Récit : UT4M (2021) – 175 Km / 12.454 m D+ / 3ème au scratch / 30 h 03 min 30 sec.

Entre deux ultras. Jusqu’au départ. 

Vous avez forcément déjà vécu cela. Rentrer de vacances en coup de vent. Lancer des machines. Préparer une nouvelle valise. Et repartir rapidement. Cette sensation d’un entre deux un peu inutile. Trop court pour se (re)poser. Trop long pour être efficace. Et bah, c’est exactement ce que j’ai ressenti entre ces deux ultras pendant 6 jours. Le plaisir de retrouver sa chérie, mais ne pas pouvoir profiter réellement ensemble. Le confort de son lit dont on a tant rêvé, et qu’il falloir requitter. Le rythme professionnel pour bien te rappeler que ta vie ce n’est pas l’ultra. Et surtout quelques jours pour tenter de récupérer, pour se tester, et pour se rassurer avant de repartir. 

D’un point de vue mental, je m’en suis un peu voulu d’avoir tant décompressé du dimanche au mercredi. Je suis rentré dans un mood de suffisance. « Finish sur l’Ultra01. La victoire en plus. C’est bon, t’as fait le job ». Heureusement, refaire ma valise, re-préparer mes affaires pour l’UT4M m’a bien remis les choses en place le jeudi. 

D’un point de vue physique : 2 pépins. Mais tout le reste allait bien. 1er pépin : les mégas cloques ont bien mis 5 jours à se suturer. (Ps : si on peut éviter les conseils sur « comment éviter les cloques » dans les commentaires. Merciiiiii.). Désavantage de cela : Je suis reparti avec une sûr-sensibilité de la paume des pieds. Mais bon.. si un ultra-trailer se plaignait d’avoir mal aux pieds.. ça serait qu’il n’a pas encore compris les ressorts de ce sport. Avantage de cela : la petite peau en reconstruction est généralement trop fine pour créer de nouvelle ampoule. En résumé mon conseil à moi : pour éviter les ampoules.. faites vous en des mégas grosses quelques jours avant. Second pépin, et celui-ci était plus handicapant. Une petite entorse au niveau de malléole gauche suite à l’ULTRA01. Alors là.. c’était coton. Au point de me mettre en doute jusqu’à jeudi sur ma participation ou non à l’UT4M. Lundi. Repos total. Ça part pas. Mardi. Vélo tranquillou. Je la sens la coquine. Mercredi. Petite sortie traditionnelle pour savoir où j’en suis et pour me décider si ça Start ou si ça DNS. Alors du côté de l’entorse, mercredi. Ça pue. J’arrive à courir de manière rectiligne en serrant les dents. J’arrive à tourner à gauche sans douleur. Mais en revanche, le moindre virage à droite, c’est une charmante décharge douloureuse qui me lance de la malléole à la moelle épinière. Pour rigoler, je me suis dit que de toutes façons l’UT4M tourne par les 4 massifs dans le sens anti-horaire. Techniquement parlant on devrait au moins tourner une fois de plus à 360° à gauche, qu’à droite. Fin de plaisanterie. 

En revenant de mon entraînement je fais le point. « Bon. Tu as encore 48h. Peut être que par magie cela va gentiment disparaître. Et puis, si cela ne part pas. Tu tentes. Tu stopperas peut-être à la première base vie. Mais au moins, tu tentes. C’est pas une petite entorse qui va t’empêcher de le tenter ». 

Et enfin un dernier point de vu : l’énergie. Alors clairement, là je me pensais beaucoup plus fort que cela. Je pensais qu’en 6 jours j’aurais totalement rechargé les batteries. Et bah, clairement non. Je pense qu’il m’a manqué quelques jours réellement Off, et peut être une ou deux grasses matinées. Lorsque, vendredi, je suis parti sur la ligne de départ, je me suis dit « Tu pars sur un ultra. Et ça va pas durer 20-25h même dans le meilleur des cas. Si tu veux aller au bout, ça va être du 31 – 36 h minimum. Et là.. tu es juste crevé. Genre « fatigué quoi tout simplement. ». Partir sur un ultra. Pas de soucis. J’y suis habitué. Mais d’habitude, les batteries débordent de sommeil. Le corps est en forme olympique. Les cernes, j’ai oublié ce que c’est. Bailler ? Par politesse peut-être. Mais ce vendredi, ce n’était pas cela. 

Vendredi c’était de longs soupirs d’épuisement sur le chemin du tramway. C’était une tête qui se colle sur la fenêtre du wagon. Les yeux qui regardent le premier massif. Se ferment. Se ré-ouvrent. Et il est toujours là. C’était trouver une place à l’ombre pour dormir encore quelques minutes avant le départ. C’était soulever ce sac si lourd (Paye ton matos obligatoire, essentiel certes, mais handicapant). Ce sac, dont le poids n’a d’équivoque de celui de ta fatigue et de tes doutes sur ta capacité à surmonter l’épreuve. 

J’en étais là. J’étais ce petit corps. Traumatiser par un festin précédent. Qui est un peu rassasié. Mais qui part gourmandise, regarde avec des yeux inquiets mais pleins d’envie le buffet entrée-plat-4massifs qu’il va se servir. Je n’avais plus faim. J’étais simplement assoiffé par l’envie de tenter. L’envie de découvrir de nouvelles limites, de nouvelles sensations. Savoir si c’était définitivement une ânerie cette Ultra-doublette, ou si j’allais pouvoir dire « je l’ai fait ». Aller. Je me motive. J’y vais. De toute façon, c’est pas maintenant que tu vas faire marche arrière. Ta mère te l’a souvent dit « Quand on arrive au pied du mur. On ne l’évite pas par facilité. On l’affronte. Méthodiquement. » bref. On y met du panache. 

C’est donc avec ce panache que j’aime tant que je pars sur l’UT4M.. une phrase en tête : « On dit que l’appétit vient en mangeant. » Mange toi le premier massif. Croque le. Gobe le. Comme un fruit magnifique qui dépasse de la corbeille. A la fin de celui-ci, tu décideras. Mais pas avant. 10.. 9.. 8.. 7.. bordel ça recommence.. 6.. 5.. pas d’excès dans la douleur.. 4..3.. mais envoie quand même un peu.. 2.. tu aimes ça, pas besoin de te le rappeler.. 1.. et c’est partiiiiiiiiiiiiiiiiiii pour l’UT4M. 181 km / 11.000 de dénivelé positif. Que je vous ferai partager massif par massif dans les jours qui viennent. J’espère vous faire savourer le Vercors. Vous faire aimer détester le Taillefer. Vous faire re-découvrir le goût de Belledone. Et enfin avant de partir, un petit coup de Chartreuse pour la route. 

On m’a vu dans le Vercors. 

Le Vercors. C’est une caresse avant le passage à l’acte. Un premier massif à passer rapidement, mais en faisant attention à ne pas y laisser trop de forces avant d’attaquer la nuit dans le prochain. 47 km et 3156 m D+ jusqu’à la première base vie. Sur le papier ça peut paraître un gros morceau. Mais avec la forme cela se fait bien. (6h de course pour moi). 

Cela se fait bien avec la forme. D’accord. Mais justement, le soucis là, c’est la forme. Je ne pars pas comme une brute. Il est loin le départ à 3:20 au kil’ de 2018. Ça part, mais ça évite de monter le curseur dans la zone rouge. Deux vagues sont parties 40 et 20 minutes avant nous. Logiquement, on devrait les récupérer dans la montée. Je ne me presse pas. Je laisse quelques coureurs partir. Cela monte très légèrement. Je peux encore courir sans difficultés. Je commence à me mettre dedans. Les sensations de course reviennent à moi. J’oublie mon entorse. J’oublie ma fatigue. Je me sens tout simplement bien. Je n’abuse pas non plus. 

Je branche mon MP3. Première musique : « You are beautifuuuuuuuuuuul ! No matter what they say ! Words – can’t – bring you down, oh no ». Cela déclenche en moi une énergie folle. Celle que j’ai au quotidien. Cette fougue que j’aime tant. Qui me joue des tours parfois, mais qui me caractérise si bien. Et si au final, l’appétit venait vraiment en mangeant. Et si ces quelques premiers kilomètres avaient réveillé l’homme des montagnes enfermé au fond de toi. Je sors les bâtons. (Et oui. Par ce qu’il faut pas déconner quand même. Partir sans bâton sur l’UT4M je l’ai fait une fois. Ça m’a calmé à vie). Je n’y ai pas touché depuis quand ? Ça doit bien faire 1 an et demi. Comment ça marche déjà. Allumage du cerveau. Les réflexes reviennent. Souvenir d’une vidéo de Kilian dans la montée après Les Houches sur l’UTMB. Un geste fluide. En balançant à contre-temps léger le bâton droit puis le bâton gauche. Ctrl-C. Clic droit sur Casquette Verte. Ctrl-V. Les 2 premiers coups de bâtons sont hésitants. A partir du 3ème, le corps retrouve ce tempo si caractéristique, ce pendulier asychronisé. Nous ne sommes pas sur un berger qui tient le bâton. Nous sommes sur une majorette. Bon, en short, avec des chaussures de Trail et un sac gros comme une maison sur le dos. Mais on est dans de l’esthétisme au service de l’efficacité. 

J’attaque la montée de manière plus sérieuse. Je dépasse les quelques coureurs partis devant. Et je pars. Je récupère rapidement les derniers coureurs des vagues précédentes. Je discute rapidement en les dépassant. J’accueille les encouragements avec délectation. Et je rigole discrètement dans ma bave des « Ah. Bah. Voilà. Il nous a déjà mis 40 min ». Ça attaque le tremplin olympique. Une broutille. Il m’avait tellement fait peur, il y a 2 ans. Les choses changent. L’insurmontable devient normalité. 

Premier ravitaillement. 12km/1.140 m D+ en 1h18. Propre. 1er au classement. Maintenant, on se détend. Tu t’es testé. Tu as bien vu que ça pouvait aller. On enchaine tranquillement. Tranquillement, OK. Mais est-ce que je vous ai déjà parler des conditions de courses ? La boue partout.. la glaise qui fait sluuuorp sluuuorp.. les bassins pédiluviens.. les rochers détrempés. L’averse dans la nuit. Le brouillard dense pendant plusieurs heures qui ne te permet pas de voir à plus de 3 mètres devant. Je ne vous en avez sûrement pas parler. Pourquoi ? Et bien par ce que même si on s’en plaint. Est-ce que c’est pas pour cela que l’ultra-trail est formidable. C’est ce petit côté piquant qui donne à la sauce ULTRA un goût d’exceptionnel. Et j’ai pas mis longtemps à la goûter. Sortie du premier ravitaillement, quelques centaines de mètres en sous bois. Première légère descente dans la boue. Le Parisien est courageux. Il y va. Avec un peu de vitesse ça devrait passer. Deux pas plus loin.. « Ziiiiiiiiiiiiiiiiiiip ».. « This is a fabulouuuus one pied en extension sur quelques mètres , with a tentative of rattrapage qui aggrave the situation ». Note artistique : 9/10. Voilà. C’est fait. Je suis couvert de boue. Des crampons à la visière. C’est parfait. Quand on aime pas se changer en ultra. Je me lève, (et je te bouscule) et je repars d’un pas moins serein. GROSSIÈRE ERREUR. 20 mètres plus loin. Rebelotte. Zip-tentative de rattrape-loupage total-bain de boue. Voilaaaaaaaaaaa. Que la journée commence bien. J’en rigole. Et je file. 

Je finis la montée plus sagement. Le rythme est bon, mais je me laisse locomotiver par quelques mollets de coureurs entre deux accélérations. Passage par Lans-En-Vercors. Ravito. RAS. Eau-Saussicon-bout d’orange. Ça repart. Je cours presque de façon détachée de cette course. Je me donne toute liberté. Aucun contrainte. Je ne suis pas en train de faire l’UT4M. Je suis en train de faire une balade d’avant course. Puis ça sera la nuit. Et enfin la course commencera, vers le km 90. Pas avant. 

On attaque la descente. Les améliorations repérées dans ce domaine sur l’Ultra01 sont là. Bonne nouvelle. Bon. Aujourd’hui pas de descente à 17 km/h comme à Nantua. Le terrain ne s’y prête pas. Nous sommes dans une sorte d’Aqualand.. mais un Aqualand avec des tuyaux de boue. GadouLand. J’ai aussi appris à gérer ce type de descentes. Je sais de mieux en mieux où prendre mes appuis. À quel moment ne pas freiner. À quel moment glisser plus que courir. Quand c’est réussi. C’est agréable. Sinon c’est l’enfer. Là. C’était plutôt réussi. Je suis content. Fin de la descente, l’organisation nous a détourné pour éviter une cascade boue. Je dis pas non. Car même si ça se passe bien pour moi à ce moment là. Plus j’évite la boue, plus j’évite de m’épuiser. De tirer sur les tendons par glissage et crispation. 

Nous prenons donc 7 km de replis pour finir la descente. Tu pars pour 175 km.. ça se transforme en 182 km. Pareil. Il y a quelques années j’aurai été frustré, presque trahi. Mais aujourd’hui, et bah je m’en fiche totalement. 10 – 20 – 30 km en plus.. vas-y. Met. Met. Entasse. Je prends. Je ne regarde plus le kilométrage de la montre entre le départ et l’arrivée. Je ne regarde plus le nombre de km entre deux ravitos. J’ai même tendance à ne plus regarder le profil. L’Ultra devient de plus en plus pour moi un grand tapis roulant (roulant.. lol) sur lequel je suis placé… je découvre en arrivant dessus les difficultés. Et j’avise en fonction. C’est nouveau pour moi ce mode de course. Mais j’aime cette liberté. Ne pas s’enfermer dans un profil. Ne pas se fixer des temps de passage. Juste se manger les difficultés comme elle viennent. Et pour ceux qui aiment le beau football.. avouez-le.. il y a ce quelque chose en plus.. ce quelque chose de magique qui se passe lorsque le commentateur prononce ces trois mots annonciateur de poésie dans la reprise de volée « Comme elle vient ». Voilà. Maintenant. Les ultras pour moi c’est « comme elle vient ». Comme elle vient.. d’accord. Mais d’ailleurs qui voilà. C’est – la – nuiiiiiiit. « Coucou petit homme. Ici la nuit. J’espère que tu es prêt. Arrête toi à Vif (première base vie • 6h de course). Ravitaille toi rapidement. Et rejoins moi dans le Taillefer. Je ramène quelques copains. Brouillard. Averse. Vent. Boue. Et n’oublie pas ta fatigue qui va te tomber dessus, hein. Tu vas voir.. ta stratégie du beau jeu. Ton « comme elle vient ». Tu vas voir… ». 

Un coup de moyen bien nommé « Taillefer » . 

Nous en étions à la Nuit qui me menace. Rien que de l’écrire. Là. Je frémis. Et bien, elle a bien fait cette nuit de me menacer. Car elle me transforme la nuit. Elle me transforme en un être à deux pattes. Courant en une unique dimension. Celle de la Petzl qui éclaire les quelques mètres devant lui. La nuit, tu pourrais me faire passer à côtés de mes proches, de La Joconde, d’une tournée de pintes, ou d’un accident grave de voyageur… si tu n’es pas dans mon faisceau, tu n’existes pas. Il ne faut pas chercher plus loin. Dedans. T’existe. Dehors. Tu n’existe pas. D’ailleurs, existe-t-il vraiment un monde quand tu es seul. Dans le brouillard. Que tu vois à 3m devant. Je me pose la question parfois durant les nuits sombres. Le monde continue-t-il de tourner ? Est-il en pause ? T’attend-Il ? Est-ce la solitude qui rend ce moment unique ? Ou est-ce ce moment unique qui te fait aimer la solitude ? 

Vous devez le percevoir. J’affectionne tout particulièrement la nuit. Elle me protège. J’adore d’ailleurs ces horaires de départ d’Ultra. Les milieux-fins d’après-midi. Quand tu as quelques heures un peu inutiles mais agréables à passer pour attendre la nuit. Une nuit entière, avec un début et une fin.. deux points assez lointains pour créer un réel souvenir. Mais assez proches pour n’être qu’un moment de quelques heures. Et puis une journée dernière pour finir le travail commencé. 

Et bien cette fois. J’ai beau aimé la nuit. J’ai beau l’avoir adoré celle-ci. Celle-ci m’a mis en confiance sur sa première moitié, pour mieux me quitter avec pertes et fracas sur la seconde. Je m’explique. Enfin je vous explique comment moi je me l’explique. Qui dit « nuit » dit tout simplement « envoyer message au cerveau de dire à tous ces copains organes que bientôt : youpi dodo ». 

Je schématise. Reprenons. « Tous les organes reçoivent : youpi – dodo… » mais léger soucis, nous recevons un contre-ordre mon colonel. Apparement, notre hébergeur nous refait une nuit à courir dans les montagnes. Je répète. L’idiot qui nous héberge est entrain de se manger plus de 3000 mètres de dénivelé en 35 bornes, et j’ai l’impression qu’il en reste derrière Jacqueline. Avis à tous les organes.. on déploie le plan « Économie d’énergie ». Les glycérines : Couper lui les ressources. La vessie : Hisse le drapeau jaune. Le système nerveux : Vas-y. Éclate toi. Fais lui la totale. Tu l’attaques d’abord avec des picotements dans toutes les extrémités histoire de pas lui faire peur. Et si ça ralentit pas. Tu balances les grosses chutes de tension. Caresse le 7-8 de tension. Généralement, ça le calme. Estomac : Muscle ton jeu estomac. Point de côté.. tu connais le refrain. Épaule et biceps : Désolé, on avait oublié votre existence sur le mollusque à Casquette Verte. Pas de timidité dans la sensation de douleur hein. Il vous utilise une fois tous les 2 ans pour se faire un ultra en bâtons. Donc.. pas de pitié. Rappelez-lui qu’un muscle qui ne s’entraîne pas.. c’est un muscle qui s’exprime. Sphincter ? Sphincter ? Il est où celui-là ?! Encore fourré avec la prostate. Bon. Vous. Laissez le tranquille. Mais tous les autres : un seul mot d’ordre.. je veux qu’il souffre. Et de la pire des souffrances. La souffrance de fatigue extrême. Celle qui vous met à terre. Vous marche dessus. Vous écrase de tout son poids contre le sol. Qui s’éloigne. S’arrête. Se retourne. Et vous donne un grand coup de Doc Martens dans les abdos. Histoire de. Voilà. Voilà, comment ma seconde partie de nuit peut se résumer. Un enfer. Une énergie qui disparaît totalement. 

Au mauvais moment d’ailleurs. Généralement, dans les descentes pleines de cailloux glissants. Là, où mon corps se crispe. Mais tant que c’est dans les descentes au final, ça va. Au bout de quelques minutes, le rythme revient. Mais le problème, c’est quand ce grand coup de pompes intervient dans une montée, et que la gravité ne joue plus en ta faveur. 

Nous sommes un peu après le lever du jour. Je suis dans la longue descente en direction de Riouperioux. Bon.. un peu plus de 5 km pour descendre 1 700 D-. Logiquement, ça devrait pas remonter… et bah.. mesdames et messieurs.. le traceur a eu l’imagination loufoque de casser cette descente par un petit coup de cul à la fin du premier tiers. Quelque chose de pas bien méchant. Un petit + 100.. et encore.. qu’est ce que ça représente quand tu t’attaques à 11 K D+. Et bien ce que ça représente c’est le paroxysme de mes moments de moins bien de la nuit. Je sens mon cœur battre de manière totalement normale. Trop normal. A ce rythme de battement, justement je ne devrais pas le sentir. Mon souffle ralentit lui aussi. Même si mes pas et mes plantés de bâtons sont encore rythmés, tous les autres mouvements non frénétiques se ralentissent. Lorsque je tourne la tête légèrement sur la gauche pour regarder au loin. Ce mouvement se fait au ralenti. Une éternité s’écoule avant que je n’arrive à 90°. Une seconde éternité passe alors que je cligne simplement des yeux pour réaliser ce qu’il m’arrive. On est dans de la bonne grosse chute de tension là. Je tente d’oublier. D’avancer. Si la marche et le bâton fonctionne. Bah.. écoute.. on va arrêter de faire autre chose. Voilà tout. Je suis tout de même attentif, je me dis de prendre un coup de fouet comme je le fais souvent pour sortir de ce type d’impasse. Et puis aussi par curiosité sur cette drôle de sensation : je tente de prendre un gel. Je les stocke dans les poches latérales à l’arrière de mon sac. Un peu de contorsion. Un petit coup de poignet pour dezipper. Et le tour est joué. En théorie…. Je ne vous fais pas les 8 éternités qu’il m’a fallu pour arriver jusqu’au zip. Puis les 12 éternités pour ne pas réussir à l’ouvrir par manque de force. Et enfin je reprends. Je m’arrête de courir. Cette poche ne peut me résister bien moins longtemps. Je suis en contorsion totale. Je fais un effort sur le moment surhumain (pour ouvrir une poche.. hein.. je rappelle la cocasserie). J’arrive enfin à attraper le gel. Je ferme en à peine 4 éternité la poche. Et j’avale lentement ce gel. Avec ça. Logiquement, plus d’ennuis. Aller.. on est reparti.. 

« Non. – Comment ça non ? – Bah. Avec les camarades organes, nous nous sommes mis d’accord. On ne repart pas. – D’accord. Très bien. Et qu’est ce qu’on fait alors ? On reste là au milieu de la montagne.. on abandonne l’ultra-doublette ? Soyez un peu raisonnables messieurs. – Écoutez. Moi et mes camarades nous te proposons une négociation gagnant-gagnant : Tu tentes des micros-siestes de 20 / 30 secondes. Et on avise de la situation après ça. D’accord ? »- Me voici donc.. sur la presque fin du Taillefer. Au petit matin frais. A l’arrêt complet entre deux rochers. Les deux bâtons pointés bien ancrés dans le sol. Les mains resserrées. Et la tête lourdement posée dessus. Appelons ce geste technique le « Le flamant rose qui va faire : Hein quoi ? ». Je ferme les yeux. 5 sec. C’est reposant. 10 sec. C’est si agréable. 15 sec. Guuuuuula wooooongluuuuua, oh les plumes qui volent. 20 sec. PNC aux portes. Désarmement des toboggans. 25 sec. Et top départ. C’est parti en sommeil profond. (Je vous rappelle que je suis actuellement sur un single entouré de dangers, dans la position du flamant rose qui va faire : hein quoi ?). 26 sec. Léger déséquilibre à gauche. 26.5 sec. Ça s’emballe dans la chute. 27 sec. On déclenche l’instinct de survie. 27.1 sec. Heiiiiiiin quoi ? Qu’est ce qui se passe. 28 sec. Reprise en main de la bécane. Stabilisation de l’appareil. Analyse système. 

Voilà.. voilà le type de moment de moins bien que j’ai pu vivre pendant cet UT4M. Beaucoup dans Taillefer (on va dire 15/16 fois) et aussi quelques fois dans Belledonne. Je ne crois pas à un complot de mes organes contre moi. Bon. Faut avouer que la voix qui me contredit tout le temps qui me trotte dans la tête, à qui j’invente des répliques, et des répliques à mes répliques.. est franchement louche. 

Mais en réalité, je pense que deux facteurs sont à l’origine de ces chutes de tensions terribles. 1ère facteur. Et attention vous allez être surpris : « C’est par ce que j’étais fatigué 6 jours après un ultra ». Merci aux fins commentateurs de m’avoir d’ailleurs prévenu dans les commentaires les jours précédents. Sans votre analyse poussées et pertinentes, je ne l’aurai jamais deviné. 

Second facteur, et là il y a une piste à fouiller. J’ai tendance à prendre beaucoup de gels en course. Mais surtout beaucoup de gels très tôt dans la

course. J’ai mes lointains cours de SVT qui reviennent à moi. Avec les pics de glycémie. Les rechutes. Ce graphique en vol d’oies. Qui dans un schéma d’Ultra ne peut pas tenir la tangente plane sur la durée. Je pense souvent un peu trop au moment que je viens m’aider par le fait d’avaler un gel (avant une montée par ex). J’anticipe bien cette partie. Mais par la même, je fais totalement abstraction de la rechute qu’il y a dernière (hypoglycémie) et à quelle moment elle va arriver. J’ai déjà des pistes de solution en tête. J’en parlerai si ça fonctionne. Trêves de bla-bla-bla on finit le Taillefer avec François. Une superbe descente. Longue. Mais agréable. Sur un terrain meuble. Riouperoux approche. Et avec lui la seconde base vie. Mais surtout ma vengeance. Ma vengeance sur le double KV qui permet d’attaquer Belledonne. Toi. Mon coquin. Je t’attendais. Me voici. Je vais t’humilier. Enfin on va voir. 

Belledonne – La magie de l’Ultra-trail. 

Base vie numéro 2. Rioupéroux. Km 97 / 6.600 m D+ et 15h de course depuis le départ. J’ai traversé la nuit dans la souffrance. La fatigue absolue. Le manque d’énergie. L’impuissance la plus totale. Ce moment est traversé. La fin de la descente m’a permis de reprendre vie.  Et ça tombe bien car dans ma tête la course commence maintenant. Encore 80 km.. et un peu moins de 5000 m D+ sur deux massifs. 

J’ai fait le choix pour la première fois en course de changer de chaussure. Je prends le temps d’enlever toute la terre présente sur mes pieds. De bien les nettoyer. J’abandonne les SLab Ultra 3 et je les remplace par des Salomon Glide. J’avais remarqué le super amortie et le grand confort à l’entraînement. Je m’étais dit que pour traverser Belledone et pouvoir envoyer à la fin sans penser aux douleurs des cailloux sous la semelle, c’était la parfaite stratégie. Ça le fut. 

J’attaque donc le troisième massif. Belledone. J’en garde le souvenir de l’enfer sur terre pour celui qui n’est pas amis des cailloux et du technique. Mais surtout je me rappelle que la porte d’entrée est un double KV dans lequel en 2018 j’avais pris une sacré leçon d’ultra-trail. C’est donc avec un esprit de revanche totale que je l’attaque. Cher double KV, je pars la pointe dont vous espériez me faire don. Je sors mon espadon. Je vous pique. Là. Dans le flanc. Et je vous transperce. Voilà. Voilà ce que j’aurai écrit double KV si seul je vous avais monté. Mais le timing en a voulu autrement. Je suis parti après des vagues de coureurs du 20 ou du 40 Belledonne. Me voici donc dans mon combat pour mettre à terre ce double KV.. accompagné de chenilles grimpantes bâtons à la main. C’est terrible comme situation. Tu as envie d’envoyer tout le long. Mais après chaque accélération, tu te retrouves gêné dans ta progression par des grands groupes de coureurs qui sont eux aussi dans un effort intense à leur niveau. Je passe à gauche. Je passe à droite. Je m’excuse. J’encourage. Je perds une énergie folle pour tous ces à-côté. Au final. Je l’ai dévoré. J’ai eu ma vengeance. Mais elle a manqué selon moi de panache. Je pense que je vais devoir y retourner… fin du double KV. 

Petit replat sur quelques km pour relancer. Et on attaque le vrai Belledone. Le Belledone magique et terrible à la fois. Le Belledone minéral. Le Belledone technique. Le Belledone où l’on passe une fois et l’on a une seule envie par la suite : y retourner. Que c’était dur. Mettre ce niveau de difficulté entre 100 et 120 km. Après 17h de course. C’est croire que l’humain est plus fort que tout. C’est croire qu’un parisien bien entraîné peut y survivre. J’aime ces croyances. J’aime cet espoir. Mais à ce moment là. Pendant les 5 grosses heures passées à crapahuter sur les hauteurs de ce massif. Tu as beau croire en toi. Tu as beau savoir que c’est possible. Il y a des moments où cela dépasse tes limites. Le verre d’eau à raz bord. Et plop. Le rocher dans le genou. Le déséquilibre dans une descente. La chute dans un névé. Ça déborde. Et quand ça déborde chez moi. C’est juste pas beau à voir. 

Je contiens tout. Tout le temps. Les souffrances je me les garde. Une petite vanne par ici, un sourire par là.. je cache mon mal-être. Mais dans Belledone. C’est aller quelques fois au dessus de la limite. Et je me suis surpris à être énervé. Énervé déjà par ce que j’étais épuisé. Et que mes baisse de tension commençaient à revenir. Énervé car dans les cailloux, je n’avance pas. J’ai l’impression de perdre énormément de temps. Tout le monde me dépasse. Et moi. Rien n’y fait. Je suis bloqué. A l’arrêt. Prudent certes. Mais tellement leeeeeeent. Raaah. Rien que d’en parler, j’ai cette arrière goût amer dans la bouche. Je ferme cette porte. Je sais qu’il faudra forcément la re-ouvrir avant la diagonale. Mais là, on l’oublie quelques semaines merci. 

Ah oui. Si. J’oubliais. Vous vous rappelez que j’avais une entorse en partant vendredi. Et bah là.. ce n’est pas par ce qu’on est samedi midi qu’elle a disparu. Belledone. C’est un peu un test antigenique d’entorse. Et pas besoin d’attendre un quart d’heure. Si ça fait aïe à chaque pas. Pas d’hésitation. Tu es entorse-positif. Bref. Un long moment de joie, de caresses et de bonheur. 

Dernier petit souvenir des hauteurs de Belledone : La bientôt mythique scène du « parisien dans un névé bâtons à la main ». Par sympathie, et surtout générosité, le traceur a décidé de nous faire traverser des petits névés. Qui je pense pour des montagnards sont plus des petits monticules d’eau gelée que des névés au sens littéral du terme. Pour moi.. c’était comment dire.. Comment peut-on qualifier la présence d’un corps étranger sur une surface glissante non adaptées. Une sorte de rencontre du troisième type entre ce que je connais de la physique terrestre et un sol de fast-food qui vient d’être nettoyé. Revenons à la scène : Je descends. Dans le névé. Comme tout le monde j’ai vu les belles vidéos Salomon avec les élites qui font mumuse à descendre pleine balle dedans. C’est beau. Mais c’est beau par ce que c’est eux. Je tente l’aventure 4 sec. Ça part de partout. Ça ne va pas. Stoooooooop. Changement de stratégie. Reste dans ce que tu sais faire l’ami. Prudence. Lenteur. Et sensation d’inconfort. J’y retourne. Ça ne manque pas. Je prends un peu de vitesse. La partie gauche de mon corps commence à partir. Je tente un planté du bâton nerveux à droite. Ça se plante bien. Trop bien. Il ne ressort pas. Tout mon corps attiré par l’inertie continue lui lamentablement sa chute. Jusque ce que les limites de mon mètre soixante-quinze soient atteintes. À ce moment très precis. Je suis déjà tombé. J’ai le nez et la bouche dans la neige (sale). Je suis étrangement à l’envers. Le bras tendu vers le haut a 60 cm du sol. Tout mon poids repose sur le gantelet de ma main droite qui est resté attaché au putin de bâton de merde qui est planté dans la neige. (Quand je vous dis que cela me rend nerveux ^^). Histoire de rajouter de l’amusement à ce passage délicat pour mon égo.. des éléments présents dans mon sac trouvent l’instant opportun pour se faire la malle et faire la piste de ski en solo. Mentalement. Je souffre. Mais j’arrive à en sourir. Un rire nerveux. C’est sûr. Mais quel moment de ridicule formidable. Ça se dit ultra-trailer. Mon cul sur la commode ouais.. ultra-trailer de parc et jardin va ! Je mettrai une bonne minute à reprendre le dessus sur la situation. 3 minutes de plus pour sortir le bâtons de la neige. Et quelques minutes à partir à la chasse à mon permis de conduire et à mon sifflet dans la neige molle du névé. Du bonheur je vous dis. 

Fin de la cour de récréation. On range les cailloux dans les cartables. Et maintenant on file tout droit vers la dernière base vie. Un tout droit pas vraiment droit, et plutôt pentu. En gros 20 bornes et – 2.000 mètres de dénivelé. En vrai. Rien que de le dire, ça calme. Mais nous sommes un peu avant le Refuge du Pré Mollard (Ps : j’ai toujours été fasciné par la qualité du naming en secteur montagnard. Tout un univers qui mériterait un dictionnaire entier).. la descente n’est plus technique. 

Je viens de passer 7h de pré-chauffe. 14 h ensuite dans le dur. Le prochain chapitre s’appelle « je te donne 9h pour arriver à Grenoble ». Et c’est ce que j’ai fait. Je me suis mis en tête cette phrase de laquelle j’ai beaucoup appris en ultra « Si tu veux que les douleurs et la souffrance cessent.. alors avance le plus fort possible »… et c’est parti… et vas y que je vis mon second souffle. Je re-cours sans interruption jusqu’à St Nazaire (km 140/9000 D+). Une moyenne a 10km/h à bientôt 24h de course sur 20 bornes de descente. Faudra que je me le répète 2 – 3 fois avant d’y croire. 

La descente se termine. Traverser de la vallée. Je ne coupe pas l’effort. 6 km de plat. C’est cadeau. J’en profite pour prendre un sale coup de soleil. Pas grave. Le poulet est toujours meilleur quand la peau croustille. Je file vers St Nazaire. Dans ma tête, c’est une simple marche. Je suis déjà dans la suivante dans ma tête : La traversée du massif de la Chartreuse et l’arrivée sur Grenoble. Et on parle dans le prochain récit 🙂.

Chartreuse cul-sec. 

J’arrive à la dernière base vie. Saint Nazaire. 15 minutes d’arrêt. On ne va pas se mentir, je traîne un peu. Certes, j’ai envie de terminer rapidement, mais depuis le départ je ne connais pas du tout mon classement. Je pense être entre la 6eme et la 13eme place. Dès personnes sur le

bord du chemin m’ont donné quelques infos. Mais j’ai tendance à ne jamais les croire. En m’asseyant dans la salle pour récupérer quelques gels, je me retrouve à côté de Mathieu, qui s’occupe du système de chronométrage Livetrail. C’est trop tentant. 

Tu peux me dire où j’en suis ? Alors là, il y en a 2 qui sont partis il y a 40 min. Vous êtes 2 dans la base vie. Et derrière c’est pas tout proche. D’accord. Donc là, tu viens de me dire que je suis à la porte du podium de l’UT4M ? Pourquoi cela ne m’excite pas. Je ne comprends pas. En temps normal, j’aurai tout lâché et je serai parti en courant comme un fou. Là, pas du tout. J’ai pris le temps de me ravitailler (Merci Aurélien Collet pour la belle assiette de pâtes), de papoter. Bref. Zéro pression. Mais il est temps de partir. Alors.. go.. je demande à Mathieu le temps que va mettre le premier pour avaler le massif. Il me dit « autour de 7h ». Je me fixe cet objectif. C’est parti. (Je mettrai 6h30). 

Je sors de la base vie en marche rapide. François, un autre coureur qui connaît bien le coin est parti juste avant. J’ai beau être déterminé, je n’ai pas envie de m’attaquer à la remontée de la Chartreuse en solitaire. Je le rejoins donc. On attaque la montée ensemble, et nous le ferons ensemble tout du long. Et vas-y que ça blablatte.. l’avis sur les nouveautés de l’UTMB. Les infos sur la HardRock. Les courses déjà faites, celles à faire. Le ressenti sur la nuit. Bref tout y passe. Et c’est un grand moment de plaisir comme on aime à les partager en montagne. Durant la montée, nous évoquons le podium. On parle des différentes options : Finir ensemble. Laisser l’un ou l’autre devant s’il en a le plus envie. Ou voir tout simplement qui a encore de la fraîcheur pour avancer et dans ce cas, il part. La troisième option fut la bonne. Et cela me frustre un peu. 

Dans une montée. Un peu sèche. Je commence à vraiment avoir les sensations qui reviennent. Je suis plus lucide qu’à n’importe quel moment de la course. Cela doit faire pourtant 26 ou 27h que je cours. Mais c’est maintenant que je suis frais. Je grimpe bien sans avoir à me mettre dans le rouge. Sans trop m’en rendre compte, je n’entends plus les pas de François derrière moi. J’hésite un instant à m’arrêter et à l’attendre. Je me pose la question. Et je décide que je suis frais. Que je suis capable de terminer fort. Que j’ai envie de le faire. Je regarde les zig-zags plus bas pour lui faire un signe. Je ne le vois pas. Tant-pis, je le croiserai à l’arrivée. 

Et c’est parti. Je me mets dans la tête que le second est peut être proche. Et que ça pourrait être marrant d’aller le chercher. Un bénévole un peu plus loin me dira « il est passé il y a 15 min ».. bon.. vous connaissez les bénévoles hein. En fait c’était plutôt 40 min. Je ne lui reprendrai que quinze minutes sur les 30 derniers km. Mais bon. On lui en veut pas à notre bénévole. Vous m’auriez vu dans ces derniers km. Qui ne sont pas les plus simples d’ailleurs. Pas mal de dénivelé positif et négatif. Mais l’intégralité ou presque de la distance est courable. Rares sont les % trop élevés qui l’empêchent. Je me suis même épaté à courir toute la remontée en gros faux-plat après le col de vence. Quand tu te dis que quelques dizaines d’heures d’effort en arrière tu t’endormais de fatigue totale sur tes bâtons. Le corps humain est incroyable mesdames et messieurs. Et l’Ultra permet vraiment de s’en rendre compte. 

Je vous fait abstraction de tout le finish. En très très résumé : Moi. Vouloir que ça se termine très vite. Moi. Lucide. Moi. À bloc. Moi. Courir tout le temps jusqu’à ligne d’arrivée Grenoble. Et c’est loiiiiiiiiiiin Grenoble. Même quand tu vois les lumières de la ville. Claude me rejoint dans la ville pour finir avec moi. Je suis frais comme un gardon. Enfin, par rapport à lui. (Claude est le responsable du balisage, des ouvreurs, des serre-files sur l’UT4M.. donc autant vous dire que pour lui c’est pas 30h03min d’ultra.. mais 4 jours de suite sur l’ensemble de l’événement). J’arrive à l’arche. Un petit 360° bien fatigué par rapport à celui de la semaine dernière. 

Je suis content. Mais je n’explose pas de joie. Soit, j’ai vécu trop d’émotions de course intenses ces derniers 8 jours, et je me rends pas bien compte de ce que je viens de réaliser. Soit en fait je suis dans mon schéma classique de me dire que j’ai pris quelque chose qui à un instant t me paraissait totalement impossible. Je me suis bien donné pour le réaliser. Maintenant que c’est fait. Bah, c’est juste normal. Rien d’exceptionnel là dedans. Je ne sais pas. C’est peut être encore trop frais. Ou alors je n’ai plus la bonne échelle pour graduer ce que je fais. Prenons quelques jours-ci et faisons la synthèse de l’aventure (dans le prochain récit).  

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 by @nacho_grez

Ultra-Doublette • La synthèse de cette connerie. 

Cette doublette. Aussi rapprochée. N’était pas voulue. Comme souvent depuis 1 an et demi, il a fallu s’adapter aux fluctuations. Aux choix contraignants individuellement mais collectivement nécessaires. J’ai cette image en tête : Dans le film « Le sens de la fête » où mon tant regretté Jean-Pierre Bacri clame un « On s’adapte ! » lorsque tout ne se passe pas comme prévu. 

Et puis, plus que le défi sportif c’est aussi, et avant tout par amitié que je me suis mis dans cette panade. Amitié envers Alexandre de l’Ultra01 et amitié auprès de Claude de l’UT4M. On oublie trop souvent l’importance des relations humaines dans l’Ultra Trail. On oublie trop souvent les humains qui se démènent pour nous organiser nos ultras. Tenter cette doublette. C’est aussi un peu leur dire merci. Ainsi qu’à tous les acteurs, les bénévoles et les partenaires qui se sont sortis les doigts pour que ça puisse avoir lieu. Merci à vous. Merci de m’avoir permis de tenter cela. 

Revenons un peu plus sur l’aspect sportif. Enchaîner deux ultras sur une semaine. C’est loin d’être un record ou une performance quand on regarde de plus près les performance de beaucoup de supers coureurs et coureuses qui communiquent moins que moi. Que dire lorsque l’on voit ce que Claire par exemple fait depuis 4 semaines et va encore faire pendant les 8 semaines qui viennent. Et bah. On peut dire que je suis un petit joueur au regard de ses performances. Un petit joueur. Certes. Mais à chacun ses défis. Pour moi, s’en était réellement un immense. Le réussir. Enfin, le réaliser fut un réel plaisir. Se sortir de sa zone de confort. Accrocher une victoire et un podium. C’est exceptionnel pour moi. Je ne veux pas minimiser cela. Même si je sais qu’au fond, ce n’est pas si incroyable. Je ne sauve pas des vies. Hein. Je ne fais que courir. Quelques dizaines d’heures en montagne. Un pied devant l’autre. 

Ça serait à refaire. Je ne le referai pas. Pourquoi ? Tout simplement car c’est une souffrance. Une souffrance physique, cela va de soit. Une souffrance mentale. Mais aussi une sensation de « trop plein ». Trop plein de retours sur les réseaux sociaux. Une sensation de trop plein de sollicitations. Et une sensation de trop plein de temps loin de ces proches. Je cherche en permanence l’équilibre entre entraînement, course, vie pro et vie perso. Là, il y a eu un déséquilibre. Merci à ma copine tout particulièrement d’avoir pris sur elle, pour m’accompagner à distance dans ce trop plein. 

Je le répète : Un ultra reste une aventure à chaque fois. Je ne suis pas du genre à me dire que ça va le faire à chaque fois. Recommencer deux fois ce schéma mental pour se conditionner à aller au bout, et réussir mes courses est quelque chose d’éprouvant. Je ne le conseille pas. 

D’un point de vue physique, je suis plutôt très content de mes prestations. Je souffre beaucoup moins. La gestion et l’expérience acquise lors de mes 3 dernières années très impliquées ont permis cela. Je ne dis pas que je vais m’arrêter tout de suite. Mais une bonne partie de ce que je voulais faire est déjà fait. Maintenant, je ne dis pas non plus qu’il ne me reste pas d’autres envies. D’autres objectifs. Il y a notamment ce fameux top 10 sur la Diag’ qui me tient en haleine. Et puis quelques autres belles courses qui m’attendent encore. Je peux encore m’améliorer sur quelques aspects. Et je sais que je peux le faire. 

S’il faut gagner des places au classement, je sais que la triche mécanique des bâtons peut m’aider a cela. J’ai calculé pendant mon UT4M que j’économise autour de 1,2 foulée sur 3 en les utilisant. Et sur le long, c’est clairement ce qui peut me faire approcher des meilleurs. 

S’agissant du technique, si j’arrive à me focus dessus à l’entraînement, je suis convaincu qu’il y a encore quelques minutes à gratter. Bref.. encore de la matière à s’amuser. 

Pour le moment. Les prochaines semaines seront plus douces. On va maintenir la forme, et aussi un peu se reposer. Ensuite, rendez-vous fin Août. Dans 6 semaines : pour un UTMB en mode dernière révision avant la Diagonale des fous. Pour le reste du programme, on verra les dossards qu’on garde et ceux que l’on repousse : Diagonale des Yvelines en septembre. Ultra Maxi race fin octobre, et Lyon SaintéLyon en décembre. Je n’ai pas la tête à me replonger dedans tout de suite. Ça reviendra vite. Mais là. Pause. 

Il faudra ensuite aussi commencer à penser à 2022. Les voyages ultra-trail me manque un peu à vrai dire. Je pense que l’Ultra Trail du Mont Fuji (Japon) c’est encore mort cette année. Donc on va zieuter s’il y a pas une autre destination qui me chaufferait. Nord de l’Europe ? Québec ? Afrique du Nord ? On va commencer à y réfléchir. Sans se prendre la tête. Comme d’hab’. 

En tout cas, merci à tous d’avoir suivi mes aventures. Ce fut un plaisir de partager cela. On ne s’arrête pas de suite. Juste une petite pause. Pour faire redescendre la mousse. Avant de reprendre de grandes gorgées d’ultra désaltérantes, rafraîchissantes et nécessaires au besoin d’évasion qui est le mien. Passez un bel été. Courrez bien. Amusez vous bien. La vie ne vaut d’être vécue que si on la vie pleinement. Pleinement 😌

Une réflexion sur “Récit : UT4M (2021) – 175 Km / 12.454 m D+ / 3ème au scratch / 30 h 03 min 30 sec.

  1. Bravo, tu es au top. Un élite, un vrai ! Avec encore, parfois, une mentalité rafraîchissante de coureur du dimanche. Garde la foi et continue de déplacer des montagnes. Forza, la casquette verte !

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