Le dernier point négatif, et celui qui m’inquiète le plus, est le déclenchement de cette crise d’asthme pendant les dernières heures de la course. Ça. C’est inquiétant dans une certaine mesure. Il va aussi falloir que je surveille cet aspect à l’avenir. 

Pour finir sur une note sucrée. Enfin positive. Il y a quelques bons points que je peux m’octroyer. 

La gestion des 80 premiers km. Ni trop vite, ni trop lentement. M’ayant permis d’accélérer un temps à la mi-course. Je pensais me laisser prendre par l’ambiance. Je me suis retenu. Parfait. 

La réussite d’une course sans aucun bobo. Sans trop de chutes. C’est toujours bon à prendre aussi. 

La, dorénavant, bonne connaissance du parcours dans son entièreté. Ne pas se retrouver dans les années futures, dans cette découverte permanente du terrain, sera, j’en suis sûr un énorme plus dans mes futures tentatives. Et enfin, Je sais aussi maintenant que je préfère sans assistance qu’avec. D’accord cela apporte un peu d’aide et pas mal de soutien psychologique. Mais en réalité, j’ai trouvé que cela te rend redevable, cela crée en moi une forme de pression en plus à gérer, et fondamentalement, je trouve que cela m’a fait perdre du temps. 

Pour conclure, comment ne pas être heureux de faire un top50 à l’UTMB. Comment ne pas être fier de finir pour la première fois cet ultra mythique parmi les mythiques. Comment ne pas continuer à porter le bracelet rouge, sous sa manche de chemise droite quelques semaines après l’arrivée. C’est sûr. C’est ce qu’il faut retenir. Du positif. De la fierté. Mais, la sensation de frustration, même quelques semaines plus tard, est toujours bien présente. La sensation de ne pas avoir été au rendez-vous. Le sentiment qu’il va falloir y retourner. En se fixant ce rendez-vous comme un de ceux qu’on considère comme important. Comme un de ceux auquel on rêve pendant des semaines entières. Comme un de ceux qu’on pré-visualise du début à la fin comme une bataille qui doit aboutir en une réalisation. Bref. Il faudra revenir avec l’envie que je peux avoir vis à vis de la Diagonale des fous, mais adressée cette fois en direction de ce Chamonix – Chamonix. Je me donne du temps pour cela. Mais je le ferai. 

11 réflexions sur “Récit : UTMB (2021) – 172 Km / 10.055 m D+ / 43ème au scratch / 26 h 42 min 04 sec.

  1. Bravo champion ! C’est toujours aussi passionnant de te lire. Tu as du style. Cette capacité à mettre des mots sur les difficultés de l’épreuve. Top 50, c’est super même si je pense, comme toi, que tu es capable de faire mieux. Allez, casquette verte.

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  2. Bravo Alex, c’est la première fois que je te lis, c’est vraiment une belle immersion dans te course, j’ai fais le tour également cette année mais dans un temps beaucoup plus long…… Mais bon j’ai l’impression que l’on soit devant ou derrière on vit les mêmes tranches de vie, le bien, le moins bien, la dépression totale et puis enfin on sert les dents pour arriver au bout….. allez au bout de son rêve.
    Bravo à toi .
    Par contre la prochaine fois une arrivée le dimanche après midi c’est une ambiance de dingue dans les rues de Chamonix.
    Bonne chance pour la réunion.

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  3. Merci pour ces récits forcément familiers et très inspirants (pour quelqu’un qui a vécu ça aussi), qui pour m’a part m’ont donné en vie de tenter à nouveau l’aventure… après avoir cédé là où justement tu as tenu (ex Belledonne UT4M 18′), et en étant convaincu que la prochaine fois je ne céderai pas. PS, essaie la forêt de Montmorency ou de Cormeilles pour le deniv++, ce n’est pas si loin à bicyclette 🙂

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  4. Bravo Mathieu! ^^
    Super récit, je me suis notamment retrouvé sur 2-3 points dont la cruelle déception d’arriver pile poil à l’heure de l’apéro mais de voir les rues vidées par l’averse (je suis arrivé 5min avant toi, je suis assis sous l’arche sur ta première et dernière photo). Mentions spéciales à tes récits du passage par Notre Dame de la Gorge et du mec en vert que tu as rattrapé, je crois d’ailleurs savoir qui c’est. 😉
    Bon courage pour la Diag!

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  5. Félicitations. Je l’ai terminé en 44 heures 38. Je suis passé à des endroits que tu as fait de jour et moi de nuit et inversement. Je ne pense pas faire un top 50, avec mes 53 ans. Mais j’espère y retourner en 2023 avec de nouveau un dossard solidaire. Dossard 2269.

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  6. Bravo pour ce récit rythmé et plein de suspens.
    Vous savez bien raconter les montagnes russes des ressentis.
    J’ai l’impression que vous êtes dans l’esprit, enfin je découvre le trail mais j’y trouve et aime ce que vous décrivais.

    Thierry, 62 ans, jeune coureur à OCC 2021 (7872) 🙂

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  7. Merci pour ce super récit. Tous les sentiments de course que tu énumères sont tellement justes. Le moment où la compét avec les autres coureurs et contre la montre se transforme en lutte perso ça soulage un peu l’esprit mais la ligne d’arrivée à un goût un peu amère. Pourtant qu’elle perf 💪🏼
    BRAVO

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