Récit : UTMB (2021) – 172 Km / 10.055 m D+ / 43ème au scratch / 26 h 42 min 04 sec.

Récit : UTMB (2021) – 172 Km / 10.055 m D+ / 43ème au scratch / 26 h 42 min 04 sec.

Se lancer dans l’UTMB. C’est se lancer dans la plus grande course d’Ultra Trail de montagne au monde. Quand je dis plus grande, ce n’est pas de la longueur ou de la difficulté dont je parle. Je parle de la dimension de l’événement en lui même. De l’attractivité mondiale, de la pression médiatique, de la densité du plateau, de l’ambiance qui flotte dans l’air de Chamonix durant les quelques jours et nuits que traverse l’événement. On ne peut être totalement insensible à cette magie. On ne peut débarquer sur la ligne de départ comme sur une ligne de départ. Même lorsque, avec arrogance, on prend cela pour un « entraînement ». Dans les faits, cela ne peut l’être. On fait partie de quelque chose qui nous dépasse. Et d’un point de vu sportif, on prend conscience qu’on va forcément faire face à un monument de la discipline. Qu’on va prendre la réalité de son niveau en pleine face. Plus de « Il n’y avait personne au départ ». Plus de « Ça devrait le faire ». Tout. Tout est remis en question sous cette arche. On vient avec son bagage. Avec ses acquis. Avec ces certitudes. Et dès qu’on rentre dans le SAS, on perd tout cela. On se retrouve nu. Une nudité de pudeur. Du dernier amateur, au premier élite. Une nudité de respect. Une nudité nécessaire. 

Il est 16h20. J’ai encore 10 minutes pour me présenter sous l’arche. Les rues sont déjà bondées. La circulation piétonne se fait de plus en plus difficile. « Pardon. Excusez-moi.. pardon.. pardon.. poussez-vous, excusez moi. Poussez-moi, excusez-vous ». Je n’avais plus ressenti cette sensation de foule immense depuis des mois. Cela remonte à une époque où COVID et 19 n’était qu’un mot inconnu et un chiffre insignifiant. C’est agréable cette foule. Je suis totalement équipé. Le public regarde le trailer. Certains me reconnaissent. Me font un signe. Me demande un selfie. D’autres m’encouragent. D’autres, regardent simplement le dossard « 114. C’est un élite regarde ». 

Je me faufile jusqu’au pied de la banque de Savoie. J’y rejoins ma chérie. Je suis fier. Elle est dans le public, et va assister à son premier départ de l’UTMB. Elle va pouvoir toucher de près cette ambiance qui me fait revenir chaque année. Nous nous embrassons. Plusieurs fois. Ces baisers sont de ceux qui disent « J’y vais mon amour » – « Je te promets de faire attention » – « Donne moi la force d’y arriver » – « Je suis heureux que tu sois là » – « On se revoit dans quelques heures sur le parcours ».

Dernier baisé échangé. Il est temps. Je me dirige vers un accès qu’il faut se créer en traversant un ou deux rangés de foule. Ma vessie me rappelle à l’ordre. Je regarde ma montre. 16h28. 2 minutes pour rejoindre l’arche. Aller, j’ai le temps. Je pars en courant de l’autre côté de la rivière. Je trouve des toilettes publics. Et je reviens en courant. C’est maintenant. Je transperce les 3 – 4 lignes d’observateurs pour atteindre le tracé de départ et remonter jusqu’à l’arche. Le bénévole vérifie mon dossard et me laisse passer. Il s’agit maintenant de remonter l’arrivée seul au centre, entouré d’un public totalement fou. J’applaudis autant que je suis applaudis. Quel petit kiff l’arrivée des élites. Ça change des 3h d’attente sur la place du triangle de l’amitié. J’échange quelques mots avec madame Poletti. Et je me positionne à ma place. Quelques mètres derrière les vrais élites. Je retrouve quelques têtes connues. Nous discutons jusqu’à la cérémonie de départ. Cela finit de faire fuir le stress qui m’a envahit toute la journée. Les officiels enchaînent les discours. Le discours de l’ami du trailer décédé sur la TDS entre en moi comme un message à deux orientations. La première : La montagne est dangereuse. La seconde : On n’a qu’une vie. J’entends totalement ce message. Il fait partie de mes valeurs. Il finit de me convaincre que je suis bien à ma place. 

3 min du départ. Alors que chacun regarde le funambule passer au dessus de notre tête. De mon côté, je scrute les fenêtres de la mairie de Chamonix. Je cherche l’unique. Le seul. Celui sans qui le départ de l’UTMB n’a pas le même goût pour moi. Je parle d’Edouard Balladur. Je passe et repasse chaque fenêtre. Je ne le vois pas. Il est forcément là. Cela me frustre. Jusqu’au 20 dernières secondes, je n’aurai de cesse de l’attendre. Il ne viendra pas. C’est un signe j’en suis sûr. 20 dernières secondes. La musique du départ est prenante. J’en connais les accords. J’en connais les couplets. Je sais très exactement à quelle note, il faudra s’élancer. Je fais le point. « Tu as la diagonale des fous dans 7 semaines. Ne fait pas le foufou. Gestion de course jusqu’à Courmayeur. Et puis à Champex, on voit ce qu’il reste et on avise. Certes, tu trouves que les gens exagèrent sur les réseaux sociaux. Certes, il y a cette grosse pression que sans le vouloir, ils t’ont donnée en te pronostiquant très à l’avant. Tu le sais bien. Ce n’est pas possible au fond. Mais si. Mais si tu avais un jour de très bien. Ça serait formidable de se montrer aujourd’hui. De montrer de quoi tu es capable. Allez gamin. Oubli que tu es là pour l’entraînement. Et saisie ta chance. Fait du mieux que tu peux ». 3 – 2 – 1. Yuuuuuu Tiiiii èmmmme Biiiiiiiiii 2021. C’est parti. 

 CHAMONIX / Km : 0 / D+ : 0 / Class : 0

Vous ne serez pas étonné si je vous dis que le départ est un moment unique. La foule. Le bruit. Les encouragements. C’est tout simplement un moment d’exception. A vivre une fois dans sa vie. Bon. Personnellement, je l’ai déjà vécu une fois. Donc ce vendredi, j’ai plus envie de fuir Chamonix qu’autre chose. J’ai déjà envie d’être dans la nuit. Dans les grands espaces. D’être seul. Il faut donc faire passer ce moment le plus vite possible, sans se cramer. Je vois les 4h qui viennent, et qui me séparent de la nuit comme un espace temps tampon. Un moment à attendre que la course commence. Comme une préchauffe. Il faut avancer certes. Mais ça ne sert à rien de se cramer. 

Dans les rues de Chamonix, je tente de faire les bordures. Ma stratégie est de rattraper Courtney Dauwalter et de rester le plus longtemps avec elle. Enfin, sur ses temps de 2019. Je mets quelques grosses accélérations. Et j’arrive en me faufilant à la rejoindre. La montre bip les premiers km. 3min53. 3min59… voilà.. comme à chaque fois, l’UTMB s’est quand même un sacré délire. Partir à 16-17 km/h pour un 100 miles. Franchement. C’est n’importe quoi. Et puis en plus, je vois le groupe de tête avec les François, Xav, Jim, Tim.. et eux ils sont encore plus rapide. Quelle folie. 

Les kilomètres jusqu’au Houches se font bien. Je discute avec les quelques copains qui sont là. Coucou Jean-Marie. Coucou Mathieu. Je prends un peu d’avance sur Courtney. Tout va bien. Je ne surchauffe pas. Je laisse partir gentiment les foufous devant. Bref. Ça gère sa course. Un coureur qui me dépasse me demande « T’as pris ton duvet ? ». Il est vrai que j’ai un énorme sac. Pourtant, je n’ai fait que prendre le stricte minimum. Juste le matériel obligatoire. Pas plus. Pas moins. Quand je regarde autour de moi, les sacs que je vois sont beaucoup moins imposants. Pourtant, je sais bien que personne ne triche. Tout le monde flippe de se prendre des pénalités, ou une disqualification. Tout le monde a tout le matériel obligatoire. Et pourtant, mon sac est deux fois plus gros. Il va falloir que j’en parle un peu avec quelques super-élites. Ils doivent, je pense, utiliser des techniques de mise-sous-vide. Je ne vois que cela. Passons. Je suis habitué de toute manière. 

Arrivé aux Houches. Je prends deux gorgées d’eau au stand. Et je continue en compagnie de Courtney. Je lui fais la locomotive pour le début de la montée. J’ai la sensation de ne pas être à l’aise. Mais il est tôt dans la course. Ça va venir. Mes jambes ont généralement besoin de 20 – 30 bornes. Avant, c’est de la souffrance. Le temps que cela chauffe. Après quelques centaines mètres de dénivelé. Je commence à faiblir. La souffrance est légèrement trop grande. Je ne veux pas me mettre dans le rouge trop tôt. Je laisse filer Courtney en lui souhaitant bonne course. Je regarde ma montre. Je suis parfaitement dans ses temps de 2019. J’ai même un peu d’avance. Elle va clairement plus vite cette année. Sur la fin de la première montée, et sur la descente sur St Gervais, je me fais reprendre par le top 5 féminin. Coucou Mimi. Coucou Camille. Coucou Katie. C’est un réel plaisir de courir avec elles. 

J’ai le souvenir du moment de la bascule entre la montée et la descente. Un petit plateau, entouré de champs remplis de moutons et de patou. Ils ont l’air biens. Paisibles. La course ne les dérange pas plus que ça. Mais tout à coup. Alors que je suis avec Camille Bruyas. S’élève sur notre gauche un hélicoptère. Il se rapproche. De plus en plus près. En vol stationnaire. Le bruit est assourdissant. Les patous, voyant leurs moutons effrayés aboient de toutes leurs forces. Je ne les entends même pas. Quel est donc ce gros moustiques mécaniques qui ose déranger mes brebis doivent-ils se dire. Dégage connard. Le vent produit par l’hélicoptère soulève foin et poussière. Je dois fermer les yeux, et tenir ma casquette pour avancer. Alors, peut être que c’est super cool pour le suivi live. Mais sur place.. c’est clairement moins drôle. Quelques arbres plus loin. Au moins, là dedans. Il ne nous suivra plus. J’effectue la descente sur St Gervais sans pression. Sans m’impliquer à fond. Je ne veux pas fracasser mes cuisses de suite.

 

⛰ ST GERVAIS / Km : 22 / D+ : 926 / Class : 93 / Tps : 02h04

Aaaaaaah. St Gervais. Rien que pour ce passage, il faut absolument faire l’UTMB. Un vrai stade. Une vraie ambiance de stade à ciel ouvert. Vous êtes encore à quelques centaines de mètres au dessus, et pourtant vous sentez le frémissement d’une casserole pleine de supporters en ébullition. Entrée dans la ville : Nous devons effectuer un aller-retour pour aller chercher le ravitaillement. Les supporters sont bien présents. Certains me reconnaissent en m’encouragent de quelques « Allez Casquette Verte ! ». Je me sors un peu de la course pour en profiter. Je vais taper quelques mains d’enfants à ma gauche, puis à ma droite. J’entre dans le ravitaillement en courant. Les bénévoles se projettent sur nous pour nous donner de l’eau. Ils sont incroyablement efficaces. Je l’avais déjà remarqué la dernière fois. Mais cette fois-ci on était proche du Pit-stop en F1. Tu tends tes flasques. Ils ont deux bouteilles d’eau à la main. Arrivent à gérer le double-remplissage simultané. Et j’ai même eu le droit à une accélération du remplissage par un écrasage de la bouteille pour accélérer le flux d’eau. On est proche du geste technique. Et en même temps, ces mêmes bénévoles arrivent à t’encourager, et à te donner un classement approximatif. Franchement. C’est tout simplement le top du top du top des bénévoles de début de course. Je tenais à le dire. 

Je quitte le ravitaillement. En courant toujours. Sans forcer. Mais à bon rythme. Je sue beaucoup. La descente en « basse » altitude, et le petit arrêt au ravitaillement m’a fait monter en chaleur. Je profite encore des supporters sur le bord de la route. C’est très agréable. Il fait encore bien jour. Le prochain ravitaillement des Contamines est dans 10 km. Le terrain est une sorte d’enchaînement de plat et de faux plat. Il fait encore assez jour. Je décide de ne pas mettre ma Petzl de suite. 

Peu de souvenir de ces 10 km. J’ai simplement le souvenir de discuter un peu avec les premières féminines et de brancher mon MP3 à pile par la suite. Je sens la nuit arriver, et je sais qu’elle va être longue. J’attends encore un peu avant d’être plus impliqué dans ma façon de courir. 

Les contamines approchent. Je vais croiser Matthieu (Salomon) qui m’assiste à ce ravito. Vais-je trouver cette assistance utile ? Agréable ? Ou est-ce que devoir se gérer soit même, et gérer la conversation avec Matthieu va-t-il être un soucis de plus à gérer ? Je me pose la question. 

⛰ CONTAMINES / Km : 32 / D+ : 1500 / Class : 73 / Tps : 03h10

Légère montée avant le ravitaillement. Je cours à fond dedans. Je respirerai à l’intérieur. J’arrive au niveau de l’entrée de la tente. Je suis bien transpirant et essoufflé. On me fait signe de mettre mon masque. Je ne sais plus où je l’ai mis. Poches arrières ? Grande poche avant gauche ? Grande poche avant droite ?.. je ne le trouve pas. Ça me soule. Perdre du temps par ce que je ne suis pas organisé. C’est juste frustrant. Aaaah. Il est là. Dans la poche ventrale de mon short. Improbable. Je le sors de son sac de congélation. Je tente de le mettre. Mais je galère. Entre les gantelets des bâtons, les écouteurs du MP3. Je me perds. Je m’embrouille. Ayé. Oreille gauche. Oreille droite. Il tient. J’avance d’un pas. On me tend du gel hydroalcoolique. Et par réflexe je tend les mains. A ce moment précis. Mon masque décide de se faire la malle. Je le rattrape par réflexe avec mes mains.. zpouiiiiique zpouiiiiiique (oui ça fait ce bruit là). Le bénévole me met du gel.. petit soucis.. il le met à l’intérieur du masque.. ça va être très agréable ça.. passons. 

Je repère Matthieu. Je file vers lui. Il y a beaucoup de coureurs et de personnes qui font l’assistance sous la tente. Cela parle dans toutes les langues. C’est fabuleux. J’enlève mon sac. Matthieu a installé sur un banc, les gels que je veux prendre. Il les enfourne dans mon sac. Il n’a pas la même méthode que moi. Personnelement, j’utilise les 2 poches zippées à l’arrière de mon sac. Celles qui obligent à une contorsion totale pour pouvoir les atteindre. Et je fais un dispatch de tous les types de gels un peu de chaque côté. Sans organisation particulière. Matthieu est plus organisé. Gel GU d’un coup. Gel coup de fouet de l’autre. Sur le moment, cela me change de mes habitudes.. mais bon c’est pas grand chose. Au final, je trouverais cette nouvelle organisation plus pratique pour gérer ma consommation et surtout les recharges à effectuer. 

Pendant ce temps de mon côté, en prévision de la nuit qui ne va pas tarder à tomber : je sors ma Petzl et je me l’installe sur la tête. Je sors aussi un t-shirt un peu épais manche longue. Je sais que pour l’instant il fait encore très bon.. mais avec la montée de la Croix du bonhomme, le col de la Seigne et l’arrête du Mont Favre à plus de 2500 m d’altitude. Cela va bien se rafraîchir dans la nuit. En plus, l’activation du pack grand froid est un signal supplémentaire. Ça sera toujours plus pratique de perdre 2 minutes maintenant à me changer au ravitaillement dans le confort, que de perdre 5 minutes à me changer à l’arrache dans une montée totalement exposée au vent. Je vois d’ailleurs qu’autour de moi, nombreux sont les coureurs à opter pour cette stratégie. Fini la rigolade. Une gorgée d’ice tea. Et c’est reparti. Je file.

En sortant du ravitaillement, je me rends compte que le matériel n’a pas été contrôlé cette année. Je suis étonné. Je ne comprends pas. J’oublie rapidement ce fait, car je commence à faire le point sur cette première assistance que j’ai reçu en course depuis que j’ai commencé à courir. J’ai la sensation que c’était agréable. Aussi bien matériellement que psychologiquement parlant. Mais je pense avoir passé 7 à 8 fois plus de temps que d’habitude. D’habitude.. c’est 20 – 30 secondes par ravitaillement. Je recharge en flotte et let’s go. Je suis donc un peu frustré par tout ce temps perdu. Cela me fait un peu sortir du suivi de mon état physique. Et tant mieux. Mais cela me fait aussi rapidement dire, qu’il faut que je rattrape ce retard si je veux rester sur mon plan de course qui suit les temps de passage de Courtney en 2019. Pour l’instant. Je vérifie. 03h10min à l’entrée du ravitaillement. Courtney était en 03h11min. Incroyable. Je tiens le rythme sans trop y penser. Continuons. 

C’est assez roulant sur quelques km avant de monter à La Balme puis à la Croix du Bonhomme. J’envoie moins sur le plat qu’il y a quelques années. Enfin, c’est l’impression que j’ai. Est-ce par ce que je ne me rends plus compte de la difficulté à plat ? Ou est-ce car j’anticipe naturellement, sans m’en rendre compte, que je vais prendre un bon petit +1500 tout de suite ? Je n’ai pas la réponse. 

Fin du roulant. Nous approchons d’un lieu que je trouve mythique sur l’UTMB. Ce genre d’endroit pour lequel je reviendrai chaque année. Ce genre d’endroit qui t’étonne la première fois. Mais qui continue à tout autant te surprendre les fois suivantes. Ce type d’endroit que tu aimerais partager à tes amis. Simplement pour leur dire.. il faut absolument que tu vois ça. Que tu vives cela. Et cet endroit c’est NOTRE DAME DE LA GORGE. 

Alors.. comment décrire cela. Déjà. Ça commence avant de commencer. Avant de le vivre.. avant de le parcourir. Cet endroit vous l’entendez. De loin. De très loin. Le bruit des cris. Des cloches. Qui oscille entre un bruit de fond et des notes hautes au rythme des coureurs qui te précèdent. Plus tu approches et plus cette oscillation est forte. Tu sens que tu vas arriver dans un truc de dingue. Le bruit te le fait sentir. Un peu comme quand tu es à une remise de diplôme.. que les gens sont appelés par ordre alphabétique. Et que tu sais très exactement quand cela va être ton tour. Et ce que tu vas recevoir comme énergie.. comme cris.. comme encouragement.. comme ferveur. Je suis avec un autre coureur à ce moment là (L’ami Samir si je ne me trompe pas). Je le sais, il va y avoir un petit virage à gauche, et on va avoir une grimpette sur des rochers assez plats avec un bon %. Ce ne sera ni trop court, ni trop long. (De toute façon, je suis bien incapable de vous dire combien de centaines de mètres cela fait.. je suis à chaque fois trop pris par l’ambiance pour m’en rendre compte). Et surtout.. il va y avoir des centaines de personnes complètement exaltées qui vont nous crier dessus. Un petit Alpes-Huez. Un dernier moment d’exaltation avant le calme infini de la nuit. Ça va être génial. 

Nous nous lançons tous les deux dans ce passage. Et c’est un bordel de dingue. J’avais presque oublié à quel point la ferveur était immense à cet endroit. Cela me fait énormément rire sur le moment. Mais surtout cela me donne une force incroyable. Je serai incapable de faire ce passage à 70 % de mes capacités. C’est du 100% forcément. Voir plus. Un 100% pour remercier ceux qui nous font vivre un moment incroyable. Un 100% pour profiter à fond du moment. Un 100% par ce que bien qu’idiot stratégiquement en plein milieu d’un Ultra, ce type d’envolée donne l’âme d’une course. 

Après à peine quelques mètres, je double. Et redouble. Je survole le passage. Tous les signaux sont dans le rouge. J’alterne marche très rapide et course. Bien sûr que cela grimpe assez fort. Bien sûr que c’est dur. Mais les encouragements, les cris, le bruit des cloches, les flashs de portables sont partout et si puissants qu’être dans le rouge n’est pas un soucis. 

Ce passage se termine. Il s’agit maintenant d’attaquer la montée sur le col de La Croix du Bonhomme un peu au dessus de 2500 m d’altitude. La nuit est bien présente maintenant. Mon effort dans Notre Dame de la Gorge se fait un peu sentir. Je sue. Je tente de revenir dans ma gestion de course. Je ralentis un peu. Mes t-shirts sont un peu trempés suite à l’effort. J’aimerai sécher avant de grimper le col. Je pense qu’il doit y faire frais. Et j’aimerais éviter le petit coup de froid de la nuit qui pourrait être fatale pour mon organisme au petit matin. 

La montée se passe bien. Je reprends quelques coureurs. D’autres me reprennent aussi. Je suis dans un mood de progression efficace. Pas forcément ultra rapide. Mais efficace. Rendre son pas parfaitement régulier. Dépenser le minimum d’énergie. Et progresser le plus linéairement possible. En approchant du sommet, bien qu’on ai pu voir les étoiles tout le long, c’est le brouillard que l’on doit transpercer maintenant. Celui-ci change l’ambiance. L’atmosphère. Le faisceau de la Petzl n’éclaire plus bien loin. Il faut anticiper au maximum les prochaines balises, que l’on cherche à grands coups de tête à droite et à gauche en direction du sommet. Je suis seul depuis un bon moment. Et je le reste. Difficile de trouver quelqu’un à suivre / à accompagner qui est dans mon rythme. Soit ça va trop vite. Soit ça n’avance pas assez. Cette solitude ne me dérange pas. 

Arrivée au sommet. Redescente sur les Chapieux. Mes souvenirs sont simples : J’en ai aucun. C’est le trou noir. Avec le recul, j’ai remarqué que ces trous noirs n’arrivent pas le plus souvent sur des portions de course où je suis en difficulté, mais sur lesquelles j’avance plutôt bien. Donc je suppose qu’il s’agissait d’une descente pas trop roulantes, mais pas non plus terriblement technique. Dans laquelle, j’ai dû débrancher le cerveau, et la mémoire vive. 

⛰ CHAPIEUX / Km : 51 / D+ : 2859 / Class : 72 / Tps : 05h56

Comme dans la descente, je ne garde aucun souvenir de ce ravitaillement. Tout ce que je me rappelle, c’est que je regarde ma montre.. Il est presque 23h. Je cours depuis 6 heures. Et la nuit va encore durer un long moment. Je ne dois pas m’enflammer. Je ne me renseigne pas sur le classement. On fera un point à Courmayeur plutôt. Je vérifie tout de même si je respecte à peu près les temps de passages de Courtney de 2019. Je regarde : 06h00. Je suis à 05h56. J’ai 4 minutes d’avance. C’est incroyable. Je continue, rassuré sur mon tempo. 

C’est reparti pour une montée à nouveau au dessus de 2500 mètres. D’abord avec le Col de la Seigne. Ensuite avec celui des Pyramides Calcaires. J’ai à nouveau très peu de souvenir. Les seules bribes qui me reviennent sont des souvenirs d’ambiance visuelle. D’abord dans le col de la Seigne. Ou je prends parfois, au gré d’un pat assuré, le temps de me retourner pour regarder derrière moi. La lune qui commence à flamboyer éclaire légèrement les reliefs. Ce n’est pas un noir total. On fait plus que d’imaginer les formes des montagnes. On les discerne. Elles sont là, dessinées d’un léger coup de crayon. Et dans celles-ci, sortent des dizaines de points lumineux. Parfois solitaires, parfois regroupés par petites grappes. Ces points lumineux forment une chenille sur le chemin que j’ai pris quelques dizaines minutes auparavant. Je pense réussir à voir jusqu’à 50 minutes en arrière. J’ai cette sensation de voyager dans le temps. Je me revois à l’endroit de ces points lumineux. Je les vois aussi avancer lentement dans mon sens. Comme si mon passé me rattrapait. Je me sens vivant. C’est extraordinaire. Je garde en mémoire ce type de moment. Mais je n’ai plus aucun souvenir de ma condition physique, de si j’avais enfiler ma veste ou non. De s’il faisait froid ou chaud. Une chose est sûr, j’ai bien passé ce col de la Seigne. Mais cela restera à jamais un souvenir oublié qu’on ne peut qu’imaginer. 

On enchaine avec les pyramides calcaires. Je me souviens qu’en 2019, j’avais beaucoup apprécié ce passage. Assez technique. Mais très dépaysant du reste du parcours. Je me souviens d’avoir apprécier cet endroit. Mais je n’ai aucun souvenir de l’endroit en lui même. Et quel dommage, car ce que j’ai découvert cette année est tout simplement magique pour les yeux. La lune qui commençait à flamboyer dans le col précédent, brille d’un phare bleu. On fait plus que de pouvoir simplement deviner les formes et rondeurs de ces pyramides. On les voit. Dans une pénombre bleu. C’est magistral. La lumière est celle d’un reflet. Ce type de lumière qu’on ne peut obtenir qu’avec un support qui ferait rebondir une source lointaine. Le ciel est dégagée. Mais l’intensité lumineuse de la lune cache toutes les étoiles. Il n’y a que la lune. Fixée la haut à droite. Et ces immenses parois pyramidales qui se dressent sur la gauche. Le chemin sur lequel on évolue, n’est pas de ceux que j’arrive à courir. C’est plutôt, de ceux que je crapahute. Lentement. En m’appuyant par moment à des rochers qui m’arrivent à la taille, ou me dépassent. Je suis encore seul. Personne devant à plusieurs minutes, et personne derrière à de nombreux coups de bâtons. J’ai la sensation d’être dans une boule à neige. Sous un bloc de verre en plexyglass. Et qu’on aurait laissé cette boule sur un étalage d’une boutique de souvenir fermée, dans laquelle une lumière de veilleuse bleu crée quelques ombres à mon passage. C’est hors du temps comme moment. Et j’en profite. 

Fin de la rêverie. Je passe le col des Pyramides Calcaires sans trop de difficulté. Je me sens en pleine forme. Cela doit faire 8h que je cours. Mais je respecte parfaitement ma stratégie de course. Aucune fatigue. La course. Ma course, n’a pas commencé. Je finis la descente en direction du Lac Combal.  

⛰ LAC COMBAL / Km : 68 / D+ : 4170 / Class : 68 / Tps : 08h46

Lac Combal, me voilà. J’ai repris quelques coureurs juste avant d’atteindre le ravitaillement. Je vais me dépêcher. 

En arrivant dans celui-ci, j’ai le souvenir d’un accueil chaleureux. Et plus particulièrement d’un photographe (Yann Gobert) qui m’a reconnu et me demande si « J’ai gardé mon orteil non-fracturé cette année ? ». Nous rigolons. Je pioche quelques tranches de dinde et quelques rondelles de saucissons. Je remplis rapidement mon eau. Et je file. Je ne veux pas perdre de temps. 

CopyRight : Yann Gobert

En quittant le ravitaillement, je profite des quelques km de plat pour renvoyer un peu de vitesse, tout en avalant le ravitaillement. J’ai oublié que je suis en train de courir. Je me sens bien. Ça avance presque tout seul. Je profite de la vue sur le lac qui reflète la lumière, cette fois-ci orangée de la lune. Je contemple cette surface que le vent soulève légèrement. J’ai le souvenir de ce lac sur l’UT4M, celui que j’avais confondu avec une surface bitumée. Ici, l’erreur ne peut se faire. Les petites vagues rappellent qu’à moins d’un miracle, je ne pourrais marcher dessus. Et cela me rappelle aussi à mon envie d’un jour pratiqué la voile, d’envahir un autre monde, celui-ci, qui m’est alors inconnu : celui de l’immensité de la mer et des océans. 

Trèves de lunatisme. Je suis en train de courir l’UTMB. C’est pas le moment de faire des plans sur la comète, ou de s’évader trop loin. Mais d’un autre côté, c’est un signe que je me sens bien. Je n’ai pas besoin de rester trop concentré sur mon effort, sur mes sensations. Tout est parfait. Je profite. Je dois tellement profiter que j’oublie complètement l’heure qui suit. Le passage à l’arrête du Mont Favre, et à Checrouet (pas sûr de l’orthographe là…). 

Mon esprit revient avec l’apparition des lumières de Courmayeur. Ça y est, j’y arrive. Ma course va enfin pouvoir commencer. Je me hâte de rejoindre la ville qui est encore loin en contre-bas. J’adore cette sensation. De voir la destination encore lointaine, la nuit, depuis une descente qui pourrait paraître interminable. C’est loin. C’est sur. Mais en ultra, tout est loin. Il n’y a qu’avec un peu de temps devant soi, qu’on peut s’en approcher. Pas de raccourci temporel ou distanciel possible. Il faut continuer à aller de fanions en fanions, de rubalises en rubalises, pour qu’à force d’accumulation on atteigne l’étape tant attendue. 

J’ai un bon souvenir de cet endroit. Je suis dans une station de ski. Éclairée par endroit la nuit. Pourquoi pas. Je ne sais pas si elle l’est toujours, ou bien si c’est l’office du tourisme local qui souhaite qu’on se rende bien compte des infrastructures en présence. 

Descendre des pistes de ski, est très loin d’être une passion. C’est un moment à passer. J’ai appris à ne plus râler, à ne plus grogner dans ces passages. Je n’aime pas ça. Ok. C’est douloureux physiquement pour moi. Mais je le prends avec le sourire. Presque comme un exercice. Et puis je suis encore seul. Comme 95% du bout de nuit qui vient de s’écouler. Seul, dans une station de ski vide. Eclairée de nuit. J’ai la sensation de faire un trip urbex. Étonnant. Mais pas assez pour me faire oublier que je veux rejoindre rapidement Courmayeur. 

Fin de la partie piste de ski, remontées mécaniques. La descente devient plus technique et plus sèche. Depuis que nous sommes passés sur ce flan du massif du Mont Blanc, j’ai remarqué que le terrain est très poussiéreux. Aucune accusation envers les italiens de ne pas nettoyer leurs montagnes hein. Il s’agit, d’une poussière légère, qui se soulève au passage de chaque coureur. Lorsque j’enlève la sueur sur mon visage, et que je jette un coup d’œil à ma main, je vois une épaisse crasse noir. Je commence à la ressentir dans ma respiration. Je sens bien que ma bouche, mes narines, ma trachée sont en train de se recouvrir d’une épaisse couche de particules. Ce n’est pas agréable, mais cela ne me dérange pas pour respirer pour le moment. Cette poussière est encore plus épaisse dans le single de descente en S avec des bonnes hauteurs de marches à descendre. 

Cette poussière amortie un peu les appuis. Ils sont fuyants. Mais, mes GLIDES tiennent bien dessus. Cette descente un peu plus technique est encore l’occasion pour moi de me faire rattraper par les coureurs que j’avais doubler précédemment dans le plat et les montées. Je fais le ratio dans ma tête. Je pense avoir été moins doublé que je n’ai pu le faire. Cela me ravit. Je finis la descente. Maintenant on file à la base vie de Courmayeur. 

⛰ COURMAYEUR / Km : 82 / D+ : 4671 / Class : 58 / Tps : 10h52

J’arrive aux abords du Gymnase de Courmayeur. J’ai mis un petit coup de collier depuis que j’ai quitté la descente pour rejoindre rapidement le ravitaillement. Petit détour autour de la salle pour rentrer à l’intérieur. Je suis content. J’ai entendu au loin des encouragements. Dont une voix qui me fait bien plus plaisir que les autres. Une voix que je n’entends jamais durant mes ultras. Celle de ma copine. Je remonte sur le pont. Je fais une petite blague, je l’embrasse et je finis par rentrer dans la base vie en courant. Coup d’œil dans la salle. Tout est calme. Un silence pesant. Il y a pourtant pas mal de coureurs et d’assistances. Je repère Matthieu au milieu qui me fait signe. 

Il prend de mes nouvelles. Je le rassure en lui disant que je me sens en super forme. Il est 04h du matin. Mais je suis totalement déconnecté du temps réel. Je m’assoie. J’enlève mon sac et le pose sur la table. Matthieu s’empresse de le remplir de mes gels. Toujours avec sa méthode particulière. Pendant ce temps, je bois quelques gorgées de café. C’est la première fois depuis le début de la course que je le fais. D’ailleurs, c’est la première fois que j’en bois depuis 2 semaines. Cela devrait me donner un coup de fouet bien caféiné. Je grignote un peu. J’ai décidé de changer de chaussures et de chaussettes. J’avais anticipé un besoin de confort et d’amorti pour finir la course. J’enlève mes Slab Ultra 3.. et hop.. ça enfile mes GLIDE. Elles sont neuves. Mais ayant beaucoup couru avec une autre paire de GLIDE ces derniers temps, cela ne me rend pas anxieux. 

CopyRight : Yann Gobert
CopyRight : Yann Gobert

Nous discutons avec Matthieu. Je lui dis que j’ai l’impression d’être un peu en retard, mais que j’ai aussi la sensation d’être très bien. Ceci expliquant aussi peut être cela. Je lui dis que je vais tenter d’accélérer jusqu’à Champex. De son côté, il me dit de prendre mon temps. Il me fait un point sur l’avant course. Sur les autres coureurs qui sont avec moi. Avoir tous ces éléments en tête est très plaisant. Mais c’est chronophage de récupérer toutes ces informations. Je me rappelle que Matthieu insiste aussi lourdement sur le fait que les autres font des ravitos solides. Des vrais. Pas seulement quelques cacahuètes et du saucisson comme moi. « Les autres prennent du riz.. les autres prennent des pâtes.. ».. je l’écoute. Mais dans ma tête j’ai le couplet de Céline Dion qui résonne : « On me dit qu’aujourd’hui.. on me dit que les autres font ainsi ! Je ne suis pas les autres, naaaaah oh non ahhhh ». Le mode têtu doit être activé je pense. Je finis de remettre mon sac. Je me lève. Je fais une bonne blague. Les autres coureurs sont restés drôlement silencieux par rapport à ce que j’ai pu faire pendant mon passage. Définitivement : Je ne suis pas les autres, naaaaaah oh non ahhhh.. 

CopyRight : Yann Gobert

J’ai pris une bonne poignée de saucisson et de fromage avant de partir. Je me mets à recourir dans la salle. Je file dans les escaliers, je traverse la porte et hop. C’est reparti. Un petit bisou à Raphaëlle. Je lui promets de faire attention, et je lui dis « À tout à l’heure ». Juste après, en quittant le gymnase en direction du centre ville de Courmayeur, Jeremie m’accompagne en filmant. Je ne sais pas pourquoi il fait cela. C’est moche ici. Et puis moi j’ai envie de parler. Je commence à lui demander son avis sur l’arrivée potentielle de Mbappé au Real. La conversation tourne court. Il veut moins parler que moi je pense. Aller. Merci Jeremie, et à tout à l’heure aussi. 

Je tente de garder un rythme dans le centre ville. Tout cela, en mangeant mes saucissons et mon fromage. J’essaie de bien mâcher. De brouiller ces aliments. Je veux éviter d’avoir quelques gros morceaux dans le ventre avant d’attaquer la montée sur le refuge Bertone. Courmayeur est totalement vide. Bon. Ok. C’est vraiment l’heure creuse là. 04h du matin. Dans une ville de la vallée d’Aoste. UTMB ou pas. On reste sur quelque chose d’assez calme et silencieux. Ce petit passage en ville me fait rire. On traverse un départ de télésiège en pleine ville habillé d’un tapis rouge. Des ruelles. Et aussi une petite galerie marchande. Qu’est ce que c’est que ce délire sérieusement. Bon. Au milieu de la galerie, j’ai failli vomir. Je pense avoir beaucoup trop mangé d’un coup. Je subis un peu. 

Je me reprends. J’avais fixé ma stratégie, si j’arrivais en forme à Courmayeur. Alors, derrière, j’allais accélérer et attaquer une tentative de remontada. J’ai déjà repris une quinzaine de coureurs entre les abords de la base vie, et mon ravito plus rapide que beaucoup. Je m’en suis bien rendu compte. Et ça me positionne dans une good vibe. Let’s go mon petit. C’est ton moment. On n’attend pas Champex. On y va. Et maintenant. 

Je finis l’approche de la montée sur Bertone assez rapidement. Je le sais, la montée est costaud. Mais j’en garde un super souvenir de 2019. Je ne sais pas pourquoi. Je me trainais ma fracture de l’orteil depuis un moment pourtant. Passons. J’attaque la montée. Ça bâtonne dur. Moi qui ne court jamais avec mes Leki. Je me trouve plutôt à l’aise et efficient avec. Rapidement, je repère une lumière quelques virages au dessus. Je pars en chasse. Je cours dans des bons %. Je suis en mode déterminé. Je fais très peu d’erreur d’appuis. Mes foulées sont longues, régulières et tout le temps dans la relance. Je rejoins rapidement la Petzl que me devançait. En la dépassant, je reconnais une coureuse américaine que j’avais croisé plus tôt. Elle ne cale pas vraiment. Mais je vais beaucoup plus vite. Je lui demande si ça va ? – I’m Ok – Je lui demande si elle a besoin de quelque chose ? – Nothing. Thank U. – Top. Je continue moi. Bonne course. À plus tard. Et je m’en vais. Quelques dizaines de secondes plus tard, me voilà déjà loin. Je prends rapidement un ou deux virages d’avance. Et je vois à nouveau de nouvelle proie sur lesquelles fondre. Et j’attaque encore. Quel bonheur ce genre de moment. 

Je double de nombreux coureurs et coureuses dans cette montée. Mais à un moment, alors que je chasse cette nouvelle Petzl qui me devance. Je me rends compte que je connais le coureur que je vais avaler. C’est le mec en vert. Je ne vous en ai pas déjà parlé je crois. Mais, quelques temps plus tôt dans la course. Vers le km 55. Je me suis pris une belle taule. Je suis bien tombé au milieu d’un sentier. Comme un poids mort. J’avais alors poussé un bon cri de douleur. Et j’étais un peu resté au sol. Et bien ce coureur, qui était quelques mètres derrière moi, m’est passé devant. A quelques centimètres, et à dû me confondre avec un rocher (portant un sac, un Petzl, un short, des baskets et une casquette verte) car il n’a rien dit. Il est juste passé. Sans me demander si j’allais bien. Sans s’arrêter une seule seconde. Sans même me regarder. En se disant certainement qu’il gagnait une place. C’est rare ce genre de gros cons sur les ultras. Mais lui, il fait parti de la confrérie des gros cons. C’est certain. Sur le moment, j’avais trop mal pour le rattraper et le remercier comme il le faut de l’assistance solidaire qu’il m’avait porté. Et puis je l’avais oublié par la suite les kilomètres avançant. 

Mais là, là.. mon coco. Je te reconnais. Et puis je suis dans ma montée de Bertone. Dans celle que je suis en train d’avaler. Et tu es cette fois-ci sur mon chemin. Sur le rail de la locomotive verte. J’hésite un temps à lui faire une réflexion. Je décide de m’abstenir. Je vais être encore plus cruel. Il ne m’a pas encore repéré. Il avance bien. Mais je suis clairement beaucoup plus rapide à ce moment là. Je me décide de me rapprocher d’un coup. Comme une voiture qui arrive sur la file de gauche de l’autoroute en faisant des appels de phares. Et puis, je vais rester derrière lui. Juste pour qu’il se sente dans l’obligation d’accélérer. Un petit moment. Quelques minutes. Deux ou trois. Juste le temps de se mettre dans le rouge. Et quand je commencerai à voir un signal de faiblesse. Cligno à gauche. Une petite tape sur l’épaule. Et tchao. 

C’est exactement ce que j’ai envie de faire. Et c’est exactement ce que j’ai fait. Une vengeance. Pas très sympathique je vous l’avoue. Mais tellement méritée. Ça t’apprendra Bonhomme à ne pas assister quelqu’un qui se vautre devant toi. Monsieur en vert. Je ne vous salue pas. A jamais. 

Fin de la montée sur Bertone. J’ai dû reprendre une dizaine de coureurs dans celle-ci. A peine une heure pour faire Courmayeur – Bertone. Je suis content. Les sensations sont fantastiques. J’entame ma stratégie de remontada avec panache. C’est si plaisant. Je me calme un peu. Je sais que les moments de grands mieux.. ne peuvent qu’annoncer des moments de grands moins bien si on n’y prête pas attention. 

Avec le recul. C’est quelques kilomètres ont été les plus plaisants de toutes ma course. Pas par ce que j’ai repris pleins de coureurs à la loyale. Pas par ce que j’allais super vite. Mais plutôt par ce que j’avais l’impression de maîtriser mon sport. Enfin, je dis mon sport. Mais dans les moments comme cela, je n’appelle plus cela un sport. Mais un art. Je ne dis pas cela avec un melon aussi grand que le Mont Blanc. Je dis cela dans le sens, que j’ai atteint à ce moment là une sensation de maîtrise totale. Un beau geste. Une foulée pleine de panache. Un travail des bâtons plein de grâce. Une gestion de l’effort rectiligne, sans bavure. Vous voyez. Je considère souvent le trail comme un art. Et pas comme un sport. Je prends régulièrement l’exemple de la danse pour expliquer cela. Pour moi, un danseur est un artiste avant d’être un sportif. Pourtant, nous serons tous d’accord pour dire que la danse est un sport. Et bien, je ne sais pourquoi, mais l’ultra trail est considéré comme un sport, avant d’être considéré comme un art. Et plus ça va, plus j’ai cette sensation. Que je ne suis pas un sportif, mais un artiste. Comme le peintre qui dépose ses couleurs. Comme Zidane qui fait sa roulette. Comme un architecte qui finit une façade. Comme un golfeur qui fait du petit jeu. Je le ressens comme ça. Et c’est vers quoi je pense aller dans les années à venir.  Oublier l’aspect sport. Et mettre de l’élégance, de la maîtrise et l’excellence dans ma pratique… artistique donc. 

⛰ BERTONE / Km : 86 / D+ : 5476 / Class : 50 / Tps : 11h57

Trèves de coups de pinceau. Fini les aquarelles. On revient dans la course. Me voici donc à Bertone. Je prends le temps de m’assoir quelques minutes. J’ai envie d’un café. Et j’adore ce ravitaillement. C’est mon petit café du matin en terrasse, avant que le jour ne se lève. Quel bonheur. Je me sens vivant. Et puis on attaque une partie que j’adore. Le tronçon jusqu’à Arnourvaz. 

Je suis bien assis là. Sur mon petit banc de bois vermoulu. Café bouillant dans la flasque. Buvant une gorgée après l’autre. En écoutant les conversations intimes des bénévoles en présence. J’adore ce genre de petit moment aussi. A vrai dire, je suis baudelairien dans mon expérience d’ultra-trailer. Ce que j’aime c’est cet instant authentique. Qui permet de sublimer la banalité de ce type d’ultra. Une pause au milieu de nul part devient l’occasion d’un voyage intérieur. D’une évasion. 

Je repars du ravitaillement. Il fait assez froid. Je rejoins rapidement les sentiers en balcons. Je double encore quelques coureurs. J’avance vite et bien. Alors que je vois dans la démarche des autres coureurs que la fin de la nuit leur est difficile. Ça commence à caler. Je ne me réjouis pas de leur défiance. Je me réjouis simplement de ma bonne gestion du début de course qui m’a permis d’arriver ici en plutôt bonne forme pour quelqu’un qui a déjà couru 12 – 13h. Je prends un peu le temps de contempler les montagnes immense qui se dresse de l’autre côté de cette petite vallée. 

Au loin, devant moi, se dresse le grand col ferret. Je sais qu’il s’agit souvent du juge de paix sur l’UTMB. Mais une chose à la fois. Il faut d’abord progresser le plus rapidement possible jusqu’à Arnouvaz. Je cherche pendant une grosse dizaine de minutes la blancheur de la tente de ravitaillement au fond du valon.  Cela me parait bien loin encore. Le jour commence a estompé les brillances des lumières et halos artificielles dans la nuit. Nous sommes à ce moment de gestion de la course où je me sais être défaillant. Le passage de la nuit au jour. Un réveil pour beaucoup. Un temps long généralement pour moi. Virage à gauche. Ça y est. On va descendre sur Arnouvaz. Je me déconcentre un peu dans celle-ci. Je manque à plusieurs reprises de tomber. Je me re-concentre. Un petit coup d’œil en arrière sur les balcons que j’ai parcouru quelques minutes précédemment me rassure. Les coureurs que j’ai dépassé sont déjà loin. Il va falloir commencer à penser au classement. Je ferai plutôt le point après La Fouly. L’ami Ferret ayant certainement, un peu plus stabiliser les écarts. 

⛰ ARNOUVAZ / Km : 99 / D+ : 5874 / Class : 43 / Tps : 13h44

J’entre dans le ravito en courant. Celui-ci est presque vide. Un coureur asiatique entrain de prendre de la soupe. Un autre assis sur une chaise en plastique. Torse nu. Semblant être au bord de l’abandon. Je dis à un bénévole qui semble totalement absent de l’endroit et du moment « C’est la fête normalement sur ce ravito. Qu’est ce qui se passe ? ». « Bah. Les premiers sont déjà passés depuis longtemps. Et là, nous avons quelques heures avant que le gros des troupes arrive. Alors on se repose un peu ». Je comprends. C’est dommage. Mais je comprends. Je vide mes poches des gels usagés dans une poubelle. Je remplis mes flasques. Je pioche une poignée géante de fromage et une de saucisson. Et je file. En marchant cette fois. 

Le coureur asiatique m’emboîte le pas. Je suis plutôt content, car si on peut faire l’ascension du Grand Col Ferret à deux, c’est toujours ça de gagner. Je n’ai pas vu de coureurs partir du ravitaillement au moment de mon arrivée. C’est donc loin devant. Je pense ne rattraper personne. 

La montée commence. J’y finis mes quelques denrées. Je suis en mode marche rapide sans bâtons. Et déjà, l’autre coureur ne suit plus. Je l’encourage à distance. « Come on. We do it both ». Il me répond d’un geste de la main, qui se traduit facilement en un « Laisse tomber. Ça coince. Va y tout seul ». Tant pis. J’aurai bien aimé faire la montée à deux. Je me remets dans l’effort. Quelques centaines de mètres plus loin, je me retourne. Je vois au loin le coureur asiatique faisant le choix d’un demi-tour pour retourner à Arnouvaz. Je pense qu’il va abandonner. Je suis un peu triste pour lui. N’y pensant pas. Je finis la première partie de l’ascension jusqu’à un petit plateau. 

Avant d’attaquer la seconde partie. La plus coriace. Je décide de me vêtir plus chaudement. Je suis totalement exposé au vent à cet endroit. A quelques dizaines de mètres sur la gauche se trouve une ancienne bergerie. Je la rallie afin de me cacher du vent. J’enlève ma Petzl. Il fait bien jour maintenant. J’enfile un bonnet sous ma casquette. Et je mets mes gants, ainsi que mes sur-gants pour ne pas craindre le froid qui, pour sûr, est plus intense sur les hauteurs. J’ai mis beaucoup de temps à faire tout cela. Je suis totalement refroidis. Un petit gel, et ça repart. 

Enfin ça repart. Ça galère à repartir. J’ai beaucoup de mal à prendre un rythme régulier intense. Je fais le yoyo entre une vitesse d’ascension rapide, et une marche lente et saccadée. Je ne ressens pas pourtant de fatigue particulière. Je n’ai ni sommeil, ni la sensation d’être vide en énergie. Mon soucis est plutôt mécanique. Pas un manque de fraîcheur, mais un manque de force. Je garde assez peu de souvenirs. Le moment n’était pas agréable. C’est dommage. Je gardais un si bon souvenir de toutes les fois où je suis passé par ici. Arrivé au sommet. Les 200 derniers mètres de dénivelé ont été dans les nuages. Avec une sorte de petite bruine qui mouillerait presque. Mais surtout un froid humide qu’un vent n’aide pas à oublier. J’ai bien fait de me vêtir à mi-montée. Je suis bien dans mon équipement. Ça passe de manière plus confortable. J’ai même le ressenti que je prends un peu trop mes aises. Peut-être que vêtus un peu moins confortablement, j’aurai dû hâter le pas et finir ce col plus vite. Je ne sais pas. Il est temps de basculer de toute manière. 

Quand on attaque la descente du Grand Col Feret.. on n’est plus la même personne. Enfin, je ne suis plus la même personne. Dans la montée, je suis volontaire. Engagé. Prêt à une relance à chaque instant. Dans les descentes, je suis l’ombre de l’ombre de l’ombre de moi même. Je me force à courir. Je ne suis pas à l’aise. Complètement en arrière sur mes appuis. Rapidement, je me fais dépasser. Je m’arrête alors sur le côté, et fait un petit signe de la main, l’air de dire « Vas-y. Toi tu sais faire dans ce genre d’endroit ». La descente jusqu’à La Fouly est longue. Une dizaine de kilomètres avec un peu plus de 1000 mètres à descendre. Il ne m’en faudra pas tant pour que la défaillance physique sonne la fin de la remontada. 

Très rapidement. Après 200 ou 300 mètres de dénivelé négatif. Je comprends que mes cuisses souffrent. J’ai l’impression qu’on y a retiré quelques muscles et qu’à chaque foulée, les vibrations du sol remontent directement dans mes hanches. Ce n’est vraiment pas agréable. Je ne cours plus vraiment. Je lance ma jambe en avant. Celle-ci atteint le sol quelques dizaines de centimètres plus loin. Je n’arrive pas à mettre d’impulsion dedans, tant et si bien que je ne peux que simplement ramener la jambe arrière pour la lancer elle aussi vers l’avant. Ce n’est pas académique. Mais ça me permet d’avancer encore un peu, le temps que j’analyse la situation. 

Je me suis déjà retrouvé dans ce type de moment. Ou je sais que les cuisses ne fonctionnent plus. J’ai peu de choix : Soit je ralentis, et cela va être très long. Soit je continue ma foulée de ski de fond, mais je sais qu’à la fin de la descente je ne pourrais même plus courir à plat. Soit. Cette seconde option, peu optimiste sur ma capacité de progression future, je la prends, je me force à la prendre. Tout simplement. Je force ma foulée. Je force les appuis bondissants. Pour cela, il faut tout déconnecter. Oublier la douleur que provoque les mouvements. Mais parfois. Enfin souvent. Au bout de 15 / 20 minutes, les douleurs se font oublier et on garde un rythme élevé. Ça ne sera pas le cas. Jusqu’à la Fouly. Ce fut un réel exercice mental. Un exercice de résistance, de gestion du niveau de douleur, et d’espoir que cela revienne. 

Fin de la descente. Je crois que je vais enfin revoir Raphaelle, Matthieu et Jeremie. C’est plutôt sympa ça. Cela m’est de côté pour quelques minutes les pépins physiques. 

⛰ LA FOULY / Km : 113 / D+ : 6683 / Class : 43 / Tps : 16h12

Je ne veux vraiment pas rester longtemps ici. Avec tous les chocs que j’ai mis dans mes jambes sur la descente. Si je m’arrête. Mon organisme va se refroidir à vitesse Grand V. Et il faudra alors repartir de zéro dans l’échelle du confort pour redémarrer le rythme. Je file. Pas envie de souffrir de trop à nouveau. 

Ma copine, Matthieu et Jeremie sont bien là. Nous échangeons un peu. Ils courent avec moi quelques dizaines de mètres. Ils me racontent ce qu’il se passe à l’avant de la course. Je les écoute d’une oreille. D’une demi oreille même. Ma concentration est totalement focusée sur ma gestion de la douleur. Le segment qui vient se court totalement sur le papier. En dehors de la remontée sur Champex. Le rythme se doit d’être bon. 

Une dizaine de kilomètres en faux plat descendant. Suivi de 3 – 4 kilomètres pour grimper au ravitaillement. Les premiers kilomètres se passent dans la difficulté. J’ai vraiment du mal à tenir un beau rythme. Je me fais doubler à deux reprises. Cela me met un peu le moral dans les chaussettes. J’ai beau faire énormément d’efforts. Je me fais reprendre. Je n’arrive pas à suivre. Et donc je me fais déposer. Outre, ces quelques moments de dépassement, je suis à nouveau entièrement seul. Je pense que depuis St Gervais, je n’ai pas réussi à passer plus de 5 minutes dans le même rythme que quelqu’un. Cela ne colle jamais. Au fond, cela ne me déplaît pas. 

Je finis cette partie roulante en accélérant quelque peu. J’ai bien repéré Champex sur les hauteurs. Cela me motive à accélérer modérément. Et puis, surtout. Je suis très exactement sur les 2 ou 3 kilomètres durant lesquels j’avais pris la décision de m’arrêter il y a 2 ans. Je me revois alors titubant. N’arrivant qu’à marcher en gémissant. Je relativise vis à vis de la situation actuelle. J’accélère même. 

Traversée de ce petit village suisse totalement vide. En 3 passages dans celui-ci, 2017 – 2019 – 2021. Je n’y ai toujours pas vu le moindre humain. Le moindre bruit. La moindre fumée attestant que ce village n’est pas un village témoin. J’aime cette théorie. Un village suisse témoin.. pour montrer au reste du monde, l’architecture, la propreté et le calme helvétique. Je m’évade alors dans un raisonnement autour de l’intérêt pour un pays de faire des villages témoins. Comment devrions-nous fabriquer celui de Paris. Celui de Marseille. Ou cela de Pontarlier. Ces pensées, bien éloignées de l’épreuve me permettre de continuer à bien avancer. J’arrive au pied de la montée. 

Après quelques mètres dedans, je me retourne pour voir au loin s’il y a des poursuivants. C’est assez idiot, car je sais qu’en montée, on ne peut pas me rattraper. C’est le cas dans celle-ci. Je grimpe à nouveau très bien. Il fait de plus en plus chaud. Cette chaleur aussi me fait du bien. Nombreux sont les randonneurs  dans cette section. Je commence à me sentir vraiment mieux. Je parle avec eux. Fais quelques blagues en les doublant. Je reprends un peu de plaisir. Ça faisait un long moment que ce n’était pas arrivé. 

Fin de la montée. J’entre dans le ravitaillement. 

⛰ CHAMPEX / Km : 127 / D+ : 7230 / Class : 40 / Tps : 18h

Juste avant de rentrer. Je pense à ce qu’il reste à parcourir par la suite. Un gros marathon et 3000 de dénivelé. Le marathon ne me fait pas peur. Mais là, j’avoue que les 3000 en + et surtout ceux en négatif m’inquiète un peu. Je ne suis pas dans le même état d’esprit qu’à l’UT4M. Où j’avais réussi à trouver le déclic pour finir les 50 derniers km à fond les ballons. Je ne m’entrouve même pas cette option. Je suis sur un mode « Est-ce que tu vas y arriver ? – C’est possible – Mais comment y arriver le moins lentement ? – Ça je ne sais pas ». Je me fais donc la réflexion suivante : On oublie les ravitaillements express. On tente de se reposer un peu régulièrement. De ménager la monture. Pour recharger les batteries et réussir à ne pas totalement caler dans le dénivelé. 

J’entre donc dans le ravitaillement dans cet état d’esprit. Je cherche du regard. La salle est pratiquement vide. J’avance presque jusqu’au fond. Je me retourne. Je regarde dehors. Je regarde encore une fois l’ensemble de la salle. Un bénévole me voyant faire me demande « Ça ne va pas Alex ? Tu cherches quelques choses ? » – « Euh. Bah. Ma meuf ». Je mets quelques secondes à comprendre. Mon assistance n’est pas là. Je m’inquiète. J’espère qu’ils n’ont pas eu de soucis sur la route. J’hésite à sortir mon téléphone pour les appeler et être rassuré. Et puis je me rassure en me disant que j’ai du plus accélérer que prévu dans la montée. Je dois être un peu en avance sur le prévisionnel de LiveTrail. 

Changement de stratégie. On va faire sans. Je recharge en eau. Et je demande si je peux avoir quelques choses pour transporter les pâtes servies qui ont l’air chaudes. On me donne un bout de bouteille de coca découpée à l’arrache. On y verse quelques pâtes. Ça fera l’affaire. J’hésite à attendre encore un peu. Ils ne sont certainement pas très loin. Mais, je n’ai pas non plus envie de m’arrêter trop longtemps. Je grignote une pâte. Puis deux. J’en ai marre. Aller. J’y vais. Cassos. 

Au moment où je prends cette décision, je vois ma copine entrer dans le ravitaillement. Glacière à la main. Elle fronce les sourcils. Je la sens énervée. Même de loin. Elle arrive à mon niveau. Je lui dis « J’y vais ». Je la vois énervée. Elle reprends ses esprits et me demande de quoi j’ai besoin ? – J’ai envie de lui dire « C’est bon. J’ai fini. Je repars ». Mais ça serait cruel. Et je n’ai pas envie de la dégoûter de l’Ultra, enfin de l’assistance en ultra. Je décide donc de lui demander quelques petits choses. Presque pour lui faire plaisir. Elle me propose du café. Je prends un début de gorgée. Aaaaaaaaaaarrgggh. Je recrache tout au milieu du ravitaillement. C’est plus que brûlant. Décidément. Les astres ne sont pas avec nous dans ce ravito de Champex. Je tente de parler un peu avec elle pour dédramatiser la situation et lui faire comprendre qu’elle ne doit pas s’en vouloir. Je suis aller un peu trop vite. C’est de ma faute. Nous nous embrassons. Cela fait du bien. Et je lui dis que je repars. 

Voilà. Voilà, pourquoi je ne veux pas avoir d’assistance. Non pas à cause du petit retard. Mais plutôt par ce que cela me met dans une situation d’avoir à gérer ma course, mais pas que. Et je n’arrive pas à ne pas vouloir gérer le ressenti de mon assistance. Vouloir que cela soit un bon moment pour elle. C’est si important pour moi. Plus que la course. Bien plus que la course. Et malheuresement, cette volonté parasite un peu l’objectif de fond, qui est d’avancer et de ne pas perdre de temps. Bref. Pas le meilleur moment. 

Je quitte le ravitaillement. Jeremie court à nouveau quelques centaines de mètres avec moi. Il me fait rire. Je l’entends me répéter cinq ou six fois « Qu’ils sont tous morts devant – Que même en marchant vite je vais les rattraper – Ils sont fumés.. je te le dis.. CRAMÉS ! – Des raisins secs ! – Tu vas les reprendre un par un… ». Cela me fait rire. Ce décalage total entre moi qui lutte contre mes propres douleurs et qui ne pense pas une seule seconde au classement et à la compétition. Et mon accompagnant du moment qui voit encore l’aspect course et compétition. J’ai envie de lui dire « mec.. ils sont morts. Ok. Mais je suis mort aussi. On est TOUS morts. ». Je ne lui dis rien. Et je fais mine de recevoir ces commentaires comme une source de motivation. « Tiens regarde. Il s’arrête lui. Une place de gagnée ». Mais arrête ! Ce n’est plus le moment de compter les places. C’est le moment de se dire, je n’abandonne pas non plus. Je le quitte. Et file en direction de la montée pour attaquer le secteur de la Giète. 

Je n’ai plus beaucoup de souvenirs de cette montée. Quelques coureurs doublés. Une montée éprouvante. Et un manque d’eau. Voilà tout ce qu’il me reste. 

J’ai aussi très peu de souvenirs de la bascule et de la descente sur Trient. Simplement, un souvenir du passage dans la bergerie qui sert de ravitaillement. Personne dedans. Un passage express pour remplir l’eau. Et je file. La descente finit de tuer totalement mes cuisses. C’est officiel, je suis physiquement terminé. Je vois mes forces se réduire de kilomètres en kilomètres. Il m’est alors impossible de tenter de déconnecter le cerveau pour accélérer un peu. C’est une agonie. Mon seul mot d’ordre maintenant : Il s’agirait de finir. 

⛰ TRIENT / Km : 143 / D+ : 8286 / Class : 37 / Tps : 20h44

Je repère l’église de Trient un peu plus bas. Je tente de courir le plus possible jusqu’au village. Ainsi que dans celui-ci. Je retrouve ma copine. Elle me dit que Matthieu m’attend dans le ravitaillement. Elle me dit aussi que c’est formidable ce que je fais. Que les autres coureurs qu’elle a vu ne court même pas à cet endroit. Je cours donc. Mais c’est plutôt pour lui faire plaisir. C’est illusoire. Je sais la descente affreuse que je viens de faire. Je sais que ce que je leur montre là, n’est qu’un brouillard, qu’une oasis, qu’une illusion. 

Alors que je cours en direction du ravitaillement, je me fais beaucoup encourager par les supporters. Et un d’entre eux me fait beaucoup rire. Il me filme à l’iPhone en courant proche de moi. Je le reconnais il s’agit de David W. Un copain de trail que j’ai beaucoup croisé en course sur les dernières années. Et ce qui me fait rire, c’est qu’il me filme en criant « Aller Mathieu ! C’est énorme ce que tu fais. Vas-y Mathieu. Vas-y Mathieu. Vas-y….. ». Je ne le reprends pas. Cela me fait rire. 

Ravitaillement. Ma copine et Matthieu sont là. Je rigole un peu avec eux. Je me sais très frais dans la tête. Je suis totalement lucide. Mais, et ils le voient bien, mon physique me lâche. Je m’assoie avec difficulté. Je bois de l’Ice Tea comme un enfant boit en rentrant de 5h de balade en forêt sans eau. Je les entends me répéter qu’ils sont tous morts devant. Que je vais les reprendre. J’essaie de leur dire, sans leur dire, que c’est mon cas aussi. 

Fin du ravitaillement. Je recours pour en sortir. Et voilà à nouveau David. Qui me filme encore. Et je rigole énormément lorsque je l’entends dire « T’es énorme. Désolé. Je sais pas pourquoi je t’ai appelé Matthieu. Vas y Alex. Allez Alexxxxxxx. ». Je quitte le village et j’attaque la montée vers la Catogne. Prochain point d’étape : Vallorcine. Et je le sais, à partir de là, cela sera presque la fin. 

Ma mémoire me fait à nouveau défaut. Je me rappelle simplement de deux choses. Premièrement, c’est vachement plus dur que dans mes souvenirs de la CCC 2017. Cette montée est assez violente. Avec un terrain pas forcément si souple et joueur que sur le reste du parcours de l’UTMB. J’arrive tout de même bien à monter. Je double quelques coureurs à nouveau. Effectivement, ils étaient bien morts. 

Deuxième souvenir : ce couple de randonneur. Très chargés. Je double d’abord la femme du couple. Je l’encourage un peu. Quelques virages plus haut, je rattrape le mari. Je l’entends dire à des randonneurs qui descendent « Vous pouvez encourager ma femme. Elle cale dans la montée. ». Lol. L’enfoiré. Va la chercher bordel. C’est pas en lui mettant 200 mètres dans la vue que tu vas l’aider. Je ne dis rien. J’avance. Et je termine la montée. 

Bascule. Je m’arrête pour uriner. Je respire un peu. Cette descente va me fracasser. Mais c’est l’avant dernière. Alors, bas les masques. On assume. Et on y va. Il me faut à peine 800 ou 900 mètres de distance pour me faire doubler par les coureurs que j’avais repris dans la montée. C’est sans fin. Je me promets, comme à chaque fin d’ultra, de travailler 1000 fois plus les descentes à l’avenir. Ce schéma qui me donne l’impression de gâcher tous mes efforts du dénivelé positif dès que je bascule dans le négatif me frustre. 

Je me souviens simplement que cette descente commence par un balcon plutôt joli. On sent bien que l’on est passé de l’autre côté du massif et que l’on approche de Chamonix. Il y a quelques choses comme une sensation de proximité avec la fin de l’effort dans l’air. Ça flotte. Mais c’est encore insaisissable. 

Un bon gros 20km – 1000 D+ / 1800 D- à parcourir. Sur le papier, c’est une sortie d’entraînement. Dans la réalité. Avec 22h de course dans le corps. C’est loin. Il ne faut pas faiblir mentalement. Finir en marchant serait vraiment trop long. T’as envie que ça se termine vite. Court alors. Ça passera plus vite. Pas forcément mieux. Mais vite. 

Par la suite, on rejoint le haut de quelques remontées mécaniques et on empreinte une piste de ski. Une verte, ou une bleue dans mon souvenir. Mais surtout c’est le nº marqué sur les panneaux qui me foudroie. Nº20. Ça va être long. J’éteins un peu le cerveau. 19. 18. 17. Que c’est long. À on coupe un peu par la forêt là. On recroise la piste un peu plus bas. 14. Mentalement, ce compteur décroissant aide, et n’aide pas. Il aide car il permet de se rendre compte qu’on avance. Mais il n’aide pas, car on se rend aussi bien compte de ce qu’il reste à faire. La descente se termine au petit trot. J’arrive à Vallorcine. 

⛰ VALLORCINE / Km : 154 / D+ : 9100 / Class : 36 / Tps : 22h57

Dernier ravitaillement avec assistance. C’est ma copine qui s’en occupe. Elle a tout bien préparé. Quelques bouts de pastèques. De l’Ice Tea. Un peu de café. Quelques gels. Elle prend le temps de m’éponger un peu la nuque avec une serviette humide. C’est si agréable. De temps en temps dans la descente, depuis 3 ou 4h, je ressens une immense douleur au niveau de celle-ci. Je pense que c’est dû au poids du sac, et au mouvement que je fais avec les bâtons. Je ne suis pas habitué à cela à l’entraînement. Ces quelques soins qui me sont donnés me font du bien. Énormément de bien. Je relève la tête. Mon visage est celui de la détermination, de la persévérance. Mais aussi celui de la grande fatigue, et du dépassement physique. Je la regarde. Elle me regarde aussi. Je vois dans ses yeux, qu’elle se rend compte de l’effort nécessaire à ce type de course. Je sais que c’est la première fois qu’elle me voit dans cet état. Et pourtant elle m’a vu dans pleins d’état. Mais l’état d’une fin d’ultra vaut le détour. Je suis fatigué. Mais pas assez dans la tête pour ne pas lui faire quelques blagues. Je lui lance un « Le pack grand froid qu’ils disaient ». Étant totalement transpirant, avec des bonnes couleurs sur la peau, et du sel autour des yeux et sur les pommettes. Nous rions un peu. Ironie d’un ultra. 

Je repars. Quelques kilomètres de faux plat en direction du Col des Montets. Matthieu, Jeremie et Raphaelle m’ont dit qu’ils vont m’y attendre. Je leur dis que je vais prendre mon temps. Je veux m’économiser pour assumer au mieux la montée sur la tête aux vents. C’est bien ce que je fais. J’avance peu rapidement par rapport à ce que je sais faire sur ce type de faux plats. Je relance quelques fois en courant, mais je ralentis dès que je sens que je commence à basculer dans le rouge. Je tente de prendre quelques gels, et de la compote. Je ne veux surtout pas caler dans la prochaine montée. Ça serait tellement long. 

J’arrive au col de Montets. Il y a pas mal de supporters à cet endroit. On traverse la route. Je demande à Matthieu, Jeremie et Raphaelle « Je suppose que c’est le truc en face.. là ? » – « Oui ». Aller. D’accord. Même pas peur. Se dresse devant moi une sorte de mur, dans lequel depuis le sol, on repère bien le slalom qui permet de grimper jusqu’en haut. Je vois plusieurs coureurs dedans. La progression ne semble pas très rapide. Je me sens bien. Je sors les bâtons de mon carquois. Je fonds sur le départ de la montée.. les encouragements sont nombreux. J’ai cette sensation de plaisir de réaliser quelques choses de dur, et de le faire avec un peu de panache. Se crée comme un ralenti dans ma tête. Je me vois courant en direction de ce mur à la troisième personne. Je plane. Et j’attaque la montée en courant. 

C’est la première fois que je vais monter à la tête au vent. Sur la CCC 2017, nous avions fait un direct vers la Flégère. Et en balade, j’ai toujours évité ce passage. Je pense que c’est simplement un peu plus haut. Cela ne me fait vraiment pas peur. Même pas du tout. J’attaque la montée sur un superbe rythme. J’avale les premières dizaines de mètres de dénivelé dans une grande facilité. J’entends en bas les « aller Alex’ ! – Aller Casquette Verte ! ». C’est très motivant. Je me calme un peu. Et je me mets dans un rythme régulier que je pense pouvoir tenir jusqu’au sommet. C’est la dernière montée de la course. Je le sais. Je n’ai calé dans aucune depuis plus de 22h. Cela ne doit pas commencer maintenant. 

Après une trentaine de minutes de montée. Je commence à ressentir un manque de souffle. Un vrai manque de souffle. Je pense d’abord que j’ai tout simplement la trachée un peu prise. Je bois. La sensation de manque d’air continue. Je ralentis un peu mon rythme pour redescendre en pression. Je tousse. Je tousse beaucoup. Et quand je respire cela siffle comme jamais. Je sais très bien quand ce symptôme m’est déjà arrivé. En présence de chats. Desquels je suis très allergique. Ayant relativement peu côtoyé cet animal mesquin sur ma course, je fais l’analyse suivante : Je sais que je sur-ventile depuis des heures. Et le terrain est particulièrement poussiéreux cette année. Et étant aussi allergique à la poussière. (Décidément). Enfin faisant des réactions asthmatiformes à cela. Bah. Voilà. Petite crise d’asthme. Manquait plus que ça. 

Je finis tant bien que mal la montée. Je me fais un peu reprendre sur le final. Je suis lent. Sacrément lent. C’est un peu technique. Je respire mal. Je commence à sentir que les jambes ne fonctionnent plus. Je manque de motivation. Bref. Je suis bien accablé. Je tente d’avancer en sachant bien que ma vitesse de progression est ridicule. Dès, que je tente d’accélérer un peu. Mon souffle devient épuisant. Mes bronches pèsent des tonnes. Et j’ai presque la sensation d’asphyxie. Je n’avais jamais ressenti cela pendant une course. Généralement, cela m’arrive à l’arrivée, après une bonne journée dans la poussière. Dans cette situation, ok. Je comprends. Je toussais des conglomérats poussiéreux. Mais c’était après l’effort. Mais là. En pleine course. Pas cool. Je subis. 

Fin de la montée à la tête au vent. J’imaginais les quelques kilomètres qui me séparent de La Flegere plutôt cool et roulant. Et bien, ce n’est clairement pas ça. Mais alors pas du tout ce que j’imaginais. Psychologiquement, je n’étais pas prêt. Et vas-y que ça doit crapahuter. Et vas-y que les cailloux ne sont pas rangés. Je mettrai presque une heure pour relier la flegere. Et pourtant, il devait y avoir à peine 3 km. Que c’était long. A chaque petit sommet, je m’attendais à la voir dépasser au loin. Mais cela n’arrivait jamais. Un, deux, trois, quatre, cinq coureurs me rattrapent. Et ils me déposent très facilement. Je sens que je loupe totalement la fin de ma course. Le terrain technique n’aide pas. Je n’arrive pas à me remobiliser. J’attends d’être à La Flegere. Je me pose quelques minutes. Et puis go sur Cham’ pour finir. 

⛰ LA FLEGERE / Km : 165 / D+ : 10047 / Class : 41 / Tps : 23h37

J’entre dans le ravitaillement en marchant. Je m’assoie. Je suis le seul coureur. Un bénévole me propose de remplir mes flasques. J’aimerai bien grignoter quelques choses. En levant mes yeux, je vois les bénévoles du ravito se rassembler autour de l’un d’entre eux. Ils lui tendent chacun un verre. Je me dis que c’est plutôt sympa. Ils s’hydratent en groupe. Comme les zèbres ou les antilopes. Mais lorsque je vois celui qui sert, saisir une grande bouteille de rouge. Chacun autour tendant fièrement son verre. Je me suis dit que c’était encore plus sympa. J’hésite un instant. Tu vas quand même pas.. au pire.. il te reste peu de kilomètres.. ça se tente franchement. Le bénévole qui me sert de l’eau revient avec mes flasques à cet instant. Je me résous à rester à l’eau. 

Je sors du ravitaillement. Aller. On se secoue un peu. On tente de courir jusqu’à la fin. Le début de la descente est de ceux que l’on n’aime pas quand on finit un ultra. Une bonne piste de ski. Je connais par cœur toute la descente. Force toi. Cela ne va pas durer bien longtemps. 

Après un petit quart d’heure, je commence à reprendre un rythme qui me sort de la zone du ridicule. Les kilomètres défilent, et je sais que Chamonix n’est vraiment plus très loin. Je rattrape même quelques coureurs. Le second que je rattrape marche. Mais de la bonne marche qui veut dire « de toute façon je ne peux plus rien faire d’autre ». Je m’arrête à son niveau pour l’encourager. Lorsque nos regards se croisent, je le reconnais. Robert Hajnal. Je l’avais vu en 2019. Finir à la seconde place de l’UTMB. Je comprends alors qu’il fait partie d’une race d’ultra-trailer que j’aime. Cette espèce qui n’abandonne jamais. Peu importe l’état de forme. Peu importe le classement. Pas de ceux qui quittent la course lorsque le top 10 n’est plus envisageable. Nous parlons un peu. J’essaie de l’encourager. Mais il n’en a clairement pas besoin. Il m’explique que sa course est terminée depuis une grosse dizaine de kilomètres. Ça fait 2h qu’il marche, et il me dit qu’il va encore bien mettre 1h30 pour les quelques kilomètres qui nous séparent de l’arrivée. Notre échange se termine sur un High-five. Je suis content de l’avoir rencontré. 

Les sentiers joueurs de la descente me tiennent dans un bon rythme. La sensation d’approche à la ville me rassure. Le fait oublier toutes les longues heures précédentes. Aaaaaah. Mais je ne rêve pas. Je viens bien de.. de sentir une goutte de pluie. Ne me dit pas que c’est pas vrai. Je vais terminer mon premier UTMB à l’heure parfaite pour traverser Chamonix (l’apero). Et il va se mettre à pleuvoir. Ça fait 4 jours que je suis ici. C’est grand soleil h 24. Limite chaleur. Et là.. par ce que j’arrive, c’est orage. D’accord. D’accord. Résilience. J’accepte. J’enlève même ma veste pour fêter ça ! 

Me voilà donc trempé. Totalement trempé. Finissant la forêt et virant sur la gauche pour entrer dans les rues de Chamonix. Ah. Le voilà. Le fameux pont métallique pour éviter la route. Cette structure qui rappelle que la sécurité prévaut sur le bon sens. En effet, il s’agit de monter sur un échafaudage de 2 étages pour traverser une petite route. Alors qu’on a précédemment traversé des dizaines et des dizaines de routes sans aucun signaleur. Bref. Je pense que cela doit bien avoir une petite utilité pour quand le peloton arrive. Mais seul, sous la pluie, sans trafic de voiture, c’est assez ridicule. Je traverse la rivière quelques dizaines de mètres plus loin. Puis je la longe. Entrée dans le dernier kilomètre. 

Me voici le long de cette rivière qui traverse le village. Il pleut. Et il pleut vraiment. Je me suis fait cette première  arrivée de mon UTMB des centaines de fois dans la tête. Je me voyais profitant à fond de la foule. Allant taper des mains. M’arrêtant même peut être pour boire une gorgée de bière d’un passant qui me la tendrait. Mais là, la foule est moins nombreuse qu’espérée. L’orage qui s’abat va me permettre une grande discrétion. Quelle dommage. Et puis d’un autre côté, je ne suis pas à la fête. Il y a certes l’état physique qui est bien atteint. Il y a certes la fatigue immense de plus de 26h30 de course. Mais c’est surtout cette frustration qui m’empêche de célébrer de manière excentrique. La frustration de n’avoir pas tout donné. Et je ne me cherche pas des excuses. Je ne dis pas « de n’avoir pas pu tout donner » – je dis bien « de n’avoir pas tout donné ». Difficile. Même en faisant un joli top 50. Même en étant parisien. Difficile de faire abstraction de mon auto-déception. Je tente de savourer tout de même un peu. J’applaudis les quelques supporters présents. Virage dans la rue piétonne. Descente jusqu’au petit détour. Passage à côté de la statue pointant le Mt Blanc. J’arrive en vue de l’arche. Ayé. J’ai bouclé la boucle. C’est peut être le moment où je me dis « c’est quand même pas mal ce que tu as fait ». Ce moment, lors duquel tu refoules le même bitume qu’un jour auparavant. Et qu’entre temps, à la simple force de tes jambes, tu as fait le tour du massif du mont Blanc. Cette petite fierté, me permet de finir avec un sourire en coin. 10 mètres. 5 mètres. 2 mètres. Je prépare ma signature. Les épaules se dés-axent vers la droite. Appui pied gauche. Double appui. Petit saut. Et on envoie son premier 360° d’arrivée sur l’UTMB. 

⛰ CHAMONIX / Km : 172 / D+ : 10055 / Class : 43 / Tps : 26h42

Voilà. C’est fait. UTMB : Check. Maintenant, on tente d’accepter les félicitations. On tente d’être heureux du résultat. Enfin de paraître. Mais au fond de moi, peu sont les aspects positifs vis à vis de mon résultat. Et même vis à vis de ma course. Non pas que je pense avoir fait de grosses erreurs. Je pense en avoir fait assez peu. Mais je m’en veux. Je m’en veux de n’avoir pas pris plus au sérieux la préparation. Je m’en veux de n’avoir pas tenter d’améliorer les faiblesses que je me connais avant de me lancer dans ce gros morceau. Et je fais un constat rapide : Tu as la diagonale des fous dans 6 – 7 semaines. Tu n’es pas prêt. Clairement pas. Tu es encore loin du niveau nécessaire pour atteindre ton objectif du top 10 sur la Diagonale. Et avec si peu de semaines, tu n’auras pas le temps de t’y atteler. Je prends du recul. J’accepte de n’être pas prêt. J’accepte d’aller à la diagonale sans autres ambitions que de re-decouvrir le terrain en prévision de 2022 – 2023 – 2024. S’agissant de l’UTMB. Il faudra revenir. C’est sûr et certain. Cette course est la plus incroyable à vivre. Pas la plus dure. Pas la plus longue. Mais c’est définitivement notre finale de la coupe du monde à nous. Les ultra-trailers. 

Si je dois rapidement faire un état des lieux de fin de course. Les points négatifs que je m’identifie sont les suivants. Une grande difficulté en descente. Je le savais déjà. Mais je pensais que l’Ultra01 et l’UT4M m’avaient tout de même un peu permis de m’améliorer sur cet aspect. Et bien non. Il y a encore trop d’appréhension à la chute. Pas assez d’engagement vers l’avant, et donc un corps totalement en arrière, presque assis dans un fauteuil. Et je pense aussi, que je manque tout simplement de musculature. Que mes quadris’ ,et que l’ensemble des muscles qui permettent une descente fluide ne sont malheureusement que peu développés chez moi. C’est une piste à creuser. Ce point négatif sur la descente s’applique aussi dans le technique. Voir même, il s’applique encore plus franchement. Je me suis trouvé nul. Mais nuuuuuul quand il y avait quelques cailloux. Des excès de prudence que j’ai du mal à regretter. Mais aussi, et sûrement un manque de travail de pied, de travail d’appui que je paie cash au classement. Sur ces deux points : Pas de surprise. Je le savais déjà. Le dernier point négatif, et celui qui m’inquiète le plus, est le déclenchement de cette crise d’asthme pendant les dernières heures de la course. Ça. C’est inquiétant dans une certaine mesure. Il va aussi falloir que je surveille cet aspect à l’avenir. 

Pour finir sur une note sucrée. Enfin positive. Il y a quelques bons points que je peux m’octroyer. 

La gestion des 80 premiers km. Ni trop vite, ni trop lentement. M’ayant permis d’accélérer un temps à la mi-course. Je pensais me laisser prendre par l’ambiance. Je me suis retenu. Parfait. 

La réussite d’une course sans aucun bobo. Sans trop de chutes. C’est toujours bon à prendre aussi. 

La, dorénavant, bonne connaissance du parcours dans son entièreté. Ne pas se retrouver dans les années futures, dans cette découverte permanente du terrain, sera, j’en suis sûr un énorme plus dans mes futures tentatives. Et enfin, Je sais aussi maintenant que je préfère sans assistance qu’avec. D’accord cela apporte un peu d’aide et pas mal de soutien psychologique. Mais en réalité, j’ai trouvé que cela te rend redevable, cela crée en moi une forme de pression en plus à gérer, et fondamentalement, je trouve que cela m’a fait perdre du temps. 

Pour conclure, comment ne pas être heureux de faire un top50 à l’UTMB. Comment ne pas être fier de finir pour la première fois cet ultra mythique parmi les mythiques. Comment ne pas continuer à porter le bracelet rouge, sous sa manche de chemise droite quelques semaines après l’arrivée. C’est sûr. C’est ce qu’il faut retenir. Du positif. De la fierté. Mais, la sensation de frustration, même quelques semaines plus tard, est toujours bien présente. La sensation de ne pas avoir été au rendez-vous. Le sentiment qu’il va falloir y retourner. En se fixant ce rendez-vous comme un de ceux qu’on considère comme important. Comme un de ceux auquel on rêve pendant des semaines entières. Comme un de ceux qu’on pré-visualise du début à la fin comme une bataille qui doit aboutir en une réalisation. Bref. Il faudra revenir avec l’envie que je peux avoir vis à vis de la Diagonale des fous, mais adressée cette fois en direction de ce Chamonix – Chamonix. Je me donne du temps pour cela. Mais je le ferai. 

Récit : UT4M (2021) – 175 Km / 12.454 m D+ / 3ème au scratch / 30 h 03 min 30 sec.

Entre deux ultras. Jusqu’au départ. 

Vous avez forcément déjà vécu cela. Rentrer de vacances en coup de vent. Lancer des machines. Préparer une nouvelle valise. Et repartir rapidement. Cette sensation d’un entre deux un peu inutile. Trop court pour se (re)poser. Trop long pour être efficace. Et bah, c’est exactement ce que j’ai ressenti entre ces deux ultras pendant 6 jours. Le plaisir de retrouver sa chérie, mais ne pas pouvoir profiter réellement ensemble. Le confort de son lit dont on a tant rêvé, et qu’il falloir requitter. Le rythme professionnel pour bien te rappeler que ta vie ce n’est pas l’ultra. Et surtout quelques jours pour tenter de récupérer, pour se tester, et pour se rassurer avant de repartir. 

D’un point de vue mental, je m’en suis un peu voulu d’avoir tant décompressé du dimanche au mercredi. Je suis rentré dans un mood de suffisance. « Finish sur l’Ultra01. La victoire en plus. C’est bon, t’as fait le job ». Heureusement, refaire ma valise, re-préparer mes affaires pour l’UT4M m’a bien remis les choses en place le jeudi. 

D’un point de vue physique : 2 pépins. Mais tout le reste allait bien. 1er pépin : les mégas cloques ont bien mis 5 jours à se suturer. (Ps : si on peut éviter les conseils sur « comment éviter les cloques » dans les commentaires. Merciiiiii.). Désavantage de cela : Je suis reparti avec une sûr-sensibilité de la paume des pieds. Mais bon.. si un ultra-trailer se plaignait d’avoir mal aux pieds.. ça serait qu’il n’a pas encore compris les ressorts de ce sport. Avantage de cela : la petite peau en reconstruction est généralement trop fine pour créer de nouvelle ampoule. En résumé mon conseil à moi : pour éviter les ampoules.. faites vous en des mégas grosses quelques jours avant. Second pépin, et celui-ci était plus handicapant. Une petite entorse au niveau de malléole gauche suite à l’ULTRA01. Alors là.. c’était coton. Au point de me mettre en doute jusqu’à jeudi sur ma participation ou non à l’UT4M. Lundi. Repos total. Ça part pas. Mardi. Vélo tranquillou. Je la sens la coquine. Mercredi. Petite sortie traditionnelle pour savoir où j’en suis et pour me décider si ça Start ou si ça DNS. Alors du côté de l’entorse, mercredi. Ça pue. J’arrive à courir de manière rectiligne en serrant les dents. J’arrive à tourner à gauche sans douleur. Mais en revanche, le moindre virage à droite, c’est une charmante décharge douloureuse qui me lance de la malléole à la moelle épinière. Pour rigoler, je me suis dit que de toutes façons l’UT4M tourne par les 4 massifs dans le sens anti-horaire. Techniquement parlant on devrait au moins tourner une fois de plus à 360° à gauche, qu’à droite. Fin de plaisanterie. 

En revenant de mon entraînement je fais le point. « Bon. Tu as encore 48h. Peut être que par magie cela va gentiment disparaître. Et puis, si cela ne part pas. Tu tentes. Tu stopperas peut-être à la première base vie. Mais au moins, tu tentes. C’est pas une petite entorse qui va t’empêcher de le tenter ». 

Et enfin un dernier point de vu : l’énergie. Alors clairement, là je me pensais beaucoup plus fort que cela. Je pensais qu’en 6 jours j’aurais totalement rechargé les batteries. Et bah, clairement non. Je pense qu’il m’a manqué quelques jours réellement Off, et peut être une ou deux grasses matinées. Lorsque, vendredi, je suis parti sur la ligne de départ, je me suis dit « Tu pars sur un ultra. Et ça va pas durer 20-25h même dans le meilleur des cas. Si tu veux aller au bout, ça va être du 31 – 36 h minimum. Et là.. tu es juste crevé. Genre « fatigué quoi tout simplement. ». Partir sur un ultra. Pas de soucis. J’y suis habitué. Mais d’habitude, les batteries débordent de sommeil. Le corps est en forme olympique. Les cernes, j’ai oublié ce que c’est. Bailler ? Par politesse peut-être. Mais ce vendredi, ce n’était pas cela. 

Vendredi c’était de longs soupirs d’épuisement sur le chemin du tramway. C’était une tête qui se colle sur la fenêtre du wagon. Les yeux qui regardent le premier massif. Se ferment. Se ré-ouvrent. Et il est toujours là. C’était trouver une place à l’ombre pour dormir encore quelques minutes avant le départ. C’était soulever ce sac si lourd (Paye ton matos obligatoire, essentiel certes, mais handicapant). Ce sac, dont le poids n’a d’équivoque de celui de ta fatigue et de tes doutes sur ta capacité à surmonter l’épreuve. 

J’en étais là. J’étais ce petit corps. Traumatiser par un festin précédent. Qui est un peu rassasié. Mais qui part gourmandise, regarde avec des yeux inquiets mais pleins d’envie le buffet entrée-plat-4massifs qu’il va se servir. Je n’avais plus faim. J’étais simplement assoiffé par l’envie de tenter. L’envie de découvrir de nouvelles limites, de nouvelles sensations. Savoir si c’était définitivement une ânerie cette Ultra-doublette, ou si j’allais pouvoir dire « je l’ai fait ». Aller. Je me motive. J’y vais. De toute façon, c’est pas maintenant que tu vas faire marche arrière. Ta mère te l’a souvent dit « Quand on arrive au pied du mur. On ne l’évite pas par facilité. On l’affronte. Méthodiquement. » bref. On y met du panache. 

C’est donc avec ce panache que j’aime tant que je pars sur l’UT4M.. une phrase en tête : « On dit que l’appétit vient en mangeant. » Mange toi le premier massif. Croque le. Gobe le. Comme un fruit magnifique qui dépasse de la corbeille. A la fin de celui-ci, tu décideras. Mais pas avant. 10.. 9.. 8.. 7.. bordel ça recommence.. 6.. 5.. pas d’excès dans la douleur.. 4..3.. mais envoie quand même un peu.. 2.. tu aimes ça, pas besoin de te le rappeler.. 1.. et c’est partiiiiiiiiiiiiiiiiiii pour l’UT4M. 181 km / 11.000 de dénivelé positif. Que je vous ferai partager massif par massif dans les jours qui viennent. J’espère vous faire savourer le Vercors. Vous faire aimer détester le Taillefer. Vous faire re-découvrir le goût de Belledone. Et enfin avant de partir, un petit coup de Chartreuse pour la route. 

On m’a vu dans le Vercors. 

Le Vercors. C’est une caresse avant le passage à l’acte. Un premier massif à passer rapidement, mais en faisant attention à ne pas y laisser trop de forces avant d’attaquer la nuit dans le prochain. 47 km et 3156 m D+ jusqu’à la première base vie. Sur le papier ça peut paraître un gros morceau. Mais avec la forme cela se fait bien. (6h de course pour moi). 

Cela se fait bien avec la forme. D’accord. Mais justement, le soucis là, c’est la forme. Je ne pars pas comme une brute. Il est loin le départ à 3:20 au kil’ de 2018. Ça part, mais ça évite de monter le curseur dans la zone rouge. Deux vagues sont parties 40 et 20 minutes avant nous. Logiquement, on devrait les récupérer dans la montée. Je ne me presse pas. Je laisse quelques coureurs partir. Cela monte très légèrement. Je peux encore courir sans difficultés. Je commence à me mettre dedans. Les sensations de course reviennent à moi. J’oublie mon entorse. J’oublie ma fatigue. Je me sens tout simplement bien. Je n’abuse pas non plus. 

Je branche mon MP3. Première musique : « You are beautifuuuuuuuuuuul ! No matter what they say ! Words – can’t – bring you down, oh no ». Cela déclenche en moi une énergie folle. Celle que j’ai au quotidien. Cette fougue que j’aime tant. Qui me joue des tours parfois, mais qui me caractérise si bien. Et si au final, l’appétit venait vraiment en mangeant. Et si ces quelques premiers kilomètres avaient réveillé l’homme des montagnes enfermé au fond de toi. Je sors les bâtons. (Et oui. Par ce qu’il faut pas déconner quand même. Partir sans bâton sur l’UT4M je l’ai fait une fois. Ça m’a calmé à vie). Je n’y ai pas touché depuis quand ? Ça doit bien faire 1 an et demi. Comment ça marche déjà. Allumage du cerveau. Les réflexes reviennent. Souvenir d’une vidéo de Kilian dans la montée après Les Houches sur l’UTMB. Un geste fluide. En balançant à contre-temps léger le bâton droit puis le bâton gauche. Ctrl-C. Clic droit sur Casquette Verte. Ctrl-V. Les 2 premiers coups de bâtons sont hésitants. A partir du 3ème, le corps retrouve ce tempo si caractéristique, ce pendulier asychronisé. Nous ne sommes pas sur un berger qui tient le bâton. Nous sommes sur une majorette. Bon, en short, avec des chaussures de Trail et un sac gros comme une maison sur le dos. Mais on est dans de l’esthétisme au service de l’efficacité. 

J’attaque la montée de manière plus sérieuse. Je dépasse les quelques coureurs partis devant. Et je pars. Je récupère rapidement les derniers coureurs des vagues précédentes. Je discute rapidement en les dépassant. J’accueille les encouragements avec délectation. Et je rigole discrètement dans ma bave des « Ah. Bah. Voilà. Il nous a déjà mis 40 min ». Ça attaque le tremplin olympique. Une broutille. Il m’avait tellement fait peur, il y a 2 ans. Les choses changent. L’insurmontable devient normalité. 

Premier ravitaillement. 12km/1.140 m D+ en 1h18. Propre. 1er au classement. Maintenant, on se détend. Tu t’es testé. Tu as bien vu que ça pouvait aller. On enchaine tranquillement. Tranquillement, OK. Mais est-ce que je vous ai déjà parler des conditions de courses ? La boue partout.. la glaise qui fait sluuuorp sluuuorp.. les bassins pédiluviens.. les rochers détrempés. L’averse dans la nuit. Le brouillard dense pendant plusieurs heures qui ne te permet pas de voir à plus de 3 mètres devant. Je ne vous en avez sûrement pas parler. Pourquoi ? Et bien par ce que même si on s’en plaint. Est-ce que c’est pas pour cela que l’ultra-trail est formidable. C’est ce petit côté piquant qui donne à la sauce ULTRA un goût d’exceptionnel. Et j’ai pas mis longtemps à la goûter. Sortie du premier ravitaillement, quelques centaines de mètres en sous bois. Première légère descente dans la boue. Le Parisien est courageux. Il y va. Avec un peu de vitesse ça devrait passer. Deux pas plus loin.. « Ziiiiiiiiiiiiiiiiiiip ».. « This is a fabulouuuus one pied en extension sur quelques mètres , with a tentative of rattrapage qui aggrave the situation ». Note artistique : 9/10. Voilà. C’est fait. Je suis couvert de boue. Des crampons à la visière. C’est parfait. Quand on aime pas se changer en ultra. Je me lève, (et je te bouscule) et je repars d’un pas moins serein. GROSSIÈRE ERREUR. 20 mètres plus loin. Rebelotte. Zip-tentative de rattrape-loupage total-bain de boue. Voilaaaaaaaaaaa. Que la journée commence bien. J’en rigole. Et je file. 

Je finis la montée plus sagement. Le rythme est bon, mais je me laisse locomotiver par quelques mollets de coureurs entre deux accélérations. Passage par Lans-En-Vercors. Ravito. RAS. Eau-Saussicon-bout d’orange. Ça repart. Je cours presque de façon détachée de cette course. Je me donne toute liberté. Aucun contrainte. Je ne suis pas en train de faire l’UT4M. Je suis en train de faire une balade d’avant course. Puis ça sera la nuit. Et enfin la course commencera, vers le km 90. Pas avant. 

On attaque la descente. Les améliorations repérées dans ce domaine sur l’Ultra01 sont là. Bonne nouvelle. Bon. Aujourd’hui pas de descente à 17 km/h comme à Nantua. Le terrain ne s’y prête pas. Nous sommes dans une sorte d’Aqualand.. mais un Aqualand avec des tuyaux de boue. GadouLand. J’ai aussi appris à gérer ce type de descentes. Je sais de mieux en mieux où prendre mes appuis. À quel moment ne pas freiner. À quel moment glisser plus que courir. Quand c’est réussi. C’est agréable. Sinon c’est l’enfer. Là. C’était plutôt réussi. Je suis content. Fin de la descente, l’organisation nous a détourné pour éviter une cascade boue. Je dis pas non. Car même si ça se passe bien pour moi à ce moment là. Plus j’évite la boue, plus j’évite de m’épuiser. De tirer sur les tendons par glissage et crispation. 

Nous prenons donc 7 km de replis pour finir la descente. Tu pars pour 175 km.. ça se transforme en 182 km. Pareil. Il y a quelques années j’aurai été frustré, presque trahi. Mais aujourd’hui, et bah je m’en fiche totalement. 10 – 20 – 30 km en plus.. vas-y. Met. Met. Entasse. Je prends. Je ne regarde plus le kilométrage de la montre entre le départ et l’arrivée. Je ne regarde plus le nombre de km entre deux ravitos. J’ai même tendance à ne plus regarder le profil. L’Ultra devient de plus en plus pour moi un grand tapis roulant (roulant.. lol) sur lequel je suis placé… je découvre en arrivant dessus les difficultés. Et j’avise en fonction. C’est nouveau pour moi ce mode de course. Mais j’aime cette liberté. Ne pas s’enfermer dans un profil. Ne pas se fixer des temps de passage. Juste se manger les difficultés comme elle viennent. Et pour ceux qui aiment le beau football.. avouez-le.. il y a ce quelque chose en plus.. ce quelque chose de magique qui se passe lorsque le commentateur prononce ces trois mots annonciateur de poésie dans la reprise de volée « Comme elle vient ». Voilà. Maintenant. Les ultras pour moi c’est « comme elle vient ». Comme elle vient.. d’accord. Mais d’ailleurs qui voilà. C’est – la – nuiiiiiiit. « Coucou petit homme. Ici la nuit. J’espère que tu es prêt. Arrête toi à Vif (première base vie • 6h de course). Ravitaille toi rapidement. Et rejoins moi dans le Taillefer. Je ramène quelques copains. Brouillard. Averse. Vent. Boue. Et n’oublie pas ta fatigue qui va te tomber dessus, hein. Tu vas voir.. ta stratégie du beau jeu. Ton « comme elle vient ». Tu vas voir… ». 

Un coup de moyen bien nommé « Taillefer » . 

Nous en étions à la Nuit qui me menace. Rien que de l’écrire. Là. Je frémis. Et bien, elle a bien fait cette nuit de me menacer. Car elle me transforme la nuit. Elle me transforme en un être à deux pattes. Courant en une unique dimension. Celle de la Petzl qui éclaire les quelques mètres devant lui. La nuit, tu pourrais me faire passer à côtés de mes proches, de La Joconde, d’une tournée de pintes, ou d’un accident grave de voyageur… si tu n’es pas dans mon faisceau, tu n’existes pas. Il ne faut pas chercher plus loin. Dedans. T’existe. Dehors. Tu n’existe pas. D’ailleurs, existe-t-il vraiment un monde quand tu es seul. Dans le brouillard. Que tu vois à 3m devant. Je me pose la question parfois durant les nuits sombres. Le monde continue-t-il de tourner ? Est-il en pause ? T’attend-Il ? Est-ce la solitude qui rend ce moment unique ? Ou est-ce ce moment unique qui te fait aimer la solitude ? 

Vous devez le percevoir. J’affectionne tout particulièrement la nuit. Elle me protège. J’adore d’ailleurs ces horaires de départ d’Ultra. Les milieux-fins d’après-midi. Quand tu as quelques heures un peu inutiles mais agréables à passer pour attendre la nuit. Une nuit entière, avec un début et une fin.. deux points assez lointains pour créer un réel souvenir. Mais assez proches pour n’être qu’un moment de quelques heures. Et puis une journée dernière pour finir le travail commencé. 

Et bien cette fois. J’ai beau aimé la nuit. J’ai beau l’avoir adoré celle-ci. Celle-ci m’a mis en confiance sur sa première moitié, pour mieux me quitter avec pertes et fracas sur la seconde. Je m’explique. Enfin je vous explique comment moi je me l’explique. Qui dit « nuit » dit tout simplement « envoyer message au cerveau de dire à tous ces copains organes que bientôt : youpi dodo ». 

Je schématise. Reprenons. « Tous les organes reçoivent : youpi – dodo… » mais léger soucis, nous recevons un contre-ordre mon colonel. Apparement, notre hébergeur nous refait une nuit à courir dans les montagnes. Je répète. L’idiot qui nous héberge est entrain de se manger plus de 3000 mètres de dénivelé en 35 bornes, et j’ai l’impression qu’il en reste derrière Jacqueline. Avis à tous les organes.. on déploie le plan « Économie d’énergie ». Les glycérines : Couper lui les ressources. La vessie : Hisse le drapeau jaune. Le système nerveux : Vas-y. Éclate toi. Fais lui la totale. Tu l’attaques d’abord avec des picotements dans toutes les extrémités histoire de pas lui faire peur. Et si ça ralentit pas. Tu balances les grosses chutes de tension. Caresse le 7-8 de tension. Généralement, ça le calme. Estomac : Muscle ton jeu estomac. Point de côté.. tu connais le refrain. Épaule et biceps : Désolé, on avait oublié votre existence sur le mollusque à Casquette Verte. Pas de timidité dans la sensation de douleur hein. Il vous utilise une fois tous les 2 ans pour se faire un ultra en bâtons. Donc.. pas de pitié. Rappelez-lui qu’un muscle qui ne s’entraîne pas.. c’est un muscle qui s’exprime. Sphincter ? Sphincter ? Il est où celui-là ?! Encore fourré avec la prostate. Bon. Vous. Laissez le tranquille. Mais tous les autres : un seul mot d’ordre.. je veux qu’il souffre. Et de la pire des souffrances. La souffrance de fatigue extrême. Celle qui vous met à terre. Vous marche dessus. Vous écrase de tout son poids contre le sol. Qui s’éloigne. S’arrête. Se retourne. Et vous donne un grand coup de Doc Martens dans les abdos. Histoire de. Voilà. Voilà, comment ma seconde partie de nuit peut se résumer. Un enfer. Une énergie qui disparaît totalement. 

Au mauvais moment d’ailleurs. Généralement, dans les descentes pleines de cailloux glissants. Là, où mon corps se crispe. Mais tant que c’est dans les descentes au final, ça va. Au bout de quelques minutes, le rythme revient. Mais le problème, c’est quand ce grand coup de pompes intervient dans une montée, et que la gravité ne joue plus en ta faveur. 

Nous sommes un peu après le lever du jour. Je suis dans la longue descente en direction de Riouperioux. Bon.. un peu plus de 5 km pour descendre 1 700 D-. Logiquement, ça devrait pas remonter… et bah.. mesdames et messieurs.. le traceur a eu l’imagination loufoque de casser cette descente par un petit coup de cul à la fin du premier tiers. Quelque chose de pas bien méchant. Un petit + 100.. et encore.. qu’est ce que ça représente quand tu t’attaques à 11 K D+. Et bien ce que ça représente c’est le paroxysme de mes moments de moins bien de la nuit. Je sens mon cœur battre de manière totalement normale. Trop normal. A ce rythme de battement, justement je ne devrais pas le sentir. Mon souffle ralentit lui aussi. Même si mes pas et mes plantés de bâtons sont encore rythmés, tous les autres mouvements non frénétiques se ralentissent. Lorsque je tourne la tête légèrement sur la gauche pour regarder au loin. Ce mouvement se fait au ralenti. Une éternité s’écoule avant que je n’arrive à 90°. Une seconde éternité passe alors que je cligne simplement des yeux pour réaliser ce qu’il m’arrive. On est dans de la bonne grosse chute de tension là. Je tente d’oublier. D’avancer. Si la marche et le bâton fonctionne. Bah.. écoute.. on va arrêter de faire autre chose. Voilà tout. Je suis tout de même attentif, je me dis de prendre un coup de fouet comme je le fais souvent pour sortir de ce type d’impasse. Et puis aussi par curiosité sur cette drôle de sensation : je tente de prendre un gel. Je les stocke dans les poches latérales à l’arrière de mon sac. Un peu de contorsion. Un petit coup de poignet pour dezipper. Et le tour est joué. En théorie…. Je ne vous fais pas les 8 éternités qu’il m’a fallu pour arriver jusqu’au zip. Puis les 12 éternités pour ne pas réussir à l’ouvrir par manque de force. Et enfin je reprends. Je m’arrête de courir. Cette poche ne peut me résister bien moins longtemps. Je suis en contorsion totale. Je fais un effort sur le moment surhumain (pour ouvrir une poche.. hein.. je rappelle la cocasserie). J’arrive enfin à attraper le gel. Je ferme en à peine 4 éternité la poche. Et j’avale lentement ce gel. Avec ça. Logiquement, plus d’ennuis. Aller.. on est reparti.. 

« Non. – Comment ça non ? – Bah. Avec les camarades organes, nous nous sommes mis d’accord. On ne repart pas. – D’accord. Très bien. Et qu’est ce qu’on fait alors ? On reste là au milieu de la montagne.. on abandonne l’ultra-doublette ? Soyez un peu raisonnables messieurs. – Écoutez. Moi et mes camarades nous te proposons une négociation gagnant-gagnant : Tu tentes des micros-siestes de 20 / 30 secondes. Et on avise de la situation après ça. D’accord ? »- Me voici donc.. sur la presque fin du Taillefer. Au petit matin frais. A l’arrêt complet entre deux rochers. Les deux bâtons pointés bien ancrés dans le sol. Les mains resserrées. Et la tête lourdement posée dessus. Appelons ce geste technique le « Le flamant rose qui va faire : Hein quoi ? ». Je ferme les yeux. 5 sec. C’est reposant. 10 sec. C’est si agréable. 15 sec. Guuuuuula wooooongluuuuua, oh les plumes qui volent. 20 sec. PNC aux portes. Désarmement des toboggans. 25 sec. Et top départ. C’est parti en sommeil profond. (Je vous rappelle que je suis actuellement sur un single entouré de dangers, dans la position du flamant rose qui va faire : hein quoi ?). 26 sec. Léger déséquilibre à gauche. 26.5 sec. Ça s’emballe dans la chute. 27 sec. On déclenche l’instinct de survie. 27.1 sec. Heiiiiiiin quoi ? Qu’est ce qui se passe. 28 sec. Reprise en main de la bécane. Stabilisation de l’appareil. Analyse système. 

Voilà.. voilà le type de moment de moins bien que j’ai pu vivre pendant cet UT4M. Beaucoup dans Taillefer (on va dire 15/16 fois) et aussi quelques fois dans Belledonne. Je ne crois pas à un complot de mes organes contre moi. Bon. Faut avouer que la voix qui me contredit tout le temps qui me trotte dans la tête, à qui j’invente des répliques, et des répliques à mes répliques.. est franchement louche. 

Mais en réalité, je pense que deux facteurs sont à l’origine de ces chutes de tensions terribles. 1ère facteur. Et attention vous allez être surpris : « C’est par ce que j’étais fatigué 6 jours après un ultra ». Merci aux fins commentateurs de m’avoir d’ailleurs prévenu dans les commentaires les jours précédents. Sans votre analyse poussées et pertinentes, je ne l’aurai jamais deviné. 

Second facteur, et là il y a une piste à fouiller. J’ai tendance à prendre beaucoup de gels en course. Mais surtout beaucoup de gels très tôt dans la

course. J’ai mes lointains cours de SVT qui reviennent à moi. Avec les pics de glycémie. Les rechutes. Ce graphique en vol d’oies. Qui dans un schéma d’Ultra ne peut pas tenir la tangente plane sur la durée. Je pense souvent un peu trop au moment que je viens m’aider par le fait d’avaler un gel (avant une montée par ex). J’anticipe bien cette partie. Mais par la même, je fais totalement abstraction de la rechute qu’il y a dernière (hypoglycémie) et à quelle moment elle va arriver. J’ai déjà des pistes de solution en tête. J’en parlerai si ça fonctionne. Trêves de bla-bla-bla on finit le Taillefer avec François. Une superbe descente. Longue. Mais agréable. Sur un terrain meuble. Riouperoux approche. Et avec lui la seconde base vie. Mais surtout ma vengeance. Ma vengeance sur le double KV qui permet d’attaquer Belledonne. Toi. Mon coquin. Je t’attendais. Me voici. Je vais t’humilier. Enfin on va voir. 

Belledonne – La magie de l’Ultra-trail. 

Base vie numéro 2. Rioupéroux. Km 97 / 6.600 m D+ et 15h de course depuis le départ. J’ai traversé la nuit dans la souffrance. La fatigue absolue. Le manque d’énergie. L’impuissance la plus totale. Ce moment est traversé. La fin de la descente m’a permis de reprendre vie.  Et ça tombe bien car dans ma tête la course commence maintenant. Encore 80 km.. et un peu moins de 5000 m D+ sur deux massifs. 

J’ai fait le choix pour la première fois en course de changer de chaussure. Je prends le temps d’enlever toute la terre présente sur mes pieds. De bien les nettoyer. J’abandonne les SLab Ultra 3 et je les remplace par des Salomon Glide. J’avais remarqué le super amortie et le grand confort à l’entraînement. Je m’étais dit que pour traverser Belledone et pouvoir envoyer à la fin sans penser aux douleurs des cailloux sous la semelle, c’était la parfaite stratégie. Ça le fut. 

J’attaque donc le troisième massif. Belledone. J’en garde le souvenir de l’enfer sur terre pour celui qui n’est pas amis des cailloux et du technique. Mais surtout je me rappelle que la porte d’entrée est un double KV dans lequel en 2018 j’avais pris une sacré leçon d’ultra-trail. C’est donc avec un esprit de revanche totale que je l’attaque. Cher double KV, je pars la pointe dont vous espériez me faire don. Je sors mon espadon. Je vous pique. Là. Dans le flanc. Et je vous transperce. Voilà. Voilà ce que j’aurai écrit double KV si seul je vous avais monté. Mais le timing en a voulu autrement. Je suis parti après des vagues de coureurs du 20 ou du 40 Belledonne. Me voici donc dans mon combat pour mettre à terre ce double KV.. accompagné de chenilles grimpantes bâtons à la main. C’est terrible comme situation. Tu as envie d’envoyer tout le long. Mais après chaque accélération, tu te retrouves gêné dans ta progression par des grands groupes de coureurs qui sont eux aussi dans un effort intense à leur niveau. Je passe à gauche. Je passe à droite. Je m’excuse. J’encourage. Je perds une énergie folle pour tous ces à-côté. Au final. Je l’ai dévoré. J’ai eu ma vengeance. Mais elle a manqué selon moi de panache. Je pense que je vais devoir y retourner… fin du double KV. 

Petit replat sur quelques km pour relancer. Et on attaque le vrai Belledone. Le Belledone magique et terrible à la fois. Le Belledone minéral. Le Belledone technique. Le Belledone où l’on passe une fois et l’on a une seule envie par la suite : y retourner. Que c’était dur. Mettre ce niveau de difficulté entre 100 et 120 km. Après 17h de course. C’est croire que l’humain est plus fort que tout. C’est croire qu’un parisien bien entraîné peut y survivre. J’aime ces croyances. J’aime cet espoir. Mais à ce moment là. Pendant les 5 grosses heures passées à crapahuter sur les hauteurs de ce massif. Tu as beau croire en toi. Tu as beau savoir que c’est possible. Il y a des moments où cela dépasse tes limites. Le verre d’eau à raz bord. Et plop. Le rocher dans le genou. Le déséquilibre dans une descente. La chute dans un névé. Ça déborde. Et quand ça déborde chez moi. C’est juste pas beau à voir. 

Je contiens tout. Tout le temps. Les souffrances je me les garde. Une petite vanne par ici, un sourire par là.. je cache mon mal-être. Mais dans Belledone. C’est aller quelques fois au dessus de la limite. Et je me suis surpris à être énervé. Énervé déjà par ce que j’étais épuisé. Et que mes baisse de tension commençaient à revenir. Énervé car dans les cailloux, je n’avance pas. J’ai l’impression de perdre énormément de temps. Tout le monde me dépasse. Et moi. Rien n’y fait. Je suis bloqué. A l’arrêt. Prudent certes. Mais tellement leeeeeeent. Raaah. Rien que d’en parler, j’ai cette arrière goût amer dans la bouche. Je ferme cette porte. Je sais qu’il faudra forcément la re-ouvrir avant la diagonale. Mais là, on l’oublie quelques semaines merci. 

Ah oui. Si. J’oubliais. Vous vous rappelez que j’avais une entorse en partant vendredi. Et bah là.. ce n’est pas par ce qu’on est samedi midi qu’elle a disparu. Belledone. C’est un peu un test antigenique d’entorse. Et pas besoin d’attendre un quart d’heure. Si ça fait aïe à chaque pas. Pas d’hésitation. Tu es entorse-positif. Bref. Un long moment de joie, de caresses et de bonheur. 

Dernier petit souvenir des hauteurs de Belledone : La bientôt mythique scène du « parisien dans un névé bâtons à la main ». Par sympathie, et surtout générosité, le traceur a décidé de nous faire traverser des petits névés. Qui je pense pour des montagnards sont plus des petits monticules d’eau gelée que des névés au sens littéral du terme. Pour moi.. c’était comment dire.. Comment peut-on qualifier la présence d’un corps étranger sur une surface glissante non adaptées. Une sorte de rencontre du troisième type entre ce que je connais de la physique terrestre et un sol de fast-food qui vient d’être nettoyé. Revenons à la scène : Je descends. Dans le névé. Comme tout le monde j’ai vu les belles vidéos Salomon avec les élites qui font mumuse à descendre pleine balle dedans. C’est beau. Mais c’est beau par ce que c’est eux. Je tente l’aventure 4 sec. Ça part de partout. Ça ne va pas. Stoooooooop. Changement de stratégie. Reste dans ce que tu sais faire l’ami. Prudence. Lenteur. Et sensation d’inconfort. J’y retourne. Ça ne manque pas. Je prends un peu de vitesse. La partie gauche de mon corps commence à partir. Je tente un planté du bâton nerveux à droite. Ça se plante bien. Trop bien. Il ne ressort pas. Tout mon corps attiré par l’inertie continue lui lamentablement sa chute. Jusque ce que les limites de mon mètre soixante-quinze soient atteintes. À ce moment très precis. Je suis déjà tombé. J’ai le nez et la bouche dans la neige (sale). Je suis étrangement à l’envers. Le bras tendu vers le haut a 60 cm du sol. Tout mon poids repose sur le gantelet de ma main droite qui est resté attaché au putin de bâton de merde qui est planté dans la neige. (Quand je vous dis que cela me rend nerveux ^^). Histoire de rajouter de l’amusement à ce passage délicat pour mon égo.. des éléments présents dans mon sac trouvent l’instant opportun pour se faire la malle et faire la piste de ski en solo. Mentalement. Je souffre. Mais j’arrive à en sourir. Un rire nerveux. C’est sûr. Mais quel moment de ridicule formidable. Ça se dit ultra-trailer. Mon cul sur la commode ouais.. ultra-trailer de parc et jardin va ! Je mettrai une bonne minute à reprendre le dessus sur la situation. 3 minutes de plus pour sortir le bâtons de la neige. Et quelques minutes à partir à la chasse à mon permis de conduire et à mon sifflet dans la neige molle du névé. Du bonheur je vous dis. 

Fin de la cour de récréation. On range les cailloux dans les cartables. Et maintenant on file tout droit vers la dernière base vie. Un tout droit pas vraiment droit, et plutôt pentu. En gros 20 bornes et – 2.000 mètres de dénivelé. En vrai. Rien que de le dire, ça calme. Mais nous sommes un peu avant le Refuge du Pré Mollard (Ps : j’ai toujours été fasciné par la qualité du naming en secteur montagnard. Tout un univers qui mériterait un dictionnaire entier).. la descente n’est plus technique. 

Je viens de passer 7h de pré-chauffe. 14 h ensuite dans le dur. Le prochain chapitre s’appelle « je te donne 9h pour arriver à Grenoble ». Et c’est ce que j’ai fait. Je me suis mis en tête cette phrase de laquelle j’ai beaucoup appris en ultra « Si tu veux que les douleurs et la souffrance cessent.. alors avance le plus fort possible »… et c’est parti… et vas y que je vis mon second souffle. Je re-cours sans interruption jusqu’à St Nazaire (km 140/9000 D+). Une moyenne a 10km/h à bientôt 24h de course sur 20 bornes de descente. Faudra que je me le répète 2 – 3 fois avant d’y croire. 

La descente se termine. Traverser de la vallée. Je ne coupe pas l’effort. 6 km de plat. C’est cadeau. J’en profite pour prendre un sale coup de soleil. Pas grave. Le poulet est toujours meilleur quand la peau croustille. Je file vers St Nazaire. Dans ma tête, c’est une simple marche. Je suis déjà dans la suivante dans ma tête : La traversée du massif de la Chartreuse et l’arrivée sur Grenoble. Et on parle dans le prochain récit 🙂.

Chartreuse cul-sec. 

J’arrive à la dernière base vie. Saint Nazaire. 15 minutes d’arrêt. On ne va pas se mentir, je traîne un peu. Certes, j’ai envie de terminer rapidement, mais depuis le départ je ne connais pas du tout mon classement. Je pense être entre la 6eme et la 13eme place. Dès personnes sur le

bord du chemin m’ont donné quelques infos. Mais j’ai tendance à ne jamais les croire. En m’asseyant dans la salle pour récupérer quelques gels, je me retrouve à côté de Mathieu, qui s’occupe du système de chronométrage Livetrail. C’est trop tentant. 

Tu peux me dire où j’en suis ? Alors là, il y en a 2 qui sont partis il y a 40 min. Vous êtes 2 dans la base vie. Et derrière c’est pas tout proche. D’accord. Donc là, tu viens de me dire que je suis à la porte du podium de l’UT4M ? Pourquoi cela ne m’excite pas. Je ne comprends pas. En temps normal, j’aurai tout lâché et je serai parti en courant comme un fou. Là, pas du tout. J’ai pris le temps de me ravitailler (Merci Aurélien Collet pour la belle assiette de pâtes), de papoter. Bref. Zéro pression. Mais il est temps de partir. Alors.. go.. je demande à Mathieu le temps que va mettre le premier pour avaler le massif. Il me dit « autour de 7h ». Je me fixe cet objectif. C’est parti. (Je mettrai 6h30). 

Je sors de la base vie en marche rapide. François, un autre coureur qui connaît bien le coin est parti juste avant. J’ai beau être déterminé, je n’ai pas envie de m’attaquer à la remontée de la Chartreuse en solitaire. Je le rejoins donc. On attaque la montée ensemble, et nous le ferons ensemble tout du long. Et vas-y que ça blablatte.. l’avis sur les nouveautés de l’UTMB. Les infos sur la HardRock. Les courses déjà faites, celles à faire. Le ressenti sur la nuit. Bref tout y passe. Et c’est un grand moment de plaisir comme on aime à les partager en montagne. Durant la montée, nous évoquons le podium. On parle des différentes options : Finir ensemble. Laisser l’un ou l’autre devant s’il en a le plus envie. Ou voir tout simplement qui a encore de la fraîcheur pour avancer et dans ce cas, il part. La troisième option fut la bonne. Et cela me frustre un peu. 

Dans une montée. Un peu sèche. Je commence à vraiment avoir les sensations qui reviennent. Je suis plus lucide qu’à n’importe quel moment de la course. Cela doit faire pourtant 26 ou 27h que je cours. Mais c’est maintenant que je suis frais. Je grimpe bien sans avoir à me mettre dans le rouge. Sans trop m’en rendre compte, je n’entends plus les pas de François derrière moi. J’hésite un instant à m’arrêter et à l’attendre. Je me pose la question. Et je décide que je suis frais. Que je suis capable de terminer fort. Que j’ai envie de le faire. Je regarde les zig-zags plus bas pour lui faire un signe. Je ne le vois pas. Tant-pis, je le croiserai à l’arrivée. 

Et c’est parti. Je me mets dans la tête que le second est peut être proche. Et que ça pourrait être marrant d’aller le chercher. Un bénévole un peu plus loin me dira « il est passé il y a 15 min ».. bon.. vous connaissez les bénévoles hein. En fait c’était plutôt 40 min. Je ne lui reprendrai que quinze minutes sur les 30 derniers km. Mais bon. On lui en veut pas à notre bénévole. Vous m’auriez vu dans ces derniers km. Qui ne sont pas les plus simples d’ailleurs. Pas mal de dénivelé positif et négatif. Mais l’intégralité ou presque de la distance est courable. Rares sont les % trop élevés qui l’empêchent. Je me suis même épaté à courir toute la remontée en gros faux-plat après le col de vence. Quand tu te dis que quelques dizaines d’heures d’effort en arrière tu t’endormais de fatigue totale sur tes bâtons. Le corps humain est incroyable mesdames et messieurs. Et l’Ultra permet vraiment de s’en rendre compte. 

Je vous fait abstraction de tout le finish. En très très résumé : Moi. Vouloir que ça se termine très vite. Moi. Lucide. Moi. À bloc. Moi. Courir tout le temps jusqu’à ligne d’arrivée Grenoble. Et c’est loiiiiiiiiiiin Grenoble. Même quand tu vois les lumières de la ville. Claude me rejoint dans la ville pour finir avec moi. Je suis frais comme un gardon. Enfin, par rapport à lui. (Claude est le responsable du balisage, des ouvreurs, des serre-files sur l’UT4M.. donc autant vous dire que pour lui c’est pas 30h03min d’ultra.. mais 4 jours de suite sur l’ensemble de l’événement). J’arrive à l’arche. Un petit 360° bien fatigué par rapport à celui de la semaine dernière. 

Je suis content. Mais je n’explose pas de joie. Soit, j’ai vécu trop d’émotions de course intenses ces derniers 8 jours, et je me rends pas bien compte de ce que je viens de réaliser. Soit en fait je suis dans mon schéma classique de me dire que j’ai pris quelque chose qui à un instant t me paraissait totalement impossible. Je me suis bien donné pour le réaliser. Maintenant que c’est fait. Bah, c’est juste normal. Rien d’exceptionnel là dedans. Je ne sais pas. C’est peut être encore trop frais. Ou alors je n’ai plus la bonne échelle pour graduer ce que je fais. Prenons quelques jours-ci et faisons la synthèse de l’aventure (dans le prochain récit).  

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 by @nacho_grez

Ultra-Doublette • La synthèse de cette connerie. 

Cette doublette. Aussi rapprochée. N’était pas voulue. Comme souvent depuis 1 an et demi, il a fallu s’adapter aux fluctuations. Aux choix contraignants individuellement mais collectivement nécessaires. J’ai cette image en tête : Dans le film « Le sens de la fête » où mon tant regretté Jean-Pierre Bacri clame un « On s’adapte ! » lorsque tout ne se passe pas comme prévu. 

Et puis, plus que le défi sportif c’est aussi, et avant tout par amitié que je me suis mis dans cette panade. Amitié envers Alexandre de l’Ultra01 et amitié auprès de Claude de l’UT4M. On oublie trop souvent l’importance des relations humaines dans l’Ultra Trail. On oublie trop souvent les humains qui se démènent pour nous organiser nos ultras. Tenter cette doublette. C’est aussi un peu leur dire merci. Ainsi qu’à tous les acteurs, les bénévoles et les partenaires qui se sont sortis les doigts pour que ça puisse avoir lieu. Merci à vous. Merci de m’avoir permis de tenter cela. 

Revenons un peu plus sur l’aspect sportif. Enchaîner deux ultras sur une semaine. C’est loin d’être un record ou une performance quand on regarde de plus près les performance de beaucoup de supers coureurs et coureuses qui communiquent moins que moi. Que dire lorsque l’on voit ce que Claire par exemple fait depuis 4 semaines et va encore faire pendant les 8 semaines qui viennent. Et bah. On peut dire que je suis un petit joueur au regard de ses performances. Un petit joueur. Certes. Mais à chacun ses défis. Pour moi, s’en était réellement un immense. Le réussir. Enfin, le réaliser fut un réel plaisir. Se sortir de sa zone de confort. Accrocher une victoire et un podium. C’est exceptionnel pour moi. Je ne veux pas minimiser cela. Même si je sais qu’au fond, ce n’est pas si incroyable. Je ne sauve pas des vies. Hein. Je ne fais que courir. Quelques dizaines d’heures en montagne. Un pied devant l’autre. 

Ça serait à refaire. Je ne le referai pas. Pourquoi ? Tout simplement car c’est une souffrance. Une souffrance physique, cela va de soit. Une souffrance mentale. Mais aussi une sensation de « trop plein ». Trop plein de retours sur les réseaux sociaux. Une sensation de trop plein de sollicitations. Et une sensation de trop plein de temps loin de ces proches. Je cherche en permanence l’équilibre entre entraînement, course, vie pro et vie perso. Là, il y a eu un déséquilibre. Merci à ma copine tout particulièrement d’avoir pris sur elle, pour m’accompagner à distance dans ce trop plein. 

Je le répète : Un ultra reste une aventure à chaque fois. Je ne suis pas du genre à me dire que ça va le faire à chaque fois. Recommencer deux fois ce schéma mental pour se conditionner à aller au bout, et réussir mes courses est quelque chose d’éprouvant. Je ne le conseille pas. 

D’un point de vue physique, je suis plutôt très content de mes prestations. Je souffre beaucoup moins. La gestion et l’expérience acquise lors de mes 3 dernières années très impliquées ont permis cela. Je ne dis pas que je vais m’arrêter tout de suite. Mais une bonne partie de ce que je voulais faire est déjà fait. Maintenant, je ne dis pas non plus qu’il ne me reste pas d’autres envies. D’autres objectifs. Il y a notamment ce fameux top 10 sur la Diag’ qui me tient en haleine. Et puis quelques autres belles courses qui m’attendent encore. Je peux encore m’améliorer sur quelques aspects. Et je sais que je peux le faire. 

S’il faut gagner des places au classement, je sais que la triche mécanique des bâtons peut m’aider a cela. J’ai calculé pendant mon UT4M que j’économise autour de 1,2 foulée sur 3 en les utilisant. Et sur le long, c’est clairement ce qui peut me faire approcher des meilleurs. 

S’agissant du technique, si j’arrive à me focus dessus à l’entraînement, je suis convaincu qu’il y a encore quelques minutes à gratter. Bref.. encore de la matière à s’amuser. 

Pour le moment. Les prochaines semaines seront plus douces. On va maintenir la forme, et aussi un peu se reposer. Ensuite, rendez-vous fin Août. Dans 6 semaines : pour un UTMB en mode dernière révision avant la Diagonale des fous. Pour le reste du programme, on verra les dossards qu’on garde et ceux que l’on repousse : Diagonale des Yvelines en septembre. Ultra Maxi race fin octobre, et Lyon SaintéLyon en décembre. Je n’ai pas la tête à me replonger dedans tout de suite. Ça reviendra vite. Mais là. Pause. 

Il faudra ensuite aussi commencer à penser à 2022. Les voyages ultra-trail me manque un peu à vrai dire. Je pense que l’Ultra Trail du Mont Fuji (Japon) c’est encore mort cette année. Donc on va zieuter s’il y a pas une autre destination qui me chaufferait. Nord de l’Europe ? Québec ? Afrique du Nord ? On va commencer à y réfléchir. Sans se prendre la tête. Comme d’hab’. 

En tout cas, merci à tous d’avoir suivi mes aventures. Ce fut un plaisir de partager cela. On ne s’arrête pas de suite. Juste une petite pause. Pour faire redescendre la mousse. Avant de reprendre de grandes gorgées d’ultra désaltérantes, rafraîchissantes et nécessaires au besoin d’évasion qui est le mien. Passez un bel été. Courrez bien. Amusez vous bien. La vie ne vaut d’être vécue que si on la vie pleinement. Pleinement 😌

Récit : ULTRA 01 (2021) – 177 Km / 7700 m D+ / 1er au scratch / 21 h 59 min 04 sec.

Stratégie de course. 

On va pas se mentir. Je n’avais pas tout à fait prévu d’effectuer la course comme j’ai pu le faire. À la base j’avais découpé la course en 3. Une première partie jusqu’au 80ème km (la nuit) en y allant cool, quitte à laisser les autres coureurs devant. Une seconde partie de 80 à 130 km (2 grosses difficultés) avec plus d’implication pour recoller à l’avant poste. Et au 130ème km : je voulais faire le point puis aviser selon le classement et la forme. Au final tout ne s’est pas passé comme prévu. Je pars fort du stade. Ça fait du 3:50 au kilo. Ça se place pour ne pas être dans les bouchons. 10 premiers km à la cool mais avec de l’intensité pour rester avec les premiers. Et puis au 10ème km. Le moment du choix. Rester tranquille ou passer à l’offensive. Il m’a fallut quelques secondes pour me décider. 2 relais à 1/2 minutes devant. Les concurrents du 177 km avec moi. On attaque une partie très roulante et la descente sur Nantua. Je remarque en 50 mètres de roulant que les deux coureurs qui sont avec moi ne pourraient pas me suivre si je pose une bombe maintenant. Je réfléchis. Est-ce que je reste tranquillou avec les autres coureurs ? Ou est-ce que j’ai envie de gagner cette course ? C’est bien la charité chrétienne. Mais c’est pas une stratégie. Cela fait tilt dans ma tête. Tac-tac Bang-Bang. Changement de stratégie. Je vais partir comme une brutasse jusqu’à Nantua pour creuser un écart dès le début de course et vivre tranquillement dessus par la suite. Je pourrai ainsi passer la nuit plus sereinement, et je sais le coup psychologique que cela peut mettre aux poursuivants. C’est parti. J’envoie du sale. La montre vibre. 3:40 / 3:35.. je suis à l’aise d’un point de vu souffle. C’est très agréable. Je reprends et dépose les relais. J’envoie une grosse descente jusqu’à Nantua. J’entends Seb Chaigneau (qui me suit caméra à la main pour le live) souffler. C’est bon signe. J’arrive à Nantua en 1h55 (22 km / 800 D+). L’écart est creusé. Je repars avec 10/15 minutes d’avance sur les poursuivants. Comme dirait un président de la république « Qu’ils viennent me chercher » maintenant. Par la suite, les écarts grossiront de 5 à 20 minutes par section. Cette stratégie fut la bonne pour en sortir victorieux. Mais en revanche.. cette bombe posée en début de course va me faire exploser physiquement parlant. Et on en parle dans le prochain récit.

Un moment de moins bien de 19h.  

Certes, il y a la victoire. Certes, il y a des gros écarts. Mais clairement l’Ultra 01 a été un terrible chemin de croix physiquement parlant pour moi. Nous sommes vers le km 30 – 40. J’avance toujours bien. J’allonge les écarts avec les poursuivants. Mais j’ai un premier coup de grand moins bien. Ceux qui ont déjà fait un ultra (ou pas manger pendant 1 jour entier) connaissent cette sensation. Le ressenti de n’avoir plus aucune force. De se sentir vraiment mal. Je ne parle pas d’avoir mal physiquement. Je ne parle pas d’avoir les cuisses qui tirent. Les genoux qui sifflent. Je parle d’un coup de barre qui te tombe dessus. Et dans lequel tu te retrouves et tu te dis « bon.. là je suis au fond du trou.. qu’est ce que je peux faire pour en sortir ? ». Par expérience je le sais, les coups de moins bien en ultra c’est normal. Mais pas aussi tôt dans la course. 

Nombre de km : 30. 

Ressenti : 150. 

Je tente de prendre des gels. De bouffer en quantité sur les ravitos. De bien boire. Cela ne part pas. Je n’arrive pas à sortir de mon manque d’énergie total. Deux solutions : Soit je m’arrête. Je rends le dossard et je dis « c’est une journée sans ». Soit, je prends mes responsabilités. Et je combats le mal par la détermination. Voilà ce que j’ai fait. Et pendant 18 – 19 h se sentir faible. C’est looooooooooong. J’ai beau avoir « Cette année là » de CloClo dans les oreilles : « Les Beatles étaient 4 garçons.. dans le vent.. et moi. Ma chanson disait marche droit ! ». Même avec cette pèche. Je ne sortirai pas du trou. La seule échappatoire = finir. Et finir le plus vite possible pour que cela s’arrête. Je suis un peu déçu de mon temps. Selon moi, avec la forme, à 14h je serais arrivé à Oyonnax (douche comprise 😈). Je suis très troublé par ce qui m’est arrivé. D’accord, je n’avais pas beaucoup dormi les jours précédents. D’accord, je suis peut être parti beaucoup trop vite. Mais merde quoi ! C’est quoi ce corps qui arrivent à toujours faire des remontada dans les sensations et qui là me lache complément après seulement 30 / 40 bornes. Ça m’effraie beaucoup pour l’UT4M. Déjà, avant la course, je me disais que le point le plus problématique d’enchaîner les deux ultras allait être le manque d’énergie après quelques heures de course à Grenoble. Mais avec ce qui s’est passé sur l´ULTRA01, je flippe. J’ai tout simplement peur. Peur de ne même pas réussir à aller au bout. On verra bien.

Le mental.. le mental.. le mental. 

Les plus assidus de mes posts’ d’avant course le savent. Je suis plutôt du genre à sous-promettre et à sûr-délivrer. C’est peut être la peur idiote et irrationnelle de décevoir. Je le sais bien pourtant : je n’ai de compte à rendre à personne. Je ne suis pas un de ses marquis qui veut avoir des pages. Mais c’est comme ça. Je ne suis pas d’un naturel optimiste. Je suis d’un naturel déterminé. Et cette détermination, cela a clairement été le leitmotiv de ma course. Revenons au 30 – 40 ème kilomètres. On se remet en position : J’ai posé une bombe jusqu’à Nantua. Je me remets sur un rythme de croisière. Les sous-bois deviennent sombres. La nuit s’ouvre à moi. Et surtout.. les heures passant. Cela ne revient pas. Je suis mal. L’idée de rendre mon dossard me passe dans la tête. Je la fais fuir à grand coup d’auto-motivation. Tu es là pour faire ton ultra. Tu la fermes. Tu souffres en silence. Tu fais un peu d’esbroufe aux ravitos pour rassurer les bénévoles. Et tu avances. Tu déconnectes le cerveau du reste du corps. La souffrance est là. Profondément. Tu dois vivre avec. Accepte là. Explique à ton corps que « Ok. Tu me laches. Ok. Tu n’es pas là aujourd’hui. Bah c’est pas grave. Je vais faire sans toi. À marche forcée ». Si vous saviez, le nombre de « aller bordel de merde avance » que j’ai pu me dire. J’avais vraiment l’impression que mon énergie était une lâcheuse. Je comptais sur elle, mais au dernier moment, sans prévenir. Bah. Elle est pas là quoi. Comme un pote le jour du déménagement. Tu es juste déçu, mais tu fais avec. Enfin sans.. avec sans.. bref. Vous avez compris. Plus tard dans la course.. je n’arriverais même plus à faire semblant de survivre. Je n’arriverais plus à sourire. Je n’arriverais plus à être sympathique. J’étais dans la souffrance. J’étais dans la bave qui coule des lèvres jusqu’au t-shirt. J’étais dans ce cri de souffrance qui s’étouffe au fond de la gorge. Plus de respect pour mon image. Plus de respect pour rien. Je dois juste avancer. Les sourires ça sera à l’arrivée.

L’état des lieux et les pistes d’améliorations. 

Je ne parlerai pas de l’aspect « gestion du grand moment de moins bien ». On en a déjà assez parlé précédemment. On va plutôt se concentrer sur le reste. Commençons par ma grande satisfaction : J’arrive enfin à descendre. C’est pas encore parfaitement fluide et dynamique. Mais j’ai un peu moins peur de m’engager et de prendre de la vitesse. Je trouve mieux mes appuis et j’arrive un peu à enlever les rétro-freins que je mettais auparavant à chaque foulée qui me fracassaient les cuisses. Preuve en est : Lendemain matin de la course.. mes cuisses sont ultra-fraîches. Mes genoux ne couinent pas. Bref : il y a du mieux là dedans. Du côté des montées, je passe là dessus. Le coup de barre total m’a empêché de vérifier si c’était toujours autant un point fort. Dans les autres facteurs clés de succès : L’hydratation. Je me rappelle des dizaines de fois où Sébastien Chaigneau m’a dit en début de course « Hydrate toi.. on dirait pas comme ça.. mais il fait chaud ». J’ai appliqué à la lettre ce conseil. Là où je suis à généralement 500 ml par heure sur mes ultras. J’ai forcé le trait pour monter autour de 1L/h. Je pense que ça m’a bien aidé. J’ai d’ailleurs été étonné par la couleur de mes urines. (Et oui. On parle même de ça…). C’est resté translucide pendant toute la course. Alors que d’habitude, ça tend plutôt au jaunâtre dégueulasse. L’énergie était pas là. Mais les reins ont bien taffé. Nickel. Niveau alimentation, cela fait quelques ultras que je perds l’appétit au fur et à mesure des kilomètres. Auparavant, enchaîner les saucissons et les énormes bouts de fromage était un réel plaisir. Là, ce fut une souffrance. J’avais beau mâcher le tout. Petit bout par petit bout. Au moment d’avaler. C’était souvent une fin de non recevoir. Et je devais cracher la bouillasse. J’arrive à tenir mentalement, alors que la faim se fait de plus en plus intense. Mais, il va falloir que je trouve une solution pour mieux gérer cela dans l’avenir. Enfin, un autre aspect sur lequel je pense que je devrais me pencher : Le changement de chaussure à mi-course. Comme sur tous les ultras, je me suis tapé une formation d’ampoule gigantesque à 40 kilomètres de l’arrivée. Impossible de poser le pied efficacement. Peut être qu’un simple changement de chaussure pourrait solutionner cela. À tester.

Les médias – La célébrité. 

Si en créant mon compte « Casquette Verte » il y a quelques années on m’avait dit que cela prendrait une telle ampleur, je ne l’aurais pas cru. Surtout dans le micro-monde de l’ultra-trail. Se sentir regarder. Se sentir suivi. Se sentir dans la lumière. On va pas se mentir. J’adore ça. Déjà pour l’égo, mais aussi et surtout pour les opportunités d’en faire quelques choses. Savoir que ce que je fais peut être pris comme exemple, donne une certaine sensation étonnante de pouvoir, mais cela donne surtout des responsabilités. La responsabilité de passer les bons messages, la responsabilité de porter les couleurs de ce sport. Je vous rassure, je ne me prends pas du tout pour le king, il y a des vrais athlètes tellement plus fort pour cela. J’ai toujours cette sensation d’être le bouffon du trail. D’avoir ce symptôme de l’imposteur. Un parisien qui gagne des ultras.. sur le papier.. c’est pas sexy. Mais c’est difficile pour moi, maintenant, étant donné la notoriété, étant donné les phares médiatiques, de me dire que je peux continuer à ne pas gérer mon image, et les signaux que j’envoie. Bref. Revenons sur l’Ultra01. Certains qui ont suivi le live ont du s’en rendre compte : la couverture de cet événement était triple AAA. Le plateau télé professionnel. Le suivi en caméra embarquée. Les ITW. Les réactions à chaud. Sincèrement, c’est du jamais vu. Et c’est franchement génial. Que les médias ouvrent les yeux sur le potentiel de démocratisation de ce sport. C’est fabuleux. Bon.. certes c’est cool. Certes c’est un kiff d’avoir les optiques braquées sur soi. Mais d’un autre côté.. c’est encombrant. Je me suis surpris dans la nuit à prendre du plaisir à être seul. Quelques heures complément seul. Ne pas avoir 2 coureurs avec soit caméra au point. Ne pas avoir une moto devant soit la Go Pro fixé sur mon minois. Ne pas avoir 10 iPhone flashs allumés dans sa direction  aux ravitos. C’est bien aussi. Plusieurs fois, alors que j’étais vraiment mal, je me suis demandé ce que je devais laisser transparaître. C’est difficile d’être réellement soit même, d’être spontané quand on sait que potentiellement les images qui sont prises sont au même moment diffusées devant 26.000 personnes (audience du live canal+ au départ). Au final, j’ai l’impression de l’avoir bien géré. De n’avoir pas menti sur mon état de forme. Ne pas avoir cacher mes souffrances, ni de les avoir sûr-jouer. Bref. Ce fut un exercice intéressant. Un facteur de plus à gérer. Mais intéressant. Pour ce qui en est des encouragements. Alors là. GROS BIG UP. Je n’ai jamais eu autant de « aller casquette verte ». Un record. Ça me donne de la force. Même si je n’arrive pas toujours à articuler un « merci » audible. Sachez le. Je le pense. D’accord le succès est encombrant. Mais c’est un encombrement nécessaire et qui permet d’aller plus loin avec ce sport. Faire 1h de plateau télé en direct, à peine 2h après l’arrivée, et avec 4 bières avalées dans le gosier. Sur le papier, il y a quelques temps ça m’aurait bien fait chier. Mais là, c’était juste du plaisir. Pouvoir partager sur notre sport. Pouvoir en faire un substrat de valeurs universelles dans lesquels chacun peut piocher. C’est juste génial. Bon.. en revanche.. le coup des selfies en pleine course. C’est un délire que je ne comprends pas.. Faudra m’excuser à l’avenir.. mais si les écarts avec les autres coureurs ne sont pas les mêmes que sur cet ultra. Je déclinerai poliment. Vous m’en voudrez pas.

Quelques jours de repos et UT4M. 

En me lançant dans ce défi débile d’enchaîner deux ultras, je le savais bien. Ce challenge est un match avec deux mi-temps. Impossible de faire abstraction de la seconde en courant la première. Impossible, en mettant une petite accélération de ne pas se dire « tu vas le regretter la semaine prochaine. ». Là, je rentre au vestiaire avec deux buts d’avance. Mais comme au football. Et c’est un supporter du PSG qui le dit « tout est possible.. même le pire ! ». Il s’agit maintenant de se reposer le plus possible. De bien manger. Voir de manger gras. (J’ai encore perdu 3 – 4 kg pendant la course). Et d’attaquer la seconde mi-temps en faisant totalement abstraction de la première. Physiquement, les voyants sont au vert clair, enfin au rouge pâle. Quelques hématomes. Une grosseur à la malléole gauche qui me gène pour marcher, pour tourner (vers la droite), pour prendre certains appuis. Bref, c’est un peu handicapant et douloureux. Mais on devrait pouvoir faire abstraction. Et il y a aussi ses cicatrisations de mégas ampoules qui je l’espère vont finir de bien sécher dans les 24h qui viennent. Sur cet aspect physique pur. Je pense que ça devrait le faire. Je suis usé. Je suis fatigué. Mais pas plus que quelqu’un qui a fait un ultra quelques jours en arrière. Mais mon GROS doute se place sur l’énergie. Je suis certainement arrivé sur l’ULTRA01 avec une petite dette de repos. J’ai énormément puisé pendant cette course pour aller chercher le finish et la victoire. J’enchaîne avec une semaine de taff normale. Est-ce que ça va passer sur l’UT4M qui est d’un tout autre niveau d’exigence ?! Réponse vendredi et samedi prochain. Par contre, je vous préviens : ça sera en mode « triche mécanique ». Je pars avec les bâtons dans le carquois. La confiance en soit, n’exclût pas la volonté du contrôle. L’arbitre revient sur la pelouse. Les joueurs sortent du vestiaire. Aucun remplacement à signaler. Le tableau d’affichage indique une avance légère pour Casquette Verte. L’UT4M va engager. Quel sera le résultat de cette seconde mi-temps. L’arbitre regarde sa montre. Lève le bras gauche.. deux coups de sifflet retentissent.. et c’est reparti Jean-Michel pour ce Casquette Verte – ULTRA01/UT4M.. On espère une seconde mi-temps tout aussi palpitante que la première, même si l’un des joueurs semble quelque peu faiblard.. son panache pourra-t-il le sauver et lui permettre de réaliser son rêve ?

Récit : Ultra Trail des Montagnes du Jura – 180 Km / 7800 m D+ – 2ème au scratch – 25 h 59 min 07 sec.

Récit UTMJ (1/9) • L’amour de l’ultra Trail • 

3 consommes et 2 voyelles. C’est le prénom de l’ ULTRA trail. 

De mes lèvres bleue en titubant dans la seconde base de vie à Jougne.. de mes mains détruites par l’humidité nocturne sous cette tente fouettée par la pluie bâtante à Mouthe.. de mon torse transi de froid sonnant le vibrato de celui qui souffre.. je te le prononce. ULTRA. Je t’aime. Je t’adore. Je suis tout à toi. De mes pieds ampoulés. De ma déchirure de l’aponévrose cachée dans d’autres douleurs. De cette fracture de l’halux qui sentant l’humidité se réjouie de me provoquer d’inamicales douleurs. De mes cuisses détruites par les pentes troupéziennes. De mes adducteurs qui couinent d’un parcours à la Jean Marie Thévenard. De mon dos hurlant à l’idée de monter le Suchet sans bâtons, doublé des virages agressifs des aiguilles de Baulmes. De mon visage, concentré, mais totalement abruti par l’effort. De mon sexe, atrophié de ne trop bien comprendre que ce n’est pas le moment. De ces coups de marteau que mes genoux subissent de racines en racines. De mes larmes d’abandon, que je me suis interdit de pleurer. Je vous aime. 

Vous. Et votre capacité à m’amèner aussi loin dans mon moi-même. Aussi profond dans cette sensation d’être vivant. Aussi étincelant que ces braises rouges qui roulent dans mon envie quand chaque jour je me prépare à vous. Ah. Ça. Il y en aura des jaloux. Il y en aura pour ragotter de l’amour que j’ai pour vous. Pour expliquer qu’avec un entraînement plus spécifique notre amour ne serait que plus fort. Pour commenter que dans quelques années je ne pourrai, à ce rythme, plus vous aimer aussi intensément. Mais. Madame ULTRA. Je vous l’hurle. Je vous le chuchote. Je vous le dit en doublant par la gauche. Par la droite. En faisant mon 360° d’arrivée. Je vous aime. Consommons cela. Maintenant. Intensément. Sans arrières pensées. Sans retenu. Sans préceptes de bien-penseurs. Simplement pour vivre. Simplement pour profiter du temps que l’on s’offre tous deux. Pour que quelques fois par an. Cet amour puisse se conjuguer dans un présent. Dans un passé. Et qui sait, dans un futur qui, je ne doit pas l’oublier, se subjonctif au conditionel. Ainsi. Je t’aimais. Je t’aime. Et je t’aimerai(s). 

Récit UTMJ (2/9) • Résumé kilométrique partie I •

Mon plan de course était relativement simple. Partir vraiment tranquille jusqu’au km 30. Laisser les autres coureurs se tirer la bourre et se faire mal sur les deux premières très grosses difficultés. Puis accélérer, dans ce long passage « roulant » (c’est vite dit) du km 30 à la seconde base vie de Jougne au km 144. 110 km devrait être suffisant pour rattraper les joyeux lurons qui vont partir comme des balles. Et enfin.. le finish.. les 40 derniers kilomètres avec à nouveau deux difficultés (Suchet + Aiguilles de Baulmes) qui se feront avec ce qu’il restera (ou pas) dans les jambes. Sur le papier cela faisait un ultra en 3 phases : 30 km à la cool – 110 km appuyés – Et 40 km au mental. Et bien.. c’est très exactement ce qu’il s’est passé. C’est rare que la réalité se cale sur le plan établi. Je suis plutôt content de cela. Je dois commencer à me connaître tout de même un peu. 

Km 0 : Lancrans. J’ai repéré à l’échauffement les 500 premiers mètres. En clair. Pas de préliminaires. Pas de tour de chauffe. On fait cent mètres et ça grimpe direct. Je pars fort sur les trois premières minutes. Juste histoire de me dégager du peloton. Et puis je laisse partir la tête de course. Comme prévu. 

Km 11 : On vient de se bouffer 1200 mètres de D+ en 11 km. Clairement ça réveille. Je suis de plus en plus un diesel. Même si j’y vais tranquillement. Je mets deux bonnes heures maintenant à me sentir bien. Je reconnais le sommet. J’y suis passé pendant l’Ultra01. Cette fois. Il faut beaucoup plus froid. Et le brouillard est très dense. J’ai du mal à discerner les prochaines balises. Je navigue à l’instinct. 

Km 15 : Ravito de Menthières : 1h50 de course. Cette première partie de descente a réveillé la douleur dans mon aponévrose. Je m’y étais préparé. Je descends très prudemment. Je ne boite pas. Mais je ressens une gêne. Je ne peux pas dérouler normalement. Pourvu que cela chauffe. Je répare 9ème du ravito. Finalement, ce n’est pas parti si vite que cela à l’avant. Il se met à pleuvoir. J’enfile ma veste. 

Km 22 : Fin de la descente sur Chézery. On vient quand même de se manger – 1150 D-. Mes jambes sont biens. J’ai bien fait de ne pas appuyer en descente. Car maintenant c’est reparti pour un + 1000 en direction de la Borne au Lion. Je mets un peu de rythme dans la montée. Mains sur les cuisses et vas-y que ça dépose du taquineur de bâtons. Je me pose la question suivante : Est-ce que je ne serais pas plus fort sans qu’avec les bâtons ? Je m’en persuade un peu. En tout cas, les faits sont là. Lorsque je double, je suis à une vitesse 1.5 x fois supérieure au coureur dépassé. Et au sommet, j’ai repris 3 coureurs. Me voilà 6ème. Je ne le sais pas du tout. Je n’ai pas compté le nombre de coureurs que j’ai laissé partir dans la première montée. 

Km 36 : Ravitaillement de Bellecombes. 4h09min de course. Je suis officiellement totalement trempé. Mais je fais abstraction. Je me suis gentiment mis dans ce rythme de course non-stop qui doit se finir dans une grosse centaine de kilomètres. La locomotive est lancée. Il n’y a qu’une grosse chute qui puisse l’arrêter. Je repars 5ème du ravitaillement. 

Km 49 : Ravito de Lajoux : 5h25min de course. Je roule entre 10 et 13 km/h de moyenne assez facilement. J’ai l’adducteur droit qui couïne de plus en plus. Je pense qu’il s’agit d’un effet secondaire de ma foulée étrange qui tente d’amoindrir la douleur dans l’aponévrose gauche. Je résiste à l’envie de marcher. Courir. Toujours courir. C’est des kilomètres offerts là. Ne t’arrête pas. Et puis en plus il pleut depuis 4h sur toi. Tu es trempé. Plus rien n’est sec sur toi. Si tu t’arrêtes, c’est l’hypothermie en moins de 10 minutes. Résiste bonhomme. 

Km 50 à la première base vie des Rousses (km 69) : Ça regrimpe un peu. Je ne coupe pas mon effort pour autant. Je double quelques coureurs à nouveau. Je ne suis plus trempé. Je suis en train de me transformer en grenouille. Mon corps s’habitue à cette humidité totale. Je suis rincé. Mais avançant bien. Je garde une certaine chaleur corporelle qui me permet une moiteur presque agréable. En arrivant sur le secteur des Rousses. Je pense rapidement arriver au ravitaillement. Mais je n’avais pas en tête que le domaine skiable était si grand. Cela prend plusieurs kilomètres pour enfin descendre à la première base vie. 

Km 69 : Base vie des Rousses : 07h28 de course. 6 minutes d’arrêt. Généralement, les ravitos c’est 30/40 secondes pour moi. Et 2 minutes Max pour une base vie. Le fait que je triple le temps est vraiment dû aux conditions météos. Je dois prendre le temps de récupérer mes gels comme d’habitude, mais surtout je récupère ma Petzl, mon MP3 et j’ai la possibilité de me changer. Je décide de ne pas changer mes deux t-shirts de sous-couche. Trempé pour trempé. Perdre 5 min pour se changer. C’est inutile. Surtout que je sais très bien que je le serai tout autant dans 10 min. Même avec des affaires sèches. 

J’opte pour une option cocasse. Je garde mes affaires trempées, mais j’enfile en plus une seconde veste imperméable. Je fais le pari de rester assez léger pour me sentir bien et pouvoir courir. Ce qui devrait me tenir assez chaud pour ne pas me transformer en glaçon. Cette stratégie a marché. Mais uniquement une grosse trentaine de km. Et pour rejoindre Jougne c’est beaucoup d’heures de nuit et 75 km. 

Je ne sais plus qui me glisse l’info (Ugo Ferrari ? Loïc Jalmin ? Sebastien Chaigneau ?). Mais je suis 3ème dans le ravitaillement et en repartant. Je n’y pense même pas. C’est beaucoup trop tôt pour y penser. Et je présume déjà que les prochaines heures vont basculer dans l’horreur la plus totale s’agissant du froid et de l’humidité. 

Récit UTMJ (3/9)  • Résumé kilométrique partie II • 

Des Rousses (km 69) à Bellefontaine (93km). Je n’ai strictement aucun souvenir. Enfin si. Un seul. Le passage par la ville de Morbier. Sur le bitume, on se rend encore plus compte de la quantité de pluie. C’est le déluge. Petite dédicace pour ma sœur, frillante de celui-ci, j’avale quelques énormes bouts de Morbier. J’ai très peu mangé depuis le début de la course. Quelques bouts de fromages, quelques petites tranches de saucisson, et je me suis forcé à prendre quelques gels. Je n’ai pas faim. Et je n’ai pas soif aussi d’ailleurs. S’agissant de l’eau. Je m’oblige à chaque ravitaillement à finir au moins une flasque. Mais par rapport à d’habitude, j’ai divisé par 2 voir 2.5 ma consommation. 500 mL toutes les 1h30 voir toutes les 2h c’est pas ouf. Même si à l’entraînement je fais régulièrement des 3h à sec. En course. C’est tout sauf conseillé. Mais je n’ai vraiment pas soif. Et en passant je vois bien que je ne suis pas déshydraté. Est-ce que c’est le fait d’être totalement trempé qui fait passer une petite quantité d’eau par la peau ? J’en doute. Mais pour l’instant. Ça passe. 

De Bellefontaine (km 93) à La Chapelle des Bois (105 km). Cela fait maintenant entre 11 et 12 h que je cours. Je suis dans ce rythme que je me suis donné. Je cours tout le temps. Pas d’arrêt. Pas de marche rapide. En quittant Bellefontaine, j’ai eu la bonne idée de prendre 20 secondes pour m’installer ma Petzl. La nuit tombe quelques dizaines de minutes plus tard. Avec elle. L’humidité qui était une simple difficulté devient un véritable défi. Je suis passer de humide chaud. À humide tiède. Et très vite à humide froid. Mon corps. Même en courant. Ne se réchauffe plus assez pour maintenir une température confortable. J’ai froid. J’ai très froid. Et cela va durer encore 14 heures. 

Je quitte le ravitaillement de La Chapelle des Bois (105 km) en direction de celui de Chaux-neuve (115 km) en bas du Tremplin de saut à ski. Ce n’est que 10 km. En temps normal. Même après 12 h de course, c’est un simple saut de puce. Mais avec ce froid. Avec cette pluie. Avec ce vent. C’est une véritable épreuve. Et puis tout commence à glisser. Il faut rester si concentré. Toujours se poser la question du bon appuis. Je me prends mes premières gamelles. Deux premières simples glissades qui récoltent plus de boues que de bleus. Mais surtout une, qui me fait dire que les conditions m’épuisent. Car je n’arrive pas à bien chuter. Et je tape ma tête contre une racine. Ce n’est pas ouvert. C’est simplement un coup. 

Je me concentre à nouveau. Mais ça fait beaucoup de choses à gérer en même temps. Le balisage qui disparaît dans le faisceau lumineux bombardé de gouttes de pluie. Les sensations de douleurs aux pieds. Le froid qui commence à se faire sentir jusqu’à l’intérieur de son corps. Les rides formées par l’eau sur des mains blanches/transparentes de n’avoir connues de gants. Et le questionnement autour du fait de se forcer à s’alimenter. Ça fait beaucoup. Beaucoup à gérer d’un coup. 

Ravitaillement de Chaux-Neuve (115 km). Je suis officiellement un zombi. Je commence à ne plus être très compréhensible dans mes paroles. Lorsque je m’arrête de courir, je titube, je perds facilement l’équilibre. (Ne t’arrête pas alors BÊTA !). Dans le ravitaillement. Il y a une entrée d’air chaud. J’hésite à m’y mettre. La re-sortie sous la pluie ne sera que plus dure. Mais l’appel de la chaleur, ne serait-ce que quelques secondes est trop tentant. Je prends 3 – 4 minutes. Et je repars. Plus longtemps, cela aurait été trop dur de repartir. On me dit que le 2ème n’est pas encore reparti à ce moment là. Il doit être dans une camionnette en train de se changer avec son assistance. J’aurai préféré le doubler en course pour l’instinct de chasse. Mais c’est ainsi. Je file en direction de Mouthe. Je file tellement que je me plante totalement de chemin. Et vas-y que ça rajoute des kilomètres au compteur. (Au final je terminerai avec 186.5 km.. pour 180 km annoncés. Étonnant ? Venant de moi. Pas vraiment). 

Je suis bien incapable de vous décrire cette section. C’est un peu toujours la même chose maintenant. Peu-importe le terrain. Peu importe le paysage. Il fait nuit. Froid. Moche. Je ne suis pas bien du tout. Je commence à avoir de plus en plus mal. Mais tant que je cours. C’est que cela va au fond. Donc je cours. 

Km 123 : Ravito de Mouthe : 14h42min de course. Je raconterai un peu plus en détail ce grand moment d’humanité que j’ai vécu dans ce ravito dans un chapitre futur sur les bénévoles. Mais en très résumé. Je suis arrivé dans ce ravitaillement, comme un animal blessé, frigorifié, totalement hagard. Au bord de l’épuisement total. En hypothermie menaçante et appuyée depuis quelques heures. Et je suis reparti de celui-ci avec le sourire, de la détermination, de l’envie, et le cœur réchauffé. Par le partage que j’ai pu avoir, mais aussi plus rationnellement par la bonne idée d’une bénévole de mettre du thé bouillant dans mes flasques pour me réchauffer le torse. 

Ah. Et puis j’en parlerai dans le futur chapitre, mais je suis aussi reparti avec des gants et une veste qu’ils m’ont obligé à prendre. Et je les en remercie. Allez. On se casse. C’était bien. Mais à partir de maintenant, je connais plutôt très bien le parcours. Je peux anticiper les difficultés. C’est une flèche de plus à mon arc. Je revis un peu. 

C’est parti pour l’ascension très progressive du Mont d’Or, en passant par les Granges Raguin, la Boissaude, la Coquille, et pas très loin des Grangettes. S’avoir le situer dans l’espace me fait du bien. Car visuellement. C’est simple le champ de ce que l’on peut discerner s’arrête au mieux à 70 / 80 mètres devant quand tout va bien. Mais plutôt 20 / 30 mètres de manière générale. 

Je fais un arrêt bref au ravitaillement des Granges Raguin. Un des 3 bénévoles sur place me dit que je reprends beaucoup de temps au premier. Et qu’il a l’air plus amoché que moi. J’écoute sans écouter. Je me fiche, mais alors je me branle totalement du classement. Celui-ci qui s’intéresse à cela. Alors qu’il doit être 23 h. Que tu es au milieu de la montagne. Que tu n’as pas vu de coureurs depuis bien 7h. Que tout ton organisme lutte à chaque instant pour ne pas figer et te mettre au sol comme un pantin désarticulé. Celui qui s’intéresse à cela, est soit totalement psychopathe. Soit incroyablement compétitif. 

Fin de la montée sur le mont d’or. J’ai vécu sur les 4 dernières heures, trois bonnes demi-heures de moment de moins bien. Mais les vrais moments de moins bien. Ceux qu’un ou deux gels ne suffisent pas pour s’échapper. Ceux qu’il faut savoir subir. Qu’il faut savoir encaisser. Tu enfiles ton gilet par balle mental. Le coup de moins bien te met en jou. Et il tire une balle de manque d’énergie au magnum dans l’abdomen. Le moment va s’étirer. Comme un fascinant ralenti. De ton corps. Qui s’échappe de lui même. Tu n’es plus vraiment là. Tu ne ressens plus la possibilité de mettre un coup de collier. 

Faire peu, c’est déjà faire beaucoup à ce moment là. Et bien.. pour l’ascension finale sur le mont d’or. Je suis totalement focus sur le fait de ne pas relancer un cycle de moins bien. Je suis très vigilant à rester ultra concentré. Ultra lucide. C’est un gros effort. Mais cela en vaut la peine. Je le sais, dès que je dépasserai 1350 mètres. Les arbres vont se faire très rares. Le vent va être très fort. Et la pluie va se transformer en neige mêlée à forte taux de pénétration textile et surtout à un niveau d’inconfort au visage et aux mains des plus total. 

C’est effectivement le cas. Les conditions sont encore pires que celles des quinze dernières heures. Pourtant on était déjà bien dans le fond du panier. Mais là, ça dépasse l’insupportable. Il est minuit et demi. Et je cours sur les crêtes du mont d’or dans la tempête. Bonsoir. Heureusement. Mais alors heureusement que j’ai anticipé ce moment de 3 – 4 km sans protection naturelle. Heureusement que j’en ai gardé sous le pied pour pouvoir passer ce passage à très bonne vitesse. Plus courte fut cette épreuve. Et plus réussie elle le fut. 

Fin des crêtes : km 138.5 : Bascule dans ma piste préférée : Troupezy. 17 h de course. C’est assez simple. Il me suffit de descendre la piste. De faire un peu mumuse sur 6 – 7 km et biiiiiiiiim. La seconde base de vie de Jougne. Je suis si entamé que je me dis que derrière, cela doit être une hécatombe au niveau des abandons. (Au final.. 71 % d’abandon). Je sais surtout qu’à partir de Jougne, le parcours redevient compliqué, voir très compliqué avec le Suchet et les Aiguilles de Baulmes. Et vu les conditions météo, je me persuade presque que la course va être arrêtée. Ce n’est pas possible autrement. Gérer autant d’abandons. Ils n’avaient pas du le prévoir. Et puis, sérieusement, le Suchet, je veux bien. Mais les aiguilles de Baulmes. Dans ces conditions. Après 160 km et 22 h de course (pour moi) donc plus pour le peloton. Ce n’est pas sage. Ils vont forcément arrêter la course. A la limite nous donner un parcours de repli. J’en suis persuadé. 

Je finis ma descente sur Jougne. Persuadé que ça va se finir là. Toute ma concentration se relâche. TERRIBLE ERREUR. En une trentaine de minutes. Je bascule d’un état de zombi encore quelque peu vaillant, à un état de momie quadri-millinaire. Qu’on aurait plongée dans une cuve d’eau et de neige. Je ne suis plus pâle. Je suis transparent. Avec une bonne frontale, je suis presque sûr qu’on pouvait voir l’ensemble de mon circuit veineux sur quelques centimètres. 

Bref. J’arrive à Jougne (Seconde base de vie). Km 145. 17h50 de course. Il est presque 2 h du matin. Et mon corps ne répond plus. J’entre tel Jack Sparrow dans un bar à smootie. Qu’est ce que je fous là bordel ? C’est où qui faut aller ? C’est qui ces gens ? Essaie de leur parler. LOL. Attend. Tu n’y arrives même plus. Ta mâchoire est bloquée. Va falloir te sortir les doigts pour refaire surface. Force toi. Force toi. Force. Allez. Reviens à toi. Tu peux le faire. Allez Alexxxx. Allez Alexxxx. Alleeeeeez. Concentration. Et bouuuuuuuuum ! Le déclic. 

Tu passes d’un titubage. A un pas déterminé. Tu sais très exactement ce que tu dois faire. Tu sais très exactement ce que tu dois demander. Cela va être très primaire. Mais cela va fonctionner. Moi. Frigorifié. Moi. Ne pas repartir si moi pas changer affaires et repartir avec beaucoup de couches. Vous donnez moi un draps + une couette + un thé bien chaud. Moi. Récupérer mon sac d’allègement. Moi. Regarder affaire sèche dedans. Moi comprendre que pas assez. Moi demander si quelqu’un avoir affaires à me prêter. Gens donner moi un tee-shirt manche longue + à nouveau une veste de bénévole en XL. Moi me mettre tout nu au milieu de la salle. Puis moi me sécher dans un draps. Enfin moi m’assoir sur une chaise dans une couette. Dame apporter moi thé bouillant et 6 sucres. Moi souffler sur thé pour créer vapeur réchauffer moi. Moi aller mieux. Moi reprendre mes esprits. 

Je commence à m’organiser. Les affaires à prendre. Et celles à ne pas prendre. Les buffs sur les radiateurs. Les Bonatti sur des chaises. Changement de piles de la frontale et du MP3. Changement de chaussettes, mais pas de chaussures. Toute cette petite logistique me prend un temps de dingue. Je passe pas loin de 40 min dans ce ravitaillement. C’est mon RP clairement. Mais je repars lucide. Comprenant que la course ne sera pas écourtée. Et ayant parlé un peu, et donc forcément ris avec quelques personnes. (Ps : désolé pour le foutoir que j’ai dû vous laisser. Mais 1000 mercis). 

2h30 du matin. Km 145. Je quitte le ravitaillement de Jougne après 18h30 de course. Je mets presque 4 minutes à franchir la porte. Il pleut toujours. Et toujours autant. L’enfer va recommencer. Je ressemble maintenant plus à un bibendum improvisé qu’à un ultra Trailer. Je porte sur mon torse 6 couches + 3 buffs. Dans l’ordre : 2 t-shirts proches de la peau. Un t-shirt chaud manche longue. Une première veste Bonatti. Une polaire des bénévoles en XL. Une seconde veste Bonatti. Et mon sac par dessus. Pour l’instant c’est sec. Donc cela prend de la place. Mais ce n’est pas gênant. Dans 30 min. Cela prendra de la place mais cela pèsera son poids. Mais je n’ai pas le choix. C’est cela, où je risque je me mettre en danger pour les deux prochains passages en altitude. 

Récit UTMJ (4/9) • Résumé kilométrique partie III • 

Je relance plutôt pas trop mal de Jougne au pied du Suchet. Et forcément. Graaaaaaaaaaaaaaaand moment de moins bien dans l’attaque du pied du Suchet. D’abord un gros % qui termine de m’achever. Et ensuite le petit passage un peu technique avec la petite rivière, les rochers, et les chaînes. En temps normal, j’avance déjà pas bien vite quand c’est sec à cet endroit. Là. Je pense que je suis tout bonnement ridicule. 2 pas en avant. 1 pas en arrière. 1 pas sur le côté. 1 pas de l’autre côté. Bref pour faire 1 mètre vers l’avant c’est la croix et la bannière. Je me demande bien comment est-ce possible que personne ne m’ai encore rattrapé. Je mets ce passage de moins bien sur le manque total d’alimentation. J’ai dû prendre 2 gels et 3 bouts de fromages sur les 4 dernières heures. Et surtout j’accuse ces 6 putins de couches qui m’empêchent de respirer. Quelques temps plus tard. Sur les sommets, ces 6 couches je les aimerai pourtant. 

A mi-hauteur de la montée du Suchet. C’est un passage en faux plat. Un grand homme me rejoint. Il y a un ravitaillement 800 m plus loin. Il me propose de me remplir ma flasque et de m’apporter du pain d’épice. Cela me permet d’éviter de faire 200m pour faire l’aller retour au ravitaillement. Il me rattrape dans la dernière section de montée. Et me donne les pains d’épices. C’est mieux que Uber Eats. J’avale les pains d’épices. Manger me fait du bien. Je remets un peu de rythme jusqu’au sommet. Juste avant d’arrivé à celui-ci. Je me prends un flash. Mais alors ZEEEE FLASH d’appareil photo dans la tronche. J’aimerai beaucoup voir la photo. Car je pense que je dois avoir l’air légèrement surpris. Je m’y attendais pas. 

On bascule. On relance un peu dans la descente sur la crête. C’est plutôt agréable de recourir à cet endroit. Mais cette descente cool ne va pas durer. C’est parti pour – 850 de dénivelé. Et puis rapidement on ne prend pas de pincette. C’est tout droit vers le bas. Je commence à glisser de plus en plus. Je remarque qu’avec moins de vitesse, je me déséquilibre. Alors j’en mets un peu plus. Et ça fonctionne. 1 appui sur 5 se transforme en légère glissade. Mais c’est presque maitrisé. Je m’amuse. J’ai la sensation de gérer le truc. Comme sur des skis. 

Fin de la descente. Ravitaillement. Km 160. Je n’ai aucune idée de l’heure. Le jour ne se lève pas encore. Et puis je m’en fous totalement. J’avale à nouveau du fromage. Je prends un café bien chaud. Et j’y retourne. J’ai cette image en partant de cascades d’eau qui tombent du bord de la tente. Il faut aller chercher loin pour avoir envie d’y retourner. Surtout quand on sait très bien qu’on attaque une montée sérieuse de + 900 qui est particulièrement abrute. Et qui finit par des S à flanc de falaise. Je monte pas si mal. Le rythme n’est pas dingue mais je suis très régulier. 20min35 pour chaque kilomètre. Je garde ce rythme à la seconde près jusqu’en haut. 

Pendant cette montée, je me suis fait clairement peur deux fois. Du fait de ce rythme imposé, j’ai beau avoir les Rolling Stones (Angie) dans les oreilles. Je m’endors. J’en prends conscience deux fois. En déviant vers la droite et en me retrouvant à 20 cm d’une chute dans le précipice. Il faut absolument que je me réveille. Pour la sécurité. La stratégie utilisée sur la Diagonale des Fous de se jeter de l’eau au visage est clairement inutile vu que je suis plus trempée que l’eau elle même depuis 20 h. J’opte pour une face-palm avec mes gants si remplis d’eau froide qu’ils pourraient couler dans une bassine. Je me colle les gants gelés sur le visage. Toutes les 30 sec. Cela me tient éveillé. Fin de la montée. Je suis toujours vivant. Et maintenant c’est une grosse quinzaine de kilomètres et deux petites collines à passer. Je commence à voir le bout. 

Je commence à voir le bout. Mais surtout je commence à voir la clarté très fine d’un jour qui se lève. Il pleut toujours. C’est de plus en plus de la neige/pluie mêlée. Le vent est beaucoup plus fort sur la crête. Il me glace le restant de corps encore tiède. 1 km de crête plus loin. Le décor vert et boueux qui m’a accompagné pendant les dernières 22 h se vêtue d’un manteau blanc. Rapidement. Sans trop que je m’en aperçoive. Tout est blanc autour de moi. Les sapins sont recouverts de neige. Mais le sol aussi. 5 à 10 cm. C’est clairement magnifique. Mais c’est clairement un nouveau environnement pour avancer. Et vas-y que ça glisse. Et vas-y qu’on voit plus les cailloux. Je me vautre quelques fois. J’arrive à deviner que le coureur devant moi n’est pas si loin. Sa trace fraîche dans la neige me l’indique bien. D’ailleurs ils sont deux. Il doit avoir un pacer. J’arrive même à déterminer selon les écarts entre les pas et les appuis pris qui est le pacer et qui est le coureur. Je suis en mode trappeur. 

La neige commence à tenir sur moi aussi. J’agite parfois les bras pour la faire tomber et ne pas être confondu avec un yéti jurassien. Les traces de pas, et surtout les longueurs de pas me permettent de déterminer quand ils ont courru devant et quand ils ont marché. Je me force à courir quand c’est le cas. Et je prends un malin plaisir à courir aussi quand je vois que la trace est celui de quelqu’un qui a marché. Dans ma tête, je gagne quelques secondes par-ci par-là. Cela ne sert à rien. Mais ça fait du bien. 

Fin de la crête. J’attaque la descente. Sinueuse. Et toujours aussi enneigée. Je trouve que je me débrouille plutôt bien pour un mec en fin de course. Je garde de la lucidité pour ne pas tomber. C’est agréable. Cette descente technique se termine sur un sentier de 4×4. Je peux relancer. Je le fais jusqu’à l’approche du ravitaillement. Deux personnes sont venues en éclaireur dans ma direction. Je sais que j’ai du mal à échanger. Je suis en train de terminer la course. Tout. Là-haut est déconnecté. 

Dernier ravitaillement. Je reprends un immense café et un peu de fromage. Je ne veux pas trop tarder. Je ne sais pas si le poursuivant est loin ou pas. Et cette deuxième place commence à me plaire. Je repars. Les 8 prochains kilomètres sont une longue mise à mort. Un faux plat montant totalement incourable à ce moment de la course. Je n’y arrive plus. Je zigzague entre marche et marche rapide. C’est si long. Ça fait 25 heures. Et je ne vois pas la fin arriver. 

L’avant dernière colline est grimpée. Cela me soulage. Je sais qu’il reste une descente plutôt cool sur les hôpitaux neufs. Puis ça sera la dernière colline et l’arrivée. Je relance bien dans cette descente et je traverse le village en courant. Petit escalier. Je sors des hôpitaux, il ne reste plus que 3 km selon moi. Aller. On coupe tous les circuits de douleur. Et on y va en courant. J’arrive tout de même à me planter de chemin à 1 km de l’arrivée. 100 m de D+ en plus au compteur. On est plus à cela près. Aaaaaaaaah. Voilà enfin la route de la Familiale. Cette piste verte que j’ai tant parcouru ski aux pieds étant enfant. Je le sais c’est la fin. 700 mètres. Et c’est le confort qui revient. 

J’entends le speaker au loin qui m’annonce. Je ne tente même pas de faire bonne figure. J’avance tout simplement. Je termine ce périple dantesque. Il ne pleut plus depuis 40 min. J’ai presque séché. C’est risible. Mais je ne rigole pas. L’arche est là. Je vois 25h59min13sec. Bordel. Mais un petit coup pour terminer sous les 26 h. La foulée s’accélère. Doigt sur la montre. Et aller. Lance le ton 360°.. le voici. Le voilà. Il se termine en 230°.. mais je n’avais plus la force de faire mieux. Et puis on s’en fiche. Ça c’est fait. Maintenant bière. Se mettre au chaud. On refera la course plus tard. J’ai juste besoin de me poser. Après cette très loooongue mentalement parlant. Cette très rude.. cette très humide (il n’y a pas de mots pour dire à quel point ce l’était) journée d’ultra Trail comme on aime. 

Récit UTMJ (5/9) • 100 passages à vache (tourniquet) • 

Enfant. A l’arrière d’une Renault R5. De loin. Lorsque je te voyais. Tu résonnais en moi. Une vibration. Qui d’avance, je ne sais, m’effrayait ou m’excitait. Je t’entendais comme un fracas total qui dans cette carlingue, chaque millimètre faisait vibrer. Oui. Je parle bien de vous. Les passages à vaches. Tout le monde vous connaît. Tout le monde vous a passé au moins une fois dans sa vie. Mais, personne ne vous à jamais dédier quelques lignes. Et bien voilà, cet affront résolu. J’ai décidé de parler de vous. 

Pourquoi ? C’est très simple. L’Ultra Trail des Montagnes du Jura aurait pu s’appeler sans réserve l’Ultra Trail des 100 passages de vaches. C’est véritablement incroyable. J’aurais tant aimé les compter. Peut être qu’il n’y en a pas tout à fait la centaine. Mais clairement. C’est une véritable transhumance que j’ai vécu. Et j’ai aimé. Parfois. Même souvent, j’ai eu peur de me blesser. De m’arracher un bout de Bonatti. De glisser bêtement en vous franchissant. De plonger mon pied entre deux énormes tubes d’acier. De me poser des centaines de questions sur comment vous passer en toute sécurité. 

Par dessous les barbelés. Par un enjambement précaire. Par un faufilage acrobatique. Ces passages ne sont pas l’essentiel de la course. Ce sont simplement des marqueurs. Des stimulis qui quoi qu’on en dise vous donnent l’impression de faire des petits caps. Et leurs variétés donnent du goût. 

J’ai dénombré huit types de passages.

1 – Les passages sur bitume adaptés aux voitures. Qui sont pour moi, à chaque fois, une source de stress immense. Cela ne m’est jamais arrivé. Mais pourtant. Je crains toujours d’ici laisser une cheville, un genou. Est-ce la précaution qui inhibe le danger ? Où est-ce que c’est tout simplement bien fait, et qu’il n’y a pas de danger ? • 

2 et 3 – Les passages de champs à champs avec un petit monticule. Soit en grillages métalliques, soit en tubes de métal encadrés de plastique vert. Ceux-là. C’est les plus traîtres. Un pas légèrement de travers. Un équilibre un peu désaxé. Et ziiiiiiiip. Ça part en savonnette. Pour bien les passer, deux stratégies : Soit tout droit avec vitesse et deux appuis. Un au début. Un en haut. Et hop on saute. Soit avec ruse, en biais. Ne pas prendre appui dans la montée. Se mettre totalement à gauche. Mettre son pied droit sur le haut du monticule. Puis sauter en biais sur la terre à droite. J’opte souvent pour cette seconde option. 

4 – Les passages de contorsionniste entre des piquets de bois reliés par des barbelés. Là. Clairement pas d’astuce. Il faut avoir la précision de celui qui ne veut pas arracher sa veste à 200 balles. Généralement, plus la veste est neuve, plus la vitesse est dégradée. Ps : accélérer pour le dernier virage de sortie, n’est pas toujours une bonne idée. 

5 – Les passages oú il faut ouvrir la voie avec un crochet. Déjà. Il faut comprendre qu’il y a un crochet. Puis on se demande s’il est électrifié. On saisit les premières fois cela comme un objet explosif. Puis au bout de la cinquième fois. Vas-y que je te le manipule avec élégance. Et je lance d’un main à l’autre dans le dos, pour le raccrocher du premier coup. 

6 – Les passages oú il faut ouvrir la voie avec un arceau métallique. Plus rare en course. C’est pour moi le plus compliqué. Il s’agit d’avoir une force de titan dans les bras pour décoincer l’arceau. Mais le pire est pour le mouvement de raccrochage. Je peux perdre 1 minute, quelques fibres dans les biceps, et ma joie de vivre à chaque fois. 

7 – Les passages avec une petite échelle à faire basculer. Ah cela, j’ai découvert. Je ne connaissais pas. Un mécanisme simple. Mais lever la patoune à 50 cm. Après 90 bornes. Ça pique. 

8 – Et pour finir mes préférés : Les passages à tourniquet. J’ai toujours eu une tendresse pour ces passages. Le quart de tour suffisant, ne me suffit jamais. J’ai toujours besoin de balancer un grand coup en partant. Une manière déguisée de faire tourner cette roue imaginaire de bonne fortune. 

Aaaaaah. Il y en a de l’ingéniosité pour clore les champs. Il y en a de la variété. Et réussir à les passer sans glisser, sans se faire mal, sans s’accrocher dans le barbelé relève plus de la petite victoire que du simple non événement. Surtout quand ce mouvement est à répéter des dizaines de fois. Qu’il demande un peu de concentration. Alors que l’effort de la course, transforme votre cerveau en celui d’un bovidé, qui doit s’humaniser, ne serait qu’un instant pour parvenir à vous passer. Passages à vache. Je vous salue. 

Récit UTMJ (6/9) • La vie c’est plus marrant en chanson • 

Grande nouveauté pour moi. J’ai décidé d’investir dans un MP3 à piles. Un de ces MP3 qui dans la fin des années 90’ vous faisait passer pour un jeune branché. Bon. A l’époque. C’était du 256 mo. Et il fallait préparer sa playlist avec rigueur et avec goût. Maintenant c’est du 8 GO de son. Et vas-y que ça balance du lourd. Qu’est ce que c’était bon ! Des albums entiers de Justice – De Daft Punk – De hard-tech’ – Moulinés aléatoirement avec un Edith Piaf ou un Julien Clerc. Vous m’auriez vu. Totalement trempée. Fouetté par la neige sur le sommet du Mont d’Or en pleine nuit, hurlé Ma Préférence à moi. Vous auriez forcément était attendri. Ou tout du moins surpris. Un dopant ? Je n’irai pas jusqu’à là. Mais il est vrai que pouvoir s’évader. Que pouvoir profiter d’un rift incroyable de guitare électrique dans une descente technique et se sentir relancer. C’est juste phénoménal comme sensation. Et puis, il y a aussi la création d’une ambiance. 

La pluie tombe. La Petzl n’éclaire que trop bien la buée. Les sapins environnant assombrissant le monotrace. Et puis dans les oreilles, les poèmes de Michelle. Quel décalage. Quelle non-harmonie rendant ce moment magique. En parlant d’ambiance, j’ai vécu un grand moment. Je repère une construction humaine un peu étrange, et éclairée. Je monte les quelques marches. Je crois arriver à un ravitaillement. C’est la seule construction éclairée dans cette nuit infinie depuis bien longtemps. Virage à gauche. Et se dresse sous moi, le tremplin de saut à ski. Je voyais pas cela aussi immense. C’est véritablement impressionnant quand on arrive en haut, et que l’on jette son regard sur les lumières tout en bas. Deux escaliers interminables en métal longeant la prise d’élan des sauteurs, puis leur réception. Il y a une certaine crainte qui surgit de suite. Celle de louper une marche et s’imaginer rebondir et se blesser sur les paliers en acier. 

Et si c’était un grand moment. Ce n’est pas seulement grâce à l’originalité de ce passage très atypique. C’est aussi grâce à la musique qui a décidé de se mettre aléatoirement à ce moment là. Le main thème de James Bond : Ta-Tada-Tin-Tada-Ta-Tada-Tin-Tada-Taaaa-Daaaa-Tada-Tin. Quel énorme kiff. Je ne suis plus Casquette Verte tremblotant. Je suis l’espace de cinq minutes. Roger Moore. Poursuivi par les vilains méchants agents russes. Je m’y croyais vraiment. C’était bon. Je ne sais pas si je ferai cette expérience d’avoir de la musique pendant 15 / 20 h à nouveau. Mais, c’est plutôt plaisant. Évadant. Une source de distraction. Pour s’échapper de la terrible réalité de la course. 

Récit UTMJ (7/9)  • Météo •

Je n’ose croire, dame météo, que malgré tous les bâtons que dans les roues de ma course vous avez voulu me mettre, qu’à la fin vous me mettrez à bas. 

Dans ma tête : qu’importe ! Je me bats ! je me bats ! je me bats ! Oui, vous m’arrachez tout, le confort et la paresse !

Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose que j’emporte, que je porte en moi, et après ces 26h d’affront climatique, quand je franchirai l’arche, mon salut balaiera largement vos déluges froids. Quelque chose que sans un pli, sans une tache. J’emporte malgré vous, et c’est… C’est.. Mon panache.

Je vais faire court car si vous avez lu le long récit kilométrique. Je pense que vous avez saisi la dimension humide et froide de ma course. A vrai dire, nous sommes mardi matin quand j’écris cela. Cela fait 2 jours déjà que cette épreuve climatique est terminée. Et bien. Je suis traumatisé au plus profond de moi par la pluie. Entendre les quelques gouttes qui tombent ce matin sur ma fenêtre me ramène à ces longues heures passées avec elles. Avec elles en moi. Avec ces multiples couches de vêtements toutes trempées. Lourdes. 

Il y a de rares fois dans la vie où quelques choses vous marque au fer rouge. Il y a de rares fois où une expérience de vie vous forme une cicatrice indélébile dans l’âme. Je vis une sorte d’état de choc post-traumatique. C’est léger hein. Mais tu me proposes un ultra en fin de semaine et la météo s’annonce la même, j’hésiterai à deux fois avant d’accepter. Ça me passera. Le temps fait toujours passer cela. Mais j’en suis sûr. Sur le prochain ultra où je me prendrai une saucée j’aurai une pensée mémorielle. J’aurai dans la tête ce corps meurtri. Mis à mal. Mis au sol. Qui refuse d’abandonner. Qui refuse d’abdiquer face à l’inconfort. Et c’est sûr cela sera une force. Un puit presque sans fond où aller chercher encore, un peu plus, de motivation.  

Récit UTMJ (8/9) • Bénévoles / humains •

Alors. Il y a le trop habituel « Et surtout un grand merci aux bénévoles sans qui on ne pourrait même pas faire cela ». Mais là. Mais clairement là. Pendant cet UTMJ, qui m’a mis en PLS. Qui m’a imposé une hypothermie de dizaines d’heures. Qui m’a fait comprendre le sens du mot FROID. J’ai vécu des grands moments d’humanité. 

Pour comprendre cela, il aurait fallu me voir débarquer au ravitaillement de Mouthe ou à la base vie de Jougne. Transi de froid. Hagard. Jonglant entre humour hors de circonstance et sos d’un terrien en détresse. Je me mets à leur place. Voilà un extraterrestre. Entrant dans le ravitaillement. Tremblant de tout son être. Et répondant à la question : « tu as besoin de quoi ? » juste de l’eau par pudeur. Puis comprenant que ce marsien est tout simplement dans la précarité de celui qui souffre, les bénévoles insistent. « Non. Mais tu veux quelques choses de chaud ? Un thé ? Une soupe ? ». L’alien refuse dans la pudeur de celui qui n’ose pas demander de l’aide. Et il en faut du courage pour revenir à l’assaut en disant « mais c’est pas possible. Tu es totalement frigorifié. Mets toi là. A côté du souffle d’air chaud. Tu n’as pas de gants. Tiens. Prends les miens. Tu n’as pas d’affaires de rechanges ? D’assistance ? Attend. Je te donne ma veste ». Que dire. Franchement. Comment on peut expliquer. Comment on peut faire un récit écrit d’un moment d’humanité aussi intense. D’un mot « mais c’est normal de faire ça ». NON. Ce n’est pas normal. Non. Vous avez été EXTRA-ORDINAIRES. 

Vous m’auriez vu. Ressortant de cette tente à Mouthe. Criblé par la pluie bâtante. Mais avec un sourire aux lèvres. De celui qui a reçu de l’amour. Qui a reçu de l’humain. Qui a senti qu’on était là pour lui. Juste un instant. Mais un instant qui restera gravé longtemps dans le cœur d’un coureur. 

J’insiste sur le ravitaillement de Mouthe. Mais il y en a eu d’autres. Ceux qui m’ont servi des thés chauds dans les flasques avant de partir. Pas tellement pour boire. Mais plutôt pour simplement me réchauffer le torse. Ceux qui m’ont offert un drap pour m’essuyer et une couette pour me réchauffer à Jougne. Ceux qui m’ont apporté QUINZE sucres pour mon café car j’ai répondu au célèbre « un sucre dans ton café ? » >> « Tu peux mettre plus de sucres que de café ! ». Ah que je vous aime. 

Abruti par la fatigue. Je n’ai le souvenir d’aucun visage. D’aucune voix. Mais vous êtes là. Vous faites entièrement partie de mon aventure. Quand je me dis.. si tu devais résumer en une phrase pour la presse les bénévoles. J’ai cette phrase de mon Coluche en tête qui résonne : « C’est pas vraiment de ma faute s’il y en a qui en faim. Mais ça le deviendrait si on y changerait rien ». Certe, la comparaison est scandaleuse. Mais si je fais celle-ci, c’est pour célébrer l’engagement de toutes ces personnes dont ce n’est pas vraiment de leur faute si des mecs ont décidé de traverser entièrement le massif du Jura sous la grosse flotte. Mais s’ils n’étaient pas là. S’ils n’étaient pas là. Cela ne serait tout simplement pas réalisable. Merci à vous de me permettre. De nous permettre de réaliser nos envies. 

Récit UTMJ (9/9) • Constance sur les dernières courses  •

A la fin de l’ultra je touche. 

Attendez !… je choisis mes rimes… Là, j’y suis.

Je jette avec grâce ma modestie, 

Je fais lentement l’abandon

Du grand ego qui me vétit, 

Et je tire mon arrogance ;

Élégant comme Céladon, 

Agile comme Scaramouche, 

Je vous préviens, cher ultra, 

Qu’à la fin de l’envoi, je touche !

Faisons un petit retour en arrière. Septembre 2019 : Fracture du gros orteil sur l’UTMB. Vais-je pouvoir revenir à mon niveau ? La question se pose. La réponse arrive vite. Décembre 2019. Victoire sur la Lyon SaintéLyon. Le train déraillé a repris ses rails. J’enchaîne gentiment en janvier avec un off de 3 tours de Paris (103 km) en un peu plus de 8h. Je suis rassuré. Une nouvelle victoire sur l’Urban Trail d’Issy-les-Moulineaux. Qu’est ce qui m’arrive ? C’est un feu de paille je le crois. Aller. On va se tester sur une distance un peu longue. Mars. EnduRanceTrail des Corsaires (98km). 3ème. Avec une belle remontée sur la seconde moitié de course. Je sais même faire ça ? Vraiment ? Un autre petit off pour le plaisir : Paris Meaux Paris (100km). Ça passe. À tiens. Bouffe toi un confinement. Ça ne m’arrêtera pas. 2450 km en 52 jours. J’ai la caisse. 

JUILLET. ON DECONFINE. Oisans Tour Trail. Premier retour sur les vrais montagnes. 5ème sans se forcer. Ça sent bon. Toutes tes courses ont sauté. C’est pas grave. On saisit des opportunités. Août. Ultra01. 3ème place. Mais surtout juste 20h30 pour se faire 175 bornes et 7000 D+. Est-ce que c’était un jour avec ? Est-ce que c’était simplement un hasard. Faudra confirmé cela sur la Diagonale. Bon. Elle saute aussi. Ah. Tiens. Un 180 bornes dans le Jura. Je prends. 2ème. Bon. Maintenant. On va commencer à se dire que tu as peu être un truc. Mais je n’en suis pas encore tout à fait sûr. 

Me faudrait encore un ou deux bons résultats pour m’en convaincre. Certe. Je prends conscience de mes capacités. Certe. Je pourrais me dire que je suis arrivé. Mais il y a ce petit truc en moi qui me dit que la progression n’est pas terminé. Et pour confirmer cela, il me faudra, je pense. Encore 2 ou 3 ultras avec une grosse densité d’élites au départ. Pour réussir quelques choses qui me tient à cœur : cartonner. Cartonner juste une fois. Juste une seule fois. Sur un ultra très relevé. Je pense qu’il faudra échouer une ou deux fois avant. Mais je le sais. Enfin. J’y crois. C’est possible. Ça peut arriver. 2021 ? 2022 ? 2023 ? Trois années que je me donne. Pour qu’une fois. Cela puisse parfaitement bien se passer. Après. On pourra dire qu’on la fait. Après. On boira des coups. Aprés. On pourra se pavaner. Pour le moment. Reste à ta place. Continue comme tu le fais. A ta sauce. A ta manière. Sans prise de tête. Ton temps va arriver.

Récit ULTRA 01 (170 km – 7000 m D+) – 3ème au Scratch – 20h 37min 55 sec.

PARTIE 1 / 7 – Résumé kilométrique simple : 

Départ Ultra 01 – Copyright Gilles Reboisson
Départ Ultra 01 – Copyright Gilles Reboisson
Départ Ultra 01 – Copyright Gilles Reboisson

SAS de départ : La voix du Trail me demande de me mettre à part dans l’espace Élite. J’ai le droit à une petite présentation personnalisée avec Lucie Jamsin, Gediminas Grinus et Grégoire Curmer. Ça pourrait mettre la pression, mais en fait pas du tout ! J’apprécie tout simplement. La seule pression que j’ai pour le moment est : « Est-ce que le talon va réussir à chauffer et me laisser tranquille ? ».

Km 1 : Et bim. Le premier est avalé en 4:09. Sagement. Je n’ai pas l’impression de forcer. Je laisse même à Grégoire la priorité sur le donnage de rythme au groupe de tête. Bref, on ne change pas une tradition de bon parisien.

Km 2 : On sort d’Oyonnax. Petite pause pipi pour moi. Je laisse filer la tête de course. Une petite dizaine de coureurs passent. La course est longue. J’ai le temps. 

Km 3 à 6 : Un bon 400 D+ pour se mettre en jambe. J’y vais tranquille. Je cours à cloche pied pour atténuer la douleur au talon. Attaque pointe sur le pied gauche et médio à droite. Les 2 semaines d’entraînement qui ont précédé la course sont utiles. Je me suis habitué à cette foulée non-conventionnelle. Ce n’est pas bien fluide. Mais ça passe. J’ai l’impression que courir en prenant une précaution de fakir. 

Km 10 à 15 : On longe la crête en surplomb du Lac de Nantua. Falaise à gauche. Le soleil couchant nous éclaire d’un orange vif. Je prends le temps de regarder le paysage, tout en faisant attention aux racines / rochers. Je comprends que le terrain va être assez joueur. Un sol assez mou (humus en décomposition) très agréable à courir. Si c’est ça tout le long, ça va être très appréciable. 

Km 20 : Descente sur Nantua. Je suis étonnement très à l’aise en descente. Je suis un autre coureur. Je pourrais le dépasser en accélérant un peu, mais je vais attendre d’être sorti des monotraces. Ça serait idiot de se foutre en l’air aussi tôt. Je suis en sous-régime. Le talon a chauffé. Je ne le sens plus. Je vais pouvoir accélérer. 

Km 21 : Ravito de Nantua. Je remplis rapidement les flasques et je file. On va accélérer maintenant. 

Km 21 à 30 : J’ai allumé le moteur. Le constat que j’avais fait sur l’Oisans Trail Tour, et durant le WK choc avec Loïc à Annecy est bien là. Je suis très facile dans les montées. Je peux les faire en courant tout le long. Pleine balle, sans non-plus faire monter la cardio’. Un constat qui fait plaisir. 

Km 30 à 45 : La nuit est tombée. Je vis toujours bien le passage du jour vers la nuit. L’inverse étant souvent plus difficile. Il ne fait toujours pas frais. Au départ, nous étions sous une grosse chaleur avec le soleil, mais dans la nuit il fait toujours très lourd. Mon t-shirt est trempée depuis le départ. Cela ne me dérange pas. Mais quand le t-shirt colle à l’abdomen. Cela me provoque une gène. L’abdomen se contracte et le diaphragme se durcie. Ma technique : j’enroule t-shirt comme les plagistes. Esthétiquement c’est pas ouf, mais ça marche. Bref, en dehors de ce soucis de régulation thermique, j’enquille bien. Je suis à l’aise. 

Km 45 : Grosse double montée sèche de +800 pour monter jusqu’à la base vie au 63ème km. Je me sors un peu les doigts. Mains sur les cuisses. Plier en deux. Et dré dans le pentu’. Je suis seul depuis le km 22. Et je le resterai jusqu’à l’arrivée. 18 h tout seul. C’est long. Mais j’arrive maintenant à garder la motivation sans avoir de poursuivants, ou de coureurs à chasser. Cette solitude est aussi ce que je recherche dans l’ultra. 

Km 63 : Première base vie. Je vais pouvoir recharger en gel et m’avaler des pistaches en repartant. Niveau alimentation, je suis resté presque uniquement au gel jusqu’à maintenant. Et ça sera le cas tout le long de la course. Je me forcerai uniquement à avaler du jambon et quelques bouts de saucissons sur les 50 derniers kilomètres, sentant le manque de contenu solide et de sel arriver. En entrant dans la base vie, je me rends compte qu’il y a un autre coureur vers la sortie. Il s’agit de Grégoire. J’hallucine. Je pensais qu’il était 30 – 40 min devant. Apparement, il a eu un grooooooos coups de moins bien. Je le vois filer. Je ne le rêverai plus. Je remplis les flasques et zouuuuu c’est reparti aussi. 

De 63 à 100 km : J’avais repéré sur le profil qu’il s’agissait du ventre mou de la course. Certes 37 km / 1300 D+ / 1500 D-… mais pas de quoi faire frémir un coureur qui aime le roulant et la nuit. Il commence à faire légèrement plus frais. C’est enfin tenable. Cela permet d’imprimer un bon rythme. Je suis un peu sorti de la course à ce moment là. J’ai courru aux sensations. J’ai rêvassé. Vers le km 85 à 90 : Énorme moment de moins bien. Comme cela arrive de manière tout à fait normale en ultra. Ce n’est pas que le terrain est difficile. C’est simplement que la fatigue commence à montrer son museau et que ce faux-rythme de nuit sur plusieurs heures de suite devient hypnotisant. Ce n’est pas mentalement, ce qu’il y a de plus excitant tout simplement. Je résiste au fait de m’arrêter pour reprendre des forces plusieurs fois. Après mettre pommer 3 fois (dont une fois où j’ai clairement fait trois tours d’un pâturage pour retrouver du balisage), je me suis un peu ressaisis pour atteindre la seconde base vie. 

Km 99 : Seconde base vie : Pas de changement de chaussures. Je garde ma Petzl car il fait encore nuit. J’enfourne mon sac de quelques gels supplémentaires et c’est reparti. On attaque 3 – 4 km pour finir de descendre dans la vallée.. et après la course commence vraiment. 

km 104 : C’est parti pour 1200 m de D+. Au petit matin. Le jour se levant dans la montée.. ça réveille. Ce n’est pas un petit-déjeuner « croissant – café ». Mais vu la quantité d’énergie qu’il faut amener pour bien avancer dans ce genre de montée, ça réveille bien quand même. Je me donne un peu. 

J’avais découpé la course en 3 parties dans ma tête. De 0 à 100, on avance bien en en gardant sous le pied pour la seconde partie : les deux grosses difficultés du km 104 et 128 à passer comme un barbare. Et la dernière partie : au mental avec ce qui reste dans les jambes. Je me vois encore dans la première montée, après 200 ou 300 m de dénivelé, me dire : « Aller. Fait toi plaisir. Attaque. ». Je me relance plusieurs fois en courant dans des gros % jusqu’au point d’avoir du mal à respirer – le goût du sang au bout des lèvres et me bavant dessus. 

Avec le jour qui se lève, c’est aussi l’arrivée de la pluie. Une douche bien méritée, qui permet de nettoyer les chaussures et surtout le sel imprégnée sur la peau. 

Sur le sommet, je suis seul. Il y a bien quelques vaches. Elles sont charmantes, mais je ne m’attarde pas. Il fait presque froid avec ce vent de crêtes qui a fait tombé tous les repères balistiques. Je navigue au feeling. En tentant souvent de suivre plutôt les traces de passages fraîches dans l’herbe que de chercher au loin le balisage. Ça fonctionne (le plus souvent). Peu de souvenir de la seconde difficulté. Je pense que mon cerveau s’était consacré au fait d’envoyer toute l’énergie dans le corps pour passer ces deux difficultés le plus rapidement possible. 

Km 132 : Ayé. Le plus dur techniquement parlant est derrière. Il s’agit maintenant de débrancher le cerveau. Ne plus répondre à l’appel des douleurs qui sont devenues en tout point du corps atroces. Et se répéter la phrase suivante : « Plus vite tu avances, plus tu cours, et plus ça va se terminer vite ». Mais 35 bornes, – 1600 et + 800.. cela ne se termine pas vite. Peu importe l’entrain qu’on y met. Je pense que j’aurai du me dire que c’était fini plus tard avec le recul. J’ai énormément souffert sur cette fin de course. Même si je m’obligeais à courir. J’ai souvent pris le relai en marche rapide. Non pas que physiquement cela n’allait plus du tout. Mais car je pense que m’étant projeté sous l’arche, la motivation n’était plus la même. Seule, une petite chose me donne encore des piques de bonnes ondes. La volonté de garder cette troisième place. Et surtout la volonté de ne pas faire une Poulidor. Je regarde de plus en plus régulièrement derrière moi pour voir si cela ne revient pas. Je ne sais pas si le poursuivant est à 3 min ou à 1 h. C’est assez anxiogène. (Finalement il y avait 2h30 d’écart. J’aurai pu respirer). 

Km 165 (170 à la montre) : J’entre dans le stade d’Oyonnax. Je suis un VTT qui est venu me chercher 3 km avant l’arrivée. Je sers le poing de la victoire sur les doutes d’avant course. Sur les « tu devrais te reposer – ménage la monture – pourquoi courir blessé – tu vas te gâcher.. gneu gneu gneu ». Et je profite. Je profite de ce podium magique qui s’ouvre à moi. Accompagné par deux personnages que j’aurai pu avoir en poster au dessus de mon lit. Un petit 360°. Et c’est fait. Je suis allé au bout de mon troisième 100 miles (Diagonale des fous / UT4M). Et malgré la fatigue, je me trouve physiquement plutôt en forme pour quelqu’un qui a courru non-stop pendant 20h30. Je ne sais pas du tout quelle conclusion en tirer. Est-ce qu’il faudrait que je me donne encore plus pour aller titiller un trophée (je ne suis pas sûr d’en avoir envie). Est-ce que j’ai atteint ce moment agréable, où tu donnes l’impression que c’est simple (alors que cela ne l’est pas du tout) ? Et est-ce que ce moment va durer ? En tout cas, une chose est sûre, en préparation de la Diagonale des fous, j’ai pu découvrir ce que c’était d’aller vite sur 170 km, et surtout j’ai pu me rassurer sur quelques aptitudes que je pense maîtriser. Bref. Un plein de confiance qui fait du bien. Mais qui ne doit pas faire oublier qu’à chaque nouvelle course, on remet tout en jeu. Que rien est acquis. Surtout quand cette prochaine nouvelle course se nomme brutalement « La diagonale des fous ». 

Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

PARTIE 2 / 7 – Gestion de la blessure.

Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson
Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson
Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

Revenons si vous le voulez bien sur l’insta-facebook-strava polémique de ma blessure. Quelques mantras à avoir en tête avant que je raconte ma gestion de cette blessure avant et pendant la course : 

  • Ce n’est pas par ce que j’ai fait un podium que je n’ai pas souffert de fou et que je n’étais pas blessé.
  • Annoncer qu’on est blessé n’est pas une manière de réduire la pression ou de faire du « cinoche ». Je ne joue pas la ligue des champions hein. Je partage tout ce qui me lie à la course à pied sur les réseaux. Ça en fait partie. 
  • Pour moi, un ultra-trailer qui te dit « je ne suis jamais blessé » ou pire qui n’approuve pas la maxime « toujours un peu blessé et en préparation à la fois » ça n’existe pas. (En veut croire tout le business autour de la réparation/récupération des coureurs). 
  • Ce n’est pas par ce que je suis blessé que je suis dans une mauvaise situation. Justement, cela rappelle que l’on est vivant/humain. Et que rien n’est acquis d’avance. Que demain, tout peut s’arrêter. Et c’est ça qu’est bon. 

La blessure. 

Quelle est-elle ? Je ne sais pas. 

Pourquoi ? Par ce que je fuis le maximum que possible tout ce qui s’approche de près ou de loin du corps médical. Non-pas que je ne respecte pas, que je n’estime pas énormément cette profession/cette discipline. C’est juste que je suis faible vis-a-vis des faiblesses du corps. Et que je crois préférer « ne pas savoir ». Ne pas voir, ne pas savoir. C’est souvent une manière de se préserver. Une erreur dans le fond selon moi. Mais je me sens bien avec cette erreur. 

La douleur est une conjugaison d’une douleur structurelle (comme celle d’une fissure/fracture) au niveau du dessous du talon gauche ; et d’une douleur d’inflammation assez traditionnelle partant du talon en direction de la voûte plantaire. J’ai bien évidement pensé à une « aponé…vro… machin truc plantaire ». Car c’est à la mode. Mais connaissant ma capacité à récupérer plutôt vite de tout ce qui ressemble à une inflammation, et ayant stoppé 4 jours (accompagné de glaces et voltarene). N’ayant pas vu le moindre effet positif. Je continue à me dire que c’est autre chose. On verra dans les jours qui viennent (RDV lundi avec un médecin du sport – La douleur est en train de redevenir très gênante ces jours-ci). 

Bref. Cette douleur est apparue après le WK choc à Annecy avec Loïc (105 km / 7000 D+). D’abord comme un bleu invisible au niveau de l’os du talon. Une douleur qui n’est pas partie. Et que l’entraînement n’arrivait pas à faire disparaître. Il me restait alors 2 semaines avant l’Ultra 01. Je savais qu’il allait sûrement falloir faire avec. Que peut-être que ça partirait avant. Mais que dans le doute, il valait mieux s’adapter à cette blessure que la laisser me saper le moral en m’empechant tout entraînement.

J’ai donc continuer mon entraînement. En adaptant totalement la foulée, et donc forcément en réduisant la vitesse de croisière. La dernière fois que j’avais fait cela, c’était pour combattre un TFL et cela avait fonctionné. Au bout de deux mois, certes. Mais ça avait fonctionné. Autant recommencer. Au niveau de la foulée, le principe est assez simple : Une attaque pointe du pied à gauche, en fleurtant le sol, en évitant au maximum toute vibration. Et une attaque plus normal à droite. Mais forcément une compensation de fou. Je vous laisse imaginer les douleurs qu’un tel déséquilibre peut déclencher au bout de plusieurs heures de courses. Le bassin, les hanches. Tout est en biais. Ça va 5 min. 20 h. Ça pique. 

Ma stratégie était simple pour la course : « La blessure est là. Tu veux tenter le coup. OK. Alors ne part pas trop vite. Laisse la course se faire sur les deux premières heures. Et tu feras le point à ce moment là. Si la douleur est toujours présente. Tu prendras la décision d’arrêter dans la nuit. Si elle a disparu en ayant échauffer le corps, alors commence ta course ». Je me suis appliqué ce principe. Au bout de 15 – 20 km.. la douleur a commencé à ne plus se faire sentir. J’étais obligé de continuer avec ma foulée étrange. Mais je pouvais avancer. Alors. La machine s’est élancée. 

Pendant la course. Régulièrement, je me testais. Je vérifiais la gêne. En appuyant un peu dessus. Très vite, je me rendais compte qu’elle revenait. Il y a eu quelques racines que je n’ai pas réussi à éviter qui ont réveillé la douleur. Mais au final. En serrant les dents. En s’appliquant une politique de précaution stricte. C’est passé. Pas sûr que cela fonctionnera à chaque fois. 

PARTIE 3 / 7 – De moins en moins d’erreur.

Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

Depuis la Lyon SaintéLyon (>> UTMM >> 3 tours de Paris >> Issy Urban Trail >> Paris Meaux Paris >> EnduRance Trail des Corsaires >> Oisans Trail Tour). Je le sens. Je le sais. J’arrive à faire beaucoup moins d’erreurs bêtes qui peuvent mettre une course en péril. L’ultra c’est vraiment ce genre de discipline où il y a tellement de paramètres à prendre en compte, qu’on ne peut jamais réussir à tout optimiser en même temps. À 100 %. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Mais c’est un grand plaisir quand tu commences à basculer du côté où il y a plus de choses qui fonctionnent que de choses qui ne fonctionnent pas. 

Ces erreurs bêtes que je ne fais plus / que je fais moins : 

  • Ne pas rester concentrer à chaque seconde sur le balisage, sur les pièges du terrain. 
  • Mal s’alimenter – s’hydrater. Aux mauvais moments. 
  • Mettre des accélérations inutiles. 
  • Ne pas en garder assez sous le pied pour les difficultés. 
  • Ne pas s’énerver quand on perd du temps par précaution. 
  • Imaginer la course comme une succession de ravito à ravito. 

Tout cela, je suis bien content de l’avoir réussi. Certes, je me suis pris quelques chutes. Mais à chaque fois, les années de judo de mon enfance sont revenues pour atténuer cela. 

Certes, je me suis paumé sur deux bons kilomètres. C’est une tradition de toute façon.

Certes, par inattention j’ai loupé un point d’eau. Et cela m’a fait tombé dans un moment de moins bien de quelques kilomètres.

Mais franchement, je sens que l’expérience commence à se ressentir et à m’aider. Je ne suis pas forcément physiquement bien plus monstrueux qu’auparavant. Mais j’ai appris à voir l’ultra comme une épreuve qui s’étend dans la durée. Dans son entièreté. Que tous les éléments doivent être maîtrisés et coordonnés, comme une roulette de Zidane. Avec simplicité, avec aisance. En symbiose. Pour faire du simple fait de courir, une harmonie de 20h. 

Un autre problème qui se pose maintenant. Enfin qui me trotte dans la tête. Qui dit « moins d’erreur » dit « moins de points d’amélioration ». Et cela me déclenche toujours une question d’après course qui me trotte.. qui galope même : « Si je devais refaire cette course, qu’est ce que je changerai pour gagner du temps ? ». 

  • Optimiser les ravitaillements ? J’y passe déjà à peine quelques dizaines de secondes. 
  • S’alimenter autrement ? / Quoi… c’est pas bon le saucisson-fromage-gels ?
  • Reprendre les bâtons ? / Vous avez vu mes bras ?
  • En garder plus sous le pied pour la fin de course ? / Je le traîne pas non plus hein. 

Eh bien cette fois, pour une rare fois, je me dis que je n’ai pas grand chose à modifier. Que c’est peu être sur le physique qu’il faudrait jouer. Qu’il faudrait oser se mettre encore un peu plus dans le rouge. Ou en danger en descente. Et quand le physique est ta seule solution pour t’améliorer, c’est que tu as peu de temps à gagner. Bref. Faudra revenir. Ce n’est qu’en se testant autrement, sur un parcours identique que l’on peut faire se genre d’analyse. ULTRA01 je reviendrai !

PARTIE 4 / 7 – La pression du classement 

Gediminas Grinius – Grégoire Curmer – Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson
Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

18h. La course se lance. Je m’élance. Vite. Forcément. Le premier kilomètre est avalé à 4:09. Sans forcer. Je laisse la tête à Grégoire. A vrai dire, je l’observe. Il donne une drôle d’impression de puissance. De concentration. De force tranquille. Je ne sais pas si c’est le cas en réalité (pour la concentration). J’aime à imaginer qu’il est dans le même état d’esprit que moi. Que c’est un humain, comme les autres. 

Nous quittons rapidement Oyonnax. Km 2. Je décide de m’arrêter pisser. Le litre cinq que j’ai avalé avant la ligne de départ est de trop. Je me fais doubler par 5 – 6 – 7 coureurs. Je m’en fiche totalement. J’ai encore 167 km pour les reprendre. Et bizarrement, j’ai la conviction profonde que ça sera le cas. Sans grande difficulté. 

Je n’avais pas cette confiance en moi auparavant. Maintenant, je connais mes forces. Je connais cette capacité à « chasser » le coureur qui me précède. Cette instinct presque animal qui me fait prédateur quand devant moi, à 1 minute, j’aperçois une proie. A ce moment là, je me dis presque que c’est bénéfique pour moi de laisser du monde devant. Cela me fera avancer plus tard. Ça fera ressortir le côté animal. J’anticipe ce plaisir. 

Laisser le coureur me précédant dans un début de montée à 100 m. Accélérer légèrement. Me mettre à 50 m. Lui faire sentir que je suis là. Attendre encore un peu. Me rapprocher d’un coup à 20 m. Lui laisser entendre mon pas. Le voir accélérer. Rester dans sa cadence. Sans laisser échapper le moindre souffle. Puis à un moment. À un moment que j’aurai décidé. Accélérer. Arriver à son niveau. Lui demander « ça va ? » d’une voix fraîche, limpide. Qui veut dire « Je ne suis pas dans le rouge. Tu me vois. Je suis là. Dans 30 sec. Je serai 50 mètres devant. Puis je partirai inexorablement dans l’horizon. Jusqu’à disparaître ». C’est primaire. C’est animal. Mais j’adore cela.

Au km 70. Je n’ai pas connaissance du classement. Je sais que je suis dans les 10. Peut être 6 ou 5. Mais j’espère mieux. Je pense qu’il y a quelques relais devant. A un ravito, quelqu’un me dit « Gediminas et Grégoire sont déjà passés il y a petit moment. Mais tu peux reprendre un des deux ». Je comprends alors que je suis virtuellement sur le podium d’un ultra derrière ces deux phénomènes de la discipline. 

Apprendre cela me trouble. Je ne peux plus faire comme si je ne savais pas. Je ne peux plus singer celui qui s’en moque complément. Cette carotte d’un magnifique podium est trop appétissante. Mais je dois me restreindre à toute euphorie. Il reste encore 90 km et énormément de dénivelé. Je dois y penser. Je ne peux pas ne pas y penser. Mais j’arrive tant bien que mal à m’extraire de cette compétition. Je la fuis. Je préfère réussir à le faire. Et me dire que c’est arrivé comme ça. Sans que je le veuille. Sans que je le mérite. Comme un magnifique hasard. Dans lequel je pourrais cacher mon mérite. 

Puis vient les 30 derniers kilomètres. Les jambes sont lourdes. Continuer à courir même en montée tient plus de la détermination que de la capacité physique. 30 km c’est quoi. C’est une sortie tranquille le soir au quotidien. Mais au bout de ces quelques bornes, soit il y a un magnifique podium. Soit il y a une quatrième place. Que même le plus grand des hasards ne pourra cacher la plus grande des déceptions. Je ne veux pas que cette journée soit une occasion manquée. 

Je dois résister au retour du quatrième. Je ne sais pas où il est. À 3 min ? À 10 min ? À 2 heures ? Pour moi, il est là. Le prédateur. Je le sens. Je me l’imagine. Je me demande souvent si quelqu’un est capable à ce moment de la course, de courir plus vite que je ne suis en train de le faire. Je me dis que c’est impossible. Mais l’impossible, je le sais, ça n’existe pas. Je suis anxieux. J’ai des hallucinations de bruits derrière mois. Un rocher qui roule. Une branche qui craque. Cette fois-ci je pense vraiment l’avoir attendu. Pourtant je le ne vois pas. 

Ahhh tiens. Un repère parfait. Alors que je longe une maison. Un chien aboie. Je n’aurai qu’à tendre l’oreille plus loin. S’il aboie à nouveau. Alors je saurais. Je saurais qu’il est là. Ce briseur de rêve. 

3 min plus loin. J’entends. Wouuuuf. Wouuuuuf. Ce n’est pas possible. Il est vraiment là. Juste derrière. Aller gamin. Tient bon. Ne cède pas. Pas maintenant. Pas après tout ce que tu a fait. 

300 mètres de l’arrivée. C’est trop tard. S’il devait revenir. Il l’aurait déjà fait. Tu l’as ton podium mon petit bonhomme. Profite. 

Quelques minutes après avoir passé la ligne. Je continue à regarder à l’angle du stade. Je l’attends. Je ne comprends pas. Il arrivera 2 h 37 minutes plus tard. Je serai déjà ivre, et en train de dormir à l’hôtel. Putin de Clebs de merde ! 

PARTIE 5 / 7 – Sans bâton – pacer – ni assistance

Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson
Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson
Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

« Ne pas monter bien haut peut être.. mais tout seul ! » – « Ne pas monter bien haut peut être.. mais tout seul ! »… je la répète cette phrase, et je la répète encore. Pourtant je n’ai pas besoin de la répéter. Elle est en moi. C’est, et ça a toujours été, ma façon d’être. N’être redevable de rien, ni de personne. 

Ceci explique pourquoi je suis parti sur cet Ultra 01 sans bâton, sans pacer, sans assistance, ni porteur de sac. Et oui, cette course est une de celle sur lesquelles nous avons le droit à tous ces artifices. Un petit plus qui peut paraître un grand pas grand chose. Et pourtant selon moi, ce types d’avantages peut être une réelle aide à la performance. Envie de courir avec des potes qui donnent l’allure ? Envie de se faire porter son sac pour libérer la foulée ? Envie de ne pas transporter son eau pour éviter le balotage ? Envie d’être assisté ? Tout cela est autorisé sur l’Ultra 01. 

J’ai fait le choix de ne pas profiter de ces avantages car l’aventure me paraissait plus belle, plus pure, plus naturelle sans tout cela. Mais je pense sincèrement que ça peut être une superbe aventure de faire ce genre de course longue à fond la caisse à plusieurs. En se servant à 200 % de ces avantages autorisés. Faudra que j’y réfléchisse pour une autre année. Et cela me permettrait de partager l’aventure avec des copains. 

Au final, j’ai passé 18h30 sur les 20h30 seul. Complètement, et incroyablement seul. Cette solitude que je recherche en ultra. Celle-ci même qui m’amène à m’échapper. A m’échapper en pensant. En pensant à ma vie. A mon quotidien. A mes envies dans le futur. Je consacre beaucoup de ses pensées à ma copine. Au futur que je m’imagine ensemble. Cela m’appartient. Je suis seul au milieu de la montagne à penser à ce futur quotidien, qui sera loin de cette montagne pour sûr. La solitude en ultra me permet cela. Prendre du recul pour mieux sauter dans mon quotidien. 

Mais de temps à autre cette solitude a néanmoins besoin d’être égayée. Et étant un homme de chanson et de musique comme les stories Instagram le laissent présager. C’est souvent la musique qui vient à moi lorsque je suis seul en course. Je la chante à haute voix. Je la fredonne frénétiquement. Je n’ai pas besoin d’un MP3 pour cela. Et cette fois-ci, pas de bol, la chanson que j’ai fredonné pendant 4 ou 5 bonnes heures était terrible ! Et encore plus terrible quand on ne connaît que deux phrases de celle-ci. «  Et toi non plus, tu n´as pas changé… Toujours le même parfum léger… Toujours le même petit sourire… Qui en dit long sans vraiment le dire »… ah sacré Julio ! 5 heures avec toi… c’était LONG !

PARTIE 6 / 7 – T’es parents savent que tu es la ? 

Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

Km 119. Ravitaillement de Menthières. Je suis déjà bien.. mais alors bien bien atteint. Physiquement et dans mes ressources d’énergie. J’entre dans le ravitaillement en courant. Mes flasques à la main. Prêtes à être remplies d´eau. Ça fait une heure que j’ai un visage crispé. Le sourire n’est pas de circonstance. Le regard est concentré. Incroyablement concentré. Franchir la porte du ravitaillement ne défige pas mon visage. 

Celui-ci s’illumine au moment de demander de l’eau. Je mets mon costume de scène. Je m’impose un masque joyeux, presque enfantin de circonstance. Je suis souriant. Sympathique. Presque drôle. La bénévole me demande si ça va.. « Évidement. Très bien et vous ? ». Elle enchaîne « Vous voulez quelque chose ? ». – « Bah. Je me serai bien pris un petit whiski coca, mais on va opter pour de l’eau hein ». Elle rigole, se retournant vers ses collègues en demandant du regard « vous avez entendu ce gamin taré ?! ». Elle revient vers moi et me sors cette phrase magique « Mais tes parents… ils savent que tu es là ? ». 

J’adore. Tout simplement. J’adore. Je réponds au quart de tour avec la voix de celui qui est en train de faire une bêtise. En chuchotant presque. « Alors.. je suis là. Il est vrai. Mais surtout ne leur dites rien. ». Elle rigole. Je la remercie pour son aide. Je me retourne et repart en courant. Mon visage est celui du fier bonhomme qui s’en va avec panache. Sur un gag. Arrogant. Mais sincère. 

J’adore ce genre de petit moment. De petites phrases. Quand on reste des heures et des heures seul, la moindre discussion. La plus courte même. Reste ancrée pendant des heures. Elles rappellent qu’on est pas seul. Et qu’après cette course. Il y aura de la vie en communauté. Du partage. Ça donne encore plus envie d’aller dépasser cette ligne finale. Pour partager d’autres phrases. Pas toujours utiles. Pas toujours profondes. Mais essentielles. 

PARTIE 7 / 7 – Et maintenant. 

Alexandre Boucheix – Casquette Verte – Copyright Gilles Reboisson

« Et maintenant. Que vais-je faire ? ». Ah non hein… je ne suis pas du tout dans ce feeling. Dans cet état d’esprit. Ce n’est pas une fin en soit. Ce n’est pas le haut de la vague. Pas encore. Cette course, bien qu’au final assez bien maîtrisée, n’est pas un achievement. Ce n’est pas un point d’arrivée. Dire que c’est un point de départ serait mentir aussi. 

Mais c’est une marche. Une marche de cet escalier, ou de cet escalator que je parcours depuis quelques années, et dont je ne vois pas encore la fin. Bien évidement, il y a cette crainte. Celle de ne jamais réussir à faire mieux. Mais cette crainte je l’occulte. L’ultra01 était et restera un entraînement. Je ne l’avais pas prévu dans la saison. Il est venu à moi comme par hasard. Réussir. Enfin plutôt (se) réaliser sans s’y être particulièrement et spécifiquement préparé, c’est un plaisir immense. 

Cet ULTRA01 était donc un entraînement. Ça fait bizarre de dire cela. Un entraînement de 170 km et 7000 mètres de dénivelé. Sur le court terme, cet entraînement est une étape pour une autre course qui arrive en octobre. Sur le moyen terme, un entraînement sous forme d’expérience acquise dans le long. Sur le long terme, un entraînement à améliorer un jour. 

Mais je pense avant tout au court terme. Je pense avant tout à ce Grand Raid qui arrive peut être. Celui qui me hante depuis des semaines, depuis des mois. Celui sur lequel j’aimerai par dessus tout, donner tout ce que j’ai. Cette diagonale des fous qui arrive ne me fait pas peur. Y échouer. C’est possible. Mais alors je reviendrai encore et encore. Mais je ne m’autorise pas à y penser. L’échec est possible. La réussite aussi.

La pente est ascendante. Pourquoi devrait-elle s’atténuer ? Il n’y a pas de raison. J’ai encore tellement envie. Je ne suis pas lassé. L’histoire n’est pas finie. Les chapitres devant moi sont encore magnifiques à écrire à coup de foulées douloureuses. Je bave d’envie. Pourvu que les circonstances me permettent de réaliser encore et encore. Pourvu que toute l’envie que j’ai puisse trouver les sentiers de ma liberté. 

Récit Endu’Rance Trail des Corsaires 2020 (98 km – 2100 m D+) – 3ème au Scratch – 08h 51min 58 sec

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Première moitié : Maitrise & Retenue.

« Retiens toi sur le départ.. retiens toi.. Rien ne sert de fanfaronner sur les 10 premiers km.. Si c’est pour se faire rattraper comme un jeune chien fou dès le premier ravitaillement venu ». Il a fallu que je me la rabâche encore et encore cette phrase pour l’appliquer. Me retenir. Mettre la corde en tension. Juste ce qu’il faut. Juste assez pour que la flèche parte au bout moment.

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05h32. Un petit groupe se forme en tête dès le passage dans l’Intra-muros. Je reste dedans. Bien au chaud. Le temps de mettre la machine en route. Le rythme est bon. Je ne prends pas la tête. Je me laisse guider. J’entends certains du groupe dire la traditionnelle phrase « C’est parti fort quand même » alors que nous en sommes à peine au 5ème kilomètre et qu’on n’a pas non plus appuyé comme jamais. Je me retiens de répondre par la négative.

Nous nous perdons. Plusieurs fois. Ça râle. J’en rigole. Les kilomètres passent vite et bien. J’aime cette sensation de fuir le départ. De vouloir s’en échapper. Pour ressentir plus tard l’envie de revenir.

Juste avant le premier ravito, le groupe de tête éclate en grappe de 2 ou 3 coureurs. Je n’ai pas envie de me mettre dans le rouge pour tenir le rythme de l’avant poste. Je contemple de loin deux ou trois Petzl s’échappant. Disparaissant de virages en virages. Je saute le ravitaillement.

C’est en compagnie de Christophe que je gambade. Nous sommes entre la 5 et 7ème position je pense. Le moment est plus difficile pour moi. J’ai toujours du mal entre le km 10 et le 30. Les indices de fatigues futures apparaissent silencieusement. Je tente de les analyser. Je somatise sûrement un peu trop dessus. Il me faut toujours quatre bonnes demi-heures pour être dedans sans soucis, sans prise de tête. Je reste dans les mollets. Je n’ai pas envie de mener le train. Je tente de m’abriter du vent fou.. mais derrière Christophe, c’est mission impossible.

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Km 30. Me voici en rythme de croisière. Reste encore une dizaine de kilomètre avant le ravitaillement des 40. Je suis complètement à l’aise. Je me sens déjà la possibilité d’accélérer. Je ne le fais pas. J’en garde sous le pied. Dans les montées, je piétine derrière mes compagnons. Je déteste cela. Je prends sur moi. « Attends.. attends encore un peu. 60 bornes à fond pour finir, c’est sûrement trop. Idéalement, tu t’échappes au 50ième. Il te restera un gros marathon. C’est déjà plus probable comme projection ».

_IMG0148Ravito du 40ème. Recharge en eau et en eau coupée au miel. Morceau de pain d’épice dans la bouche, quelques raisins secs et ça repart aussi vite. « Vas-tu réussir à piétiner encore 10 Km… où la tentation d’aller chercher devant plus tôt va-t-elle être trop forte ? « .

Seconde moitié : Conquête & Résistance.

Mâcher ce pain d’épice m’aura occupé 200m. Je m’ennuie. Ça y est. Seule la douleur atroce que les plis qui se sont formés sur mes semelles me rappellent que je suis entrain de courir un presque 100 bornes. Les premiers rayons de soleil ont fini de me sécher de cette nuit sous des trombes d’eau (j’aborderai le sujet « touchy » du climat breton dans le prochain chapitre). « Tu es sec. Tu es frais.

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Un compagnon d’aventure vient de te dire.. « Ayé plus que 50 Km ». Laisse toi tenter. Part. « .

J’accélère une première fois sur 2 km. Je fais rapidement un trou sans monter dans les tours. Je passe en stand-by juste le temps de m’alimenter. Une gorgée d’eau. J’accélère à nouveau. Et cette fois-ci c’est pour de bon. On va tenter un negative spleen des familles sur 50 bornes.

Je mets une dizaine de kilomètres à reprendre le troisième. Nous sommes dans une belle montée. Je passe comme sur le plat. Je suis très à l’aise. Il me dit que « ça commence à être dur ». Je lui fais une petite tape dans le dos en signe d’encouragement et je m’échappe. J’en remets un petit coup. Plus froidement. Je ne veux pas avoir la sensation de courir avec quelqu’un à 700 mètres dans le dos.

Dans un village, je me paume complètement. Après avoir visité l’église, le cimetière, la Mairie et la poste je reviens dans le droit chemin. Je le sais. Je viens de repasser 4ème. Je m’en fiche un peu à vrai dire. Mais je m’engueule de n’avoir pas été plus attentif.

Je retrouve mon compagnon un peu plus loin. Il s’agit de le remettre loin derrière à nouveau. Grosse accélération. 4:20 au kil pendant 3 bornes roulantes. À ce moment avancé de la course, cela devrait suffire pour refaire un écart et se retrouver seul.

Ayé. Je suis seul. C’est ce moment que j’aime dans les courses. Il me reste 30 Km. Je ne rattraperai plus personnes. Je le sais. Et si je ne faiblis pas, il sera impossible de me reprendre. Je profite enfin de mon ultra. Je cours au feeling. Ma montre vibre, je ne la regarde pas. Je peux lever le museau pour observer le paysage, écouter les goélands, voir ce gros lapin s’échapper. Je profite. On se croirait à l’entraînement. Sans pression.

Dernier ravitaillement avant l’arrivée. Je me gave de saucisson et de gruyère. Les seuls tristes Tuc que j’ai pris jusque là, n’ont que réveillé ma soif de salé. Je rigole avec les bénévoles. Et je repars.

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Les 20 derniers Km passent comme un bonbon sucré à l’âge où le 4h est le plus doux des repas. Du monotrace côtiers en veux-tu en voilà. Des passages dans la rivière fraîche pour vivifier les muscles. Et quelques longs passages roulants pour travailler le mental.

Je vous ai déjà dit que ça fait 50 bornes que j’hurle intérieurement à cause de mes semelles ? Oui ? Et Bien je vous le redis. Car BORDEL.. ça faisait longtemps que je n’avais pas dû combattre une telle douleur d’inconfort.

Le panneau St Malo est là. Il doit rester 4 ou 5 Km maintenant. Je repasse sur les sentiers et sur les quais empruntés 7 h plus tôt dans la nuit. Il fait soleil maintenant (entre 2 averses de grêles). Le vent n’a pas disparu. Mais cela ne me dérange pas.

Remontée sur les remparts de l’Intra-muros. C’est la fin. Je le sais. Je sers frénétiquement le poing. Je fête ce podium en discrétion. Avant que la ligne soit franchie. Je préfère savourer cette 3ème place seul. Maintenant. En pensant à mes proches, à ceux qui me manquent. Sur la ligne d’arrivée, cela sera déjà trop tard. C’est pendant qu’il faut profiter.

Moment de jouissance personnelle effectué. Je savoure maintenant les félicitations des passants et des supporters. Je partage avec eux l’énergie qu’il me reste en cette fin de course. Ça tape quelques mains. Derniers mètres. Petit 360°. Ayé. C’est fait. Le pari de partir au Km 44 a payé. J’ai pu répondre à cette question que j’ai tant pu me poser lors de la seconde moitié course. Est-ce que je ne suis pas parti trop tôt ? Est-ce que je n’ai pas été trop gourmand ? À priori. Non. Et en plus, j’ai pu profiter. Une belle prise d’expérience pour d’autres courses à venir.

 

Point météo. 

Il nez jamais facile de rapporter les conditions météo extrêmes que l’on peut subir durant une course. Cela donne toujours l’impression de trop en faire. De n’avoir que peu les bons mots pour décrire ce difficile moment. Nez-t-il pas vrai ? « Bah.. il a plu fort.. il a vent fort aussi ». Ne souhaitant me réduire à cela.. J’ai décidé de vous conter cette matinée légendaire dans la tempête bretonne par les vers de mon tendre Cyrano. Contant sa légende, que je parodie ainsi…

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 » Eh bien donc.

Vers 6h,

J’allais à la rencontre de ce climat breton.

La lune dans le ciel se voyait cachée par de sombres et orageux nuages.

Le vent soufflait plus fort que le temps ne passe sur une montre.

Quand. Soudain.

Je ne sais que de violentes trombes glacées,

C’étaient mis à passer un coton nuagé sur la Bonatti grise de ce coureur citadin.

Il se fit une nuit,

La plus humide du monde.

Et les sentiers n’étant pas du tout illuminés.

Mordious !

On n’y voyait pas plus loin…

<Que son nez.>

Je…

Je disais donc…

Mordious ! …

Que l’on n’y voyait, rien.

Et je courrais.

Songeant que pour un gueux fort mince

J’allais mécontenter quelque orage, quelque tempête,

Qui m’auraient sûrement…

<Dans le nez…>

Une dent !

Qui m’aurait une dent…

et qu’en somme, imprudent,

J’allais me fourré…

<Le nez…>

Le doigt !

Dans cet enfer descendant du ciel,

car cette tempête pouvait être de force

À me faire donner…

<Sur le nez…>

Sur les doigts !

Mais j’ajoutai :

Cours, mon garçon, fais ce que dois !

J’avance.

Et tout à coup me retrouve

<Nez à nez…>

Face à face !

Avec milles parpaings d’eau qui sentaient

<À plein nez>

L’humidité et le froid.

Je relance.

Front baissé.

<Nez au vent>

Et je passe.

J’estomaque cette rafale !

J’en empale une autre. Toute vive !

À découvert, celle-ci m’ajuste : Paf !

Et je riposte…

<Pif !>

TONNERRE ! Sortez-tous ! « .

Sortez !

Laissez moi seul avec cette tempête qui ne me fait que trop violence.

Je me retrouve en tête à tête avec celle-ci.

Je sais quoi lui dire. Je sais ce que je lui dois.

Embrasse moi. Lui dis-je.

Embrasse moi.

Sans toi, je n’aurai pas de souvenirs si violents. Humides. Cruels. Mais forts. De ceux que l’on garde. Précieusement. En soit. Pour soit. Pour quelques an-nez !

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Satisfactions – Réglages & ajustements.

Le titre de ce chapitre fait peur. Mais promis.. ce n’est pas si chiant que ça 😉

À chaque course, c’est un peu plus d’expérience qui s’acquiert. Je commence à récolter les fruits de beaucoup d’erreurs effectuées par le passé. Beaucoup de choses se passent bien mieux qu’avant. J’applique des recettes que je me suis concocté. Certaines sont rodées. De la cuisson au dressage. D’autres sont en test. Mais je ne cesse de découvrir de nouvelles problématiques à régler. De petites choses à améliorer par ci par là. Tel un artiste qui a du mal à mettre le dernier coup de pinceau, je trouve encore à refaire, à redire, à améliorer.. Dans cette immense toile que la pratique de l’Ultra me fait dessiner.

Les satisfactions de mon Endu’Rance Trail des Corsaires :

La gestion de course : OK. Content d’avoir enfin pu réussir une course en negative spleen de manière volontaire.

La gestion de l’alimentation & hydratation : OK. On est sur quelque chose de mieux en mieux maitrisée. Je me suis même surpris à bien gérer le manque de salé sur les ravitaillements.

Partir avec l’essentiel : OK. Quand tu rentres, et que tu as plus que deux gels et une patte de fruit, c’est que tu as pris juste ce qu’il faut.

La capacité à courir presque sans arrêt : OK. J’ai été étonné. Rares ont été les moments où j’ai du me résoudre à m’auto-motiver pour avancer ou relancer. Cela fonctionnait presque tout seul. Régler comme du papier à musique. Ce n’est pas souvent le cas. Faut savoir en profiter lorsque cela arrive.

Ne pas se prendre la tête.. s’énerver.. Ou se mettre en mode compétition : Ok. C’est peut être ce dont je suis au fond le plus fier. Réussir à rester moi même. Riant de l’adversité. Pouffant d’une erreur de parcours. Élevant la fausse modestie à un rang encore inégalé. Bref. Restant moi même. Arrogant, mais brillant. Vaniteux, mais sincère.

Trêve de satisfactions. Place aux améliorations et points d’attention pour la suite.

Au premier lieu desquels :

ENTRETENIR SES AFFAIRES. Je vous explique. Nous sommes jeudi soir. Je commence à comprendre que les deux semaines de pluies qui viennent de passer vont solutionner rapidement la problématique du choix des chaussures.

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Moi qui voulait partir en Sense Ride. Me voilà, recherchant mes Speedcross 5. Où sont-elles bordel ? Tu ne les as pas utilisé depuis quand ?.. Ne te pose pas ces questions rhétoriques.. tu le sais bien. Ça fait 3 mois que tu repousses dans ton agenda cette alerte « Nettoyer SpeedCross » de Dimanche en Dimanche  depuis la SaintéLyon. Fallait bien qu’à un moment ta flemme prenne vie, et Quelle te mette un gentil, mais sec, coup de bambou derrière la nuque.

Ah. Bah. Finalement ça va. Elles ne sont pas si crados. Un peu figées. Mais ça va. Glissant ta main dedans : Là.. on va avoir un soucis en revanche. Soudain, reviens à toi ce souvenir. Les longues descentes roulantes de la SaintéLyon sous la pluie. Ces semelles qui glissent sous ton pied inexorablement. La douleur que tu as contenue sur le moment, et les ampoules que tu t’es tapé par la suite. Tu te souviens maintenant. IDIOT VA.

Trop tard pour acheter de nouvelles semelles de confort. Je passe au système D. Les 2 semelles passent la nuit écrasées sous un morceau de bois de 60 kg. J’enchaîne la journée de voyage avec celles-ci aux pieds. Ça devrait le faire me dis-je. Je ne m’inquiète même plus le matin du grand départ. J’aurai du !

Km 10. Depuis 2 ou 3 descentes, j’ai ressenti un pli se former sous l’attaque avant pied. Vraiment à l’endroit où peu importe ta façon de courir.. un pli de prés d’un cm sur toute la largueur va te faire souffrir. Et il va te faire souffrir 3 fois. Quand ton pied va se poser. Normal. Quand ton pied va quitter le sol. Normal aussi. Mais surtout quand ton pied est en l’air, et que tu sais que dans un instant, tu vas douiller deux nouvelles fois… pendant 80 bornes.. en boucle. Tu auras beau tenter de la remettre, rien n’y fera. Ta flemme.. tu la sens ta flemme j’espère ?

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Bref. En rentrant à Paris.. je fais pas le con cette fois ! Je mets une tâche dans mon agenda « Nettoyer speedcross ».

Second point. Moins critique car plus humain.

RESTER CONCENTRÉ même quand on prend du plaisir. Globalement, je suis plutôt content de moi là dessus. Pas de chute. Presque pas de mauvais appuis vrillant la cheville. C’est plutôt « en bonne voie » comme dirait mon professeur principal en 5ème 4. Mais, étant donné le nombre de fois où je me suis encore perdu. Où revenant sur mes pas, l’énorme flèche jaune fluo peinte au sol me faisait comprendre qu’un rendez-vous chez l’opticien ne serait pas malvenu.. je me dis qu’il faut vraiment que je m’efforce à rester concentré.

Oui. J’ai le droit de divaguer quelque peu comme samedi. Oui. Chanter « Voiles sur les filles.. Et barques sur le Nil.. Je suis dans ta vie.. Je suis dans tes bras » (veuillez noter que mon inconscient à rattacher St Malo et ses bateaux au phare D’Alexandri de Cloclo.. le cerveau est bien fait quand même !). Je reprends. Oui. Chanter les sirènes du port d’Alexandri n’est pas un crime. Mais. Soit raisonnable. Tu as fait des efforts. Je le sais. Mais encore un peu plus de rigueur. Et tu verras. Tout va mieux se passer. Oui. Après. On boira des coups. On ira faire la fête dans des pubs du nord de Londres. Mais là. Sérieux. C’est une course tout de même. (Le moi qui lit cette dernière phrase  avec deux jours de recul sur l’écriture s’empresse de mettre une énorme Trikha au moi qui vient de l’écrire.. je vous rassure).

 

Parcours – Ambiance et organisation.

Il est venu le temps douloureux pour vous. Lectrices – Lecteurs. De subir le lamentable instant « Le paysage bla-bla.. les ravitos bla-bla.. Merci aux bénévoles.. Coeur coeur sur l’orga’. Amour et nougatine. »

Pour le rendre plus digeste. Je vous propose de commencer par ce qui ne va pas. Mouahahahahahh.

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Pour moi. Mais peut être que je me trompe. Et il faudra alors excuser le parisien déconnecté des réalités que je suis. Pour moi.. qui dit Bretagne dit.. beurre salé.. dit iode.. dit sel de guérande.

Bref.. vous m’avez sûrement vu venir..  Pourquoi attendre le Km 60 pour mettre du vrai salé (fromage/saucisson) sur les ravitaillements ?

Car non. Une cagette de Tuc. Même un 33 tonnes de Tuc tant qu’on y est, n’est pas Mon-sieur suffisant à ma soif de sel en Ultra.

Profitons en pour parler des Tuc plus généralement.. Oui. Parlons « Tuc ».

(C’est à cet instant que je dois vous avouer que ma colère n’est pas dirigé vers l’organisation.. mais vers les Tuc. J’ai jusqu’à aujourd’hui retenu ce dédain totalitaire qui règne depuis longtemps en moi. JE HAIS LES TUCS. C’est dit. Et JE HAIS LES CINTRES. Mais ça c’est une autre histoire.. bref.. revenons là où nous en étions..)

Parlons « Tuc ». C’est drôle. Quand tu commences à faire du trail. Tu te dis « Tiens. Mais ils se nourrissent vraiment de ça les coureurs ? »

Personnellement, la dernière fois que j’en ai eu c’était lors de cette réunion parent-prof.. Quand mon étonnant, mais non-moins sympathique professeur d’Histoire-Géo tentait d’amadouer la vindique parentale en posant sur la table de discussion quelques Tuc servis dans la fameuse assiette en plastique avec les petits picots anti-dérapant au fond.. vous avez bien l’image en tête. Et bien, voilà messieurs, pourquoi il faut en cesser avec les Tucs. Ils doivent rester sur cette table de collège, et ne pas se mettre à celle d’un ultra ! On a coupé la tête de nos rois (et d’autres d’ailleurs).. On peut bien mettre fin à cette suprématie apéritive, plus proche de la blague de mauvais goût que d’un apport sérieux en sel nécessaire sur un Ultra !

J’en étais où ?  (me disant qu’il faut revenir au sujet de base.. car je risque de vous perdre là.). Alors.. ce ravito’. Oui. Ça manquait de salé. Mais franchement, on s’en fout pas un peu ? Et puis surtout, quand tu en es réduit à critiquer le manque d’un aliment.. Cela fait preuve d’une seule chose.. 1 – Tu es un vieux con. (Bon.. de deux seules choses) 2 – C’est que franchement, tout le reste devait être aux petits oignons pour que tu n’arrives à retenir que cela 😉

Deuxième chose qui ne va pas. Et en plus court cette fois. « Baliseurs.. ôh sombres héros de ma jeunesse… ». Je vous aime. Car j’aime vous détester.

J’aime quand dans un élan créatif encore trop incompris vous décidez de vous éloigner de l’article 1er du bon baliseur :

« À chaque virage, tu l’annonceras en amont / Tu indiqueras le sens à prendre dans celui-ci / Puis (très important et c’est souvent ce qui pèche) tu placeras un rappel visible en sortie de virage pour notifier au coureur que son choix est le bon. »

Bref. Encore une Course où j’ai entendu trop de coureurs prononcer le fatal « Il est léger de chez léger le balisage ». Ma position est la suivante.. certes c’est plus simple quand le balisage est dense, ainsi que positionné par des coureurs plus qu’habitués des ultras. Mais est-ce que c’est vraiment mieux ? Est-ce que ça n’a pas plus de saveurs quand c’est un peu plus compliqué. Quand pour arriver à bons ports, il faut inévitablement se perdre un peu. Et puis franchement. Le plus souvent. C’est tellement de notre faute. De notre déconcentration que vient les erreurs de navigation. Certes. Il y a les actes malveillants (et je crois en avoir repéré quelques uns lors de la course). Certes. Parfois une balise pourrait être un peu mieux placée. Mais si vraiment c’est trop compliqué pour toi, met toi au ping pong. Les lignes blanches sont bien voyantes. Et la balle ressort bien dessus. Tu peux même en prendre des jaunes si ça te chante (Mouahahhahah).

Et voilà le moment qu’on attends tous : Les paysages sont franchement supers ! Du côtiers.. de la campagne.. du sous-bois forestiers.. des petits villages charmants.. des passages au sein de gros œuvres en termes d’infrastructures.. Du bord de départemental.. des passages submergés dans l’eau.. des traversées de barrages.. des balades le long de quais plaisanciers.. bref.. franchement il y en a pour tous les goûts.. et surtout on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Et ça je trouve ça top en Ultra. Moi qui suit habitué à beaucoup de monotonie (Montmartre.. triple paname.. etc..).. c’était un vrai régale.

Niveau sol et revêtement.. c’est incroyablement roulant. Il y a les traditionnels et inévitables « roulants bitumes » et les « roulants sentiers blancs ». Mais j’ai découvert pour la première fois en course les « roulants côtiers ». Alors comment je définis cela : Le roulant côtier. Se sont tous ses monotraces ou légèrement plus larges, qui naviguent, slaloment gentiment, grimpent un peu, mais pas trop. Descendent un peu, mais pas trop non plus. Bref, un bonheur pour y courir à l’entraînement selon moi. Un peu plus dur à faire sur un 98 bornes chronomètré.

L’exigence du parcours se résume vraiment dans le fait que tout est courable. Les aspérités « un peu casse-pattes » du parcours ne le sont pas assez pour inhiber la capacité à courir. Les relances peuvent se faire sans que 4 mètres plus loin un virage ou un obstacle rende la chose difficile. Bref. Un vrai parcours trail breton si j’ai bien compris. À découvrir.

Et enfin. Par ce que sinon je ne serai pas complet. J’ai découvert un nouveau style de bénévole. Un de plus. Le bénévole breton. J’avais dans ma collection le bénévole savoyard, le Jurassien, le retraité Parisien, le banlieusard, le sud-africain, le corse, le lyonnais ou le stéphanois.. en voici un de plus que j’ajoute à mon mur des gens qu’on aime, qu’on remercie et qu’on souhaite avec vigueur revoir l’année prochaine. Ce l’année prochaine, me permet de rebondir sur la question fatale du « Envie de revenir ? ». Généralement, c’est la question qui fait foi. Et bien. Outre le fait que je trouve très pratique de n’avoir que 2 h de train from Paris et pas de voiture nécessaire sur place.. J’ai passé un super moment. J’ai donc déjà très envie de revenir.

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Ps : Chapeau (casquette) à l’organisation. Car même si mon irrévérence audacieuse est plus présente dans mon récit que mon sincère respect. Je n’ose imaginer le taff qu’il y a derrière pour organiser ce type de course, et qui plus est dans les conditions climatiques qui n’ont pas dû aider. Clap clap pleins de respect et de félicitations à vous.

Récit Lyon SaintéLyon 2019 (152 km – 4542 m D+) – Victoire – 16:44:18 (Retour : 07:27:35).

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1/6 – Une course tout en gestion à l’aller.

La Lyon SaintéLyon, avant d’être un Ultra de 152 Km, c’est surtout un format étonnant, original et intéressant. Il s’agit fondamentalement de parfaitement se connaître sur ce style d’épreuve. Un aller (en maximum 13 h) qui n’est pas pris en compte dans le classement final. Une pause à St Etienne plus ou moins longue selon le temps mis à l’aller. Et un retour le plus rapide possible qui sera le seul juge de paix pour le classement.

Lorsque l’on assimile cette règle, la stratégie est évidente : Faire l’aller assez vite pour se reposer à St Etienne, mais également assez doucement pour en garder sous le pied afin d’assurer sur le retour.

Le fait d’être en petit comité (350 au départ, donc rapidement par petit groupe de 2 – 3 sur le parcours) aide à ne pas s’enflammer. J’ai ainsi fait l’aller avec Olivier et celui qui selon moi avait ses chances de remporter la course : Seb’ Dos Santos. Je crois que nous avons fait les 76 bornes à moins de 1m50 l’un de l’autre. Je l’entends encore me dire « On devrait marcher là.. » – « On est trop rapide.. » – « Ça monte, on s’arrête. » – « Faut pas faire grimper le cardio ». Il avait raison. (Merci de m’avoir retenu). C’était la meilleure stratégie pour arriver frais à St Etienne en prévision du retour.

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9h15 pour faire l’aller. Nous avons été très raisonnable, ce qui pour ceux qui me connaissent n’est pas ma qualité première. 9h15 qui m’ont permis de mettre un visage sur cette SaintéLyon que je ne connaissais que de nuit. Et un très beau visage. Avec des reliefs, des habitations charmantes et des agricultures de tous types. Certes, il a fallu courir avec les yeux dans le dos (le parcours n’étant balisé que pour le retour). Certes, ainsi nous nous sommes perdus 6 ou 7 fois (pour changer). Mais tout était appréciable dans cet aller.

Autre aspect intéressant de l’aller : Prendre (avoir) le temps de chercher les meilleurs appuis pour économiser les chocs pris en courant. Atténuer au maximum la pression qui remonte dans tout le corps. Et en faisant cela, repérer quelques passages plus techniques, oú l’on sait que dans quelques heures, sur le retour, il va falloir aller chercher de la vitesse et de la précaution.

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En d’autres termes, et plus simplement. Cet aller fut pour moi une vrai découverte. Celle d’un territoire. D’une autre manière de courir. Je ne dirai pas que c’est ce que je préfère maintenant et que je ne ferai que ce type de format. Mais cela a clairement eu le mérite immense de n’être que délicieusement agréable.

 

2/6 – Une pause à occuper.

Me voilà donc à Saint Etienne. Il est 18h45. J’ai les jambes fraîches comme un gardon (bien qu’il soit plutôt nageoire celui là).

J’apprécie les regards étonnés, et les encouragements des quelques coureurs de la SaintéLyon classique qui attendent dans le Hall. Je tente de ne pas trop me disperser. Mais c’est difficile de ne pas porter sur soit la marque de celui qui a déjà couru.

J’ai 4h45 devant moi pour me reposer. Je n’en ressens nullement le besoin. Je serai bien reparti directement. Mais maintenant qu’on a bien géré l’aller, on va continuer à être sérieux pour cette pause. Ca fait aussi parti de la difficulté de ce format nouveau pour moi.

Je file à la douche. Je m’y oblige. J’en ai envie comme on a envie d’enlever un sparadrap pris dans quelques poils. Et le fait que l’eau soit froide n’arrange rien.

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J’ai vu que les coureurs précédemment arrivés vont tous chez les osthéo’. Et mesdames, messieurs.. c’est une grande première > Je me dis « Aller.. Pour une fois.. Soit pas idiot.. il faut tout essayer au moins une fois ». Je me retrouve donc allongé, à me faire masser les mollets et les cuisses par deux jeunes ostéopathes très sympathiques. Je ne sais pas du tout si cela a été utile. En tout cas, c’était agréable, et nous avons pu nous marrer entre coureurs de la LSTL. (Ps : La photo est clairement sur-jouée).

Je file au diner. Riz – Pâtes – Poulet. On est sur une base parfaite, peut-être un peu trop en quantité. Manger chaud pendant une course, encore une nouveauté. C’est agréable. J’ai cru comprendre que des coureurs arrivés plus tard n’ont rien eu :s J’en aurai moins pris si j’avais su. Mais dans ces moments là, franchement, on n’y pense pas. 

J’enfile mes affaires pour le retour. Et je me couche. Je n’ai pas été prévoyant. Je suis à même le sol. J’ai froid. Je tremble. Je n’arrive pas éviter cela. Ce n’est pas un bon moment. Je n’arrive pas à dormir pendant 2h. J’ai fermé les yeux, c’est déjà cela.

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Je me réveille 1h30 avant le départ. Les jambes semblent OK. Moins bien qu’en arrivant à St Etienne, mais cela n’est pas atrocement douloureux. Un simple rappel qu’on a trottiné depuis Lyon pendant toute la journée. C’était vraiment mon gros point de doute avant la course. Comment mon corps va réagir à une grande pause comme cela avant de repartir ?

Je me re-active. Je vais voir des collègues à l’extérieur. Je discute. Réponds à quelques sollicitations de la presse. Bref, je m’occupe. Je sais que dans quelques minutes, la course commence vraiment. Ça ne sera plus du tout la partie franche de plaisir qu’a été l’aller. Enfin, ça sera un autre plaisir. Celui qu’on trouve dans l’intensité, la difficulté et l’ambiance enivrante d’une course aux avants-postes.

Il pleut dehors. Le terrain va être très différent. Quels vont être les sensations ? Est-ce que cela va tenir ? En tout cas, j’aurai tout fait pour.

 

3/6 – Un retour de feu. 

Départ depuis le SAS élite. Ça va m’aider à prendre un peu d’allure. Je n’ai aucun stress. L’aller c’est bien passé. Le retour va être très différent, je le sais. Et il pleut depuis un moment maintenant. Mes speedcross 5 que j’ai regretté à l’aller, vont m’être plus qu’utile sur le retour.

Musique de la SaintéLyon lancée. Petit tapage dans les mains de Seb pour nous souhaiter bonne course. Et BIM ! C’est parti. Je décolle facilement. Les premiers Km s’avalent entre 3:45 et 4:10 au kil’. J’ai la sensation d’avoir déjà couru aujourd’hui, mais ce n’est pas non plus dérangeant. Je tente de ne pas me mettre dans le rouge, car j’ai peur que l’aller me revienne d’un coup dans les jambes.

Au KM 4. Je me sais seul en tête. Je n’ai pas vu de Dossard jaune devant moi. Lorsque d’un coup, une fusée au Dossard jaune me dépasse. Il me dit sur le ton de l’humour « Tu n’as pas pris assez d’avance… ». Cela me titille l’orgueil. C’est rare. Je ne suis pas de ce genre.

Je recolle aussi sec. Se lance maintenant une trentaine de Km aux côtés de Christophe Le Saux. Clairement, il est plus fort. Sur le plat, j’arrive facilement à tenir son rythme, j’y respire. Dans les descentes, je suis obligé d’allonger un peu la foulée pour rester à proximité. Et dans les montées, il me met clairement dans le rouge.

Plusieurs fois pendant ces trente Km partagés ensemble, je me suis dit : « C’est bon. Lâche l’affaire. Tu vas te cramer. La fin de course va devenir un enfer Si tu continues à ce rythme ». Mais à chaque fois, une petite voix me rappelle que si je lui laisse 10 – 15 mètres, je n’allais plus jamais le revoir. C’est donc en déployant de gros efforts, que j’ai tenu derrière Christophe. J’étais tout simplement incapable de passer devant.

Cela m’a permis d’observer sa foulée. Et croyez moi, elle est assez particulière. Le plus surprenant étant sûrement ses appuis dans les montées, qui lui permettaient de remettre du rythme à mi-pente. Pas en mode verrin comme j’ai tendance à le faire de mon côté. Plutôt une alliance entre des appuis avant – medio et arrière pieds en modulant l’angle selon les rebords du chemin. Bref. Une vrai leçon de trail.

Après une trentaine de Km. Je me sens beaucoup plus à l’aise pour le suivre. Je ne me vois pas encore prendre le lead et tenter de partir au loin. Mais à un instant, alors que j’étais repassé devant. Je ne sens plus sa présence derrière moi. Je crois qu’il s’est arrêté. Je m’interroge. Dois-je l’attendre ? Ça serait sûrement plus stratégique pour nous deux d’avancer ensemble. Je fais un point sur les sensations. Tout est en train de passer au vert. Je prends la décision d’y aller. Et de voir ce qu’il se passe.

Plus les km dans la boue, sous la pluie passent et plus je me demande quand cela va revenir derrière. Je fais le constat qu’il me reste 35 Km et que je suis plutôt très frais. Les jambes tournent facilement. Je suis dans l’orange. Je ne rentre jamais dans le rouge. J’ai la sensation incroyable d’être facile. Je ne sais pas si cela va durer longtemps. Je m’alimente avant d’avoir faim. Je bois avant d’avoir soif. Bref. Tout roule. Ok le terrain est vraiment compliqué avec la quantité de boue qu’il y a maintenant, mais cela ne me dérange pas plus que cela. Seul, la visibilité qui se réduit à 1 ou 2 mètres parfois me fait ralentir.

J’arrive à Soucieu-En-Jarez. Je le sais. À partir de maintenant, j’ai une carte à jouer. J’ai toujours découper la STL en 2. Une première partie avant ce ravito du Km 53. Et une seconde de 26 Km que je sais pouvoir sprinter tout du long. J’entre dans le ravitaillement comme on entre dans un métro avant de se rendre compte que c’est le mauvais. J’en ressors aussi sec. Et me voilà parti sur un sprint de 26 Km. Si je n’ai pas été rattrapé jusqu’à présent, me dis-je.. Je sais bien que ça va être beaucoup plus compliqué de me rattraper par la suite.

Je commence à y croire à 10 – 15 km de l’arrivée. Je tente de faire fuir ce potentiel succès. S’il ne se réalise pas, j’aurais tant de regrets de m’y être vu complaisant trop tôt. Je connais bien cette fin de course. J’ai la topographie et les distances en tête. Je double encore quelques élites de la SaintéLyon. Je suis un peu gêné de le faire. Mais pas le temps de m’en vouloir.

Parc des arcrobranches passé. Je trouve le temps de me tromper de rue et de me perdre. Demi-tour. Pourvu que personne ne m’ai dépassé. Je n’ai aucune notion des écarts. Il y a-t-il quelqu’un à 2 min.. Ou à 45 min.. je ne le sais pas. Descente des escaliers. Il s’agit d’y croire maintenant. Passage sous le pont. Remontée. J’y crois.

Je suis en train de remporter mon premier format long. Les émotions montent. Je sers le poing droit de bonheur. Je pense à ma copine. À mes parents. À ma soeur. À mon grand père. À Marc. Je cavale tout en profitant de ce moment. J’ai beau me dire de profiter. Que cela risque de ne plus jamais m’arriver. Je continue à sprinter. Comme une envie de finir en beauté une course que je pense avoir idéalement géré. Je vois la Halle. C’est fini. Profite garçon. Profite. Feux d’artifice. Un bandeau à soulever. C’est fait. Je l’ai fait. C’est dingue. J’ai beau relativiser. Ce n’est que de la course à pied. Mais à ce moment là très précis. Vous m’en excuserez. J’ai exulté.

SaintéLyon 2019. Lyon dimanche 1er décembre 2019

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SaintéLyon 2019. Lyon dimanche 1er décembre 2019

 

4/6 – D’orgueil et d’envie.

Je cours à l’envie. Difficile de faire autrement quand on court presque tous les jours. Cela n’est pas la première fois que je le dis : Passant tellement de temps à l’entraînement, si ce n’était pas avec envie, le temps serait long. Si je devais suivre des plans, des préparations spécifiques, des méthodologies, des process.. je me lasserais vite et j’arrêterais.

Certes, j’ai beau avoir la même envie, la meme naïveté que lorsque j’ai commencé. La course en compétition garde un goût tout particulier. Comme un DST de Chimie un samedi matin au lycée alors qu’on se sait avoir le mieux possible révisé. Le plaisir pris à s’exercer à la maison auparavant n’est pas tout à fait le même que celui que procure la mise à plat de l’examen. Il convient ainsi assez simplement de comprendre qu’un échec en compet’ par le passé peut être une source d’envie pour le futur. Mais je tente de toujours rester sur une envie positive. Je ne veux que regret soit moteur.

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Il y a eu le semi-échec sur l’Ultra Maxi Race, l’abandon sur blessure pendant la Restonica, la fracture sur l’UTMB. J’ai bien vécu ses petites épreuves de la vie d’un coureur. Seule, la fracture.. les doutes sur les capacités à recourir un jour.. les semaines passées en béquilles en septembre et octobre m’ont un peu tapé sur les nerfs. Heureusement que l’envie était là avant et pendant pour se sortir de ce tourbillon néfaste qu’est la loi de l’éternel pessimisme. (Violente cette phrase ^^).

Je suis d’une heureuse nature. L’envie est mon moteur. Mais cela ne suffit pas pour performer. Il y a parfois des petits déclics en plus qui apportent un supplément d’âme. Quelque chose qui déclenche une ressource encore inexploité. Sur cette Lyon SaintéLyon le déclic a certainement été cette petite phrase reçue au Km 4 me faisant doubler : « T’as pas pris assez d’avance ». Aie.. qu’est ce dont ? Aiiiiiiie.. Que se passe-t-il ? J’ai des fourmis dans mon orgueil. C’est rare chez moi.

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C’est une réaction que je ne sais pas gérer. Se laisser guider par l’orgueil me fait peur. J’ai l’impression que c’est tout simplement moche. Sans classe. Sans feutre. Une réaction primaire d’homme blessé dans son ego. C’est moche. Je m’en veux un peu d’avoir trouvé là dedans des forces pour viser plus haut et remporter la course. J’aurais tant aimé gagner le match sans discussion morale. Sans avoir l’impression de gagner 3-0 avec un premier but de l’adversaire contre son camp. Ce n’est pas cavalier. Heureusement que les deux buts suivants furent une reprise demi-volée à la Pavard hors de la surface et une frappe sèche qui vient taper la barre avant d’entrer dans les filets. Je m’en serai voulu si tout n’était venu que de là.

Et il y a pire encore. Il y a ces paroles qu’on voudrait ne pas s’être prononcé dans la tête en comprenant que ça pouvait le faire. « Aller. Continue. Ça va faire fermer deux, trois bouches. ». Mais pourquoi ? Pourquoi toujours être dans l’arrogance d’une vengeance qui n’a lieu d’être. Je pense que c’est dans la nature humaine. Je ne vois que cela. Qu’on ne peut s’empêcher d’avoir ces pensées. Il faut alors trouver fierté dans sa propre réaction suivante, et se dire « Mais ferme bien ta gueule ! T’es pas là pour fermer des bouches. Tu cours pour toi. Oubli ta rancoeur. Soit simplement « d’heureuse nature.. ». Et ça passe. Bien heureusement.

 

5/6 – Ne pas s’enflammer non plus. 

En passant la ligne. Même si on n’y pense pas. J’avais bien sub-conscience de ce que tout cela allait provoquer. Beaucoup, un flot discontinu, de félicitations, de bravos. D’actes sincères de respect. Je n’ai jamais su gérer les compliments. Comme je n’ai jamais su réagir à une chanson d’anniversaire que l’on me chante. Je suis gêné. Timide de cela. Une envie de souffler la bougie le plus rapidement possible, et que l’on passe à autre chose.

J’apprends petit à petit à remercier. Mais c’est si dur pour moi. Je préfère encore amoindrir ce que je viens de faire que de remercier la flatterie. Et pourtant je le sais bien, c’est costaud. La performance n’est pas deguelasse. Je devrais me pavaner de ma réussite. Ce que j’ai fait m’en donne le droit. Mais je n’en ai pas envie. Cela ne m’excite pas. Le succès m’est encombrant.

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Aller. OK. C’est pas mal quand même. Je m’autorise ce manque d’humilité. Mais il s’agit de ne pas s’enflammer non plus. J’ai bien trop peur de prendre cela pour acquis. De me reposer sur ces quelques lauriers. L’envie d’aller plus loin est trop pressante. Je préfère me dire que j’étais à 60 % pendant cette course. Cela me laisse un delta de progression. Quelque chose à aller chercher. Pousser encore du bout des doigts la limite que je sais rencontrer un jour venant.

 

6/6 – Projet panache 2020.

Une saison officielle 2019 qui se termine sur une victoire. J’ai toujours dit que je n’allais pas faire de l’Ultra à ce niveau d’engagement pendant encore des années et des années. Que j’avais quelques objectifs personnels qui me tenaient à coeur. Dont celui de gagner un jour un ultra. C’est chose faite. Difficile pour moi de ne pas ressentir une petite fierté. Je la garde pour moi. Elle m’appartient. Et celle-ci me permet de me libérer de la pression que je pouvais avoir de réussir cela avant d’arrêter.

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C’est donc libéré que je vais courir dorénavant. Libéré, mais loin de ne plus être concerné. Cette réalisation met un point virgule à cette saison. Un point virgule, car l’histoire ne se termine pas là. Un point pour clore quelques problématiques (blessures, déception, …). Un point aussi qui je l’espère un peu, fera comprendre que ma conception de la course, du trail n’est pas celle d’une recherche de la performance à tout prix. Un point pour passer à autre chose. Mais aussi une virgule. Une virgule car je ne veux pas en rester là. J’ai encore pas mal de choses en tête que je veux faire. Réaliser. Une virgule pour tenter plus. Pour risquer d’exploser. Pour se sentir vivant. Pour sûrement aussi un peu se planter.

Année accentuée. Je m’irai courir sans rien sur moi qui ne reluise. Ni statut, Ni titre. Empanaché d’indépendance et de franchise. Ponctuant chaque course de tentative d’éclat. Allant chercher en tout temps le point culminant d’interrogation. Quitte à ouvrir les guillemets à l’abandon. Laissant le principe de précaution en suspension. Sans ce soucier des traïma autour de ceux qui diront qu’il n’aurait pas du tenter. En mettant parfois entre parenthèses quelques principes. Mais toujours le front levé, le bras gauche balançant. La truffe au vent. Recherchant l’exclamation de celui qui le premier passera le point à la ligne.

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Programme trail – Saison 2020 – Casquette Verte – Alexandre Boucheix

SAISON 2020 - Alexandre Boucheix - Casquette Verte

  • (Janvier) OFF – 3 tours de Paris. 105 km Paris (France) 🇫🇷
  • (Janvier) OFF – 24 h du Bois de Vincennes. ? km Saint Mandé (France) 🇫🇷

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UTMB 2019 by Casquette Verte – Fracture au km 50. Abandon au km 123.

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Instant pistaches – Départ UTMB – Copyright Trong Phuoc Banh

Savez-vous pourquoi la lune gravite autour de la terre ? Enfin plus précisément, pourquoi la lune est attirée par la terre, ce qui très schématiquement la fait tourner autour ?

Dans la réalité, la lune dispose d’une trajectoire en ligne droite. Une fuite vers l’avant éternelle. Sans la terre, sans l’attraction qu’elle provoque, celle-ci s’éloignerait et continuerait tranquillement son bonhomme de chemin comme un astéroïde allant se perdre aux confins de l’univers.

Mais cette attraction. Cette céleste attirance ? Comment l’explique-t-on ?

« Bah. Wesh ! La terre c’est un gros aimant quoi. ».

Et bien pas du tout JAMY ! En fait si la lune est attirée par la terre, c’est tout simplement car la terre est au centre d’une déformation créée par sa propre masse.

Imaginez un immense flan (Miam miam) assez mou, mais appétissant. Placez dessus un gros abricot auquel il faudrait encore quelques jours pour mûrir parfaitement. Cet abricot va se positionner au centre, du fait de son poids, formant une pente en sa direction. Si vous disposez alors des petites billes de sucre sur le bord du flan. Ceux-ci seront attirés par le centre. Et peu importe la vitesse ou la trajectoire initiale, celles ci sont tomberont sur l’abricot.

Et bien.. en schématisant cette comparaison universellement pâtissière.. l’UTMB c’est la même chose. Un bel abricot ! Moi. Gentille petite bille de sucre. Courant tranquillement en ligne droite. Je suis attiré par cet UTMB. Mais pourquoi ? « Bah par ce que c’est mythique » – « Bah par ce qu’il y a de la compétition ».. Pffff.. Arguments en carton. Si je suis attiré par l’UTMB c’est tout simplement car l’UTMB est au centre d’une déformation créée par sa propre masse. 

Il faut se laisser déséquilibrer. Il ne faut pas résister. C’est irrémédiable. Quoi que tu fasses. Ou que tu sois. Si l’ultra trail est ton univers. Tu tomberas. Plus ou moins vite. Vers cet astre qui déforme tout. Je préfère dire maintenant « cette masse » qu’est l’UTMB.

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 Départ UTMB – Copyright Alexis Berg

 

1. Avant départ – Douleurs fantômes et douleurs de stress.

Nous sommes mercredi matin. Le départ de l’UTMB sera donné ce vendredi à 18 h très précisément. J’ai déjà reçu un sms confirmant que les packs Canicule & Grand Froid resteront dans le placard. J’attends encore le sms qui doit confirmer l’heure de départ.

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Carré affaires – Copyright Instagram Casquette Verte

Il est très exactement 8h04. Je soulève mon sac, que je pose en bandoulière sur mon épaule droite. Celui-ci me pèse un peu. Certainement le poids de l’envie. Je fixe ma casquette verte sur ma tête. Je ferme à double tour ma porte en pensant que la prochaine fois que je la passe : J’aurai fini l’UTMB. Je ne m’enflamme pas. Mais j’y crois. Je sors de mon immeuble. La porte vitrée se ferme derrière moi. Je fais un pas à gauche. Puis un à droite. 

Et là. Cela couine dans la cheville. Je me hâte de refaire un pas à gauche pour vérifier cette sensation sur le droit. Aie. Ca grince vraiment là. J’accélère le pas. Trois foulées. Et cela ne se décoince pas. Au bout de ma rue. Chaque pas n’a pas réussi à faire passer cette sensation. A chaque étape, je me dit : « Oh. Ca va bien passer à un moment ». Les étapes passent pour rejoindre la gare de Lyon. J’espère qu’à la fin, j’aurai oublié cette douleur. Qu’il s’agit simplement d’une douleur du matin. Comme je peux en avoir de temps en temps.

Il me faut plus d’une heure pour commencer à m’inquiéter. Je suis dans le train. Je fais quelques exercices de proprioception pour décoincer ce mal qui me hante. Rien n’y fait. Mais bordel ! C’est pas possible. Mon entorse en Corse, c’était il y a 6 – 7 semaines. J’ai stoppé l’entrainement 10 jours. Et j’ai pu reprendre mes sorties. J’ai couru jusqu’à lundi soir. Et franchement, je ne ressentais aucun mal. Comment est-ce possible que cela tire maintenant ? Je me suis fait mal dans la nuit ? J’ai fais un faux pas en sortant de la douche ? Rien de tout cela ne me revient à l’esprit.

Arrivé à Chamonix. Installé. Je pars faire un tour. Je croise quelques connaissances. Quelques amis. Je n’arrive pas à me sortir de l’esprit cette douleur que j’ai. A chaque fois, le rituel de la question qu’on se pose avant un UTMB gratte la plaie : « Alors. En forme ? ». A chaque fois, je ne mens pas. Je parle de cette douleur à la cheville droite. Je n’en suis plus au stade de me demander si j’ai vraiment mal. J’en suis au stade de me demander si j’ai vais pouvoir courir vendredi. Tous tentent de me rassurer. Mais rien n’y fait.

Le jeudi se passe de manière encore plus terrible. En me levant, je boite presque. Je suis hors de moi. Comment est-ce possible ? Pourquoi maintenant ? A un jour d’un événement si patiemment attendu. Je ne l’accepte pas. La journée se passe. Durant une discussion à ce sujet avec Julien Chorier, il m’explique avoir vécu cela il y quelques années. Une douleur intense, presque paralysante les deux jours précédents une course très attendue pour lui. Il me parle de « Douleurs somatiques ». Que je verrai. A 2 h du départ, cela partira. A vrai dire, je ne suis pas rassuré. La douleur est trop intense pour cela. Mais savoir que c’est possible. Que cela pourrait aller mieux, me donne une option délivrante. Je la prends. Cela tombe bien. Je suis très stressé depuis mon départ de Paris et mon arrivée à Chamonix. Jeudi soir. Je me détends heure après heure.

Vendredi. 15h. J’ai fini ma sieste. Je m’habille avant de partir remettre mon sac assistance. Je sors de l’appartement. Je fais quelques pas. Je ne ressens plus rien. Je n’ai plus mal. Je préfère vérifier. Je cours 100 m au milieu de Chamonix. Aucune douleur. Incroyable. Je n’y crois pas. Le syndrome Casper existerait-il bien ? 

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Dossard – Copyright Instagram Casquette Verte

7 h plus tard. La nuit est tombée. Je cours bien. Cela fait 4 h que je suis dans mon UTMB. Je ne me rappelle même plus que j’ai pu tant souffrir ces derniers jours. J’ai même mal ailleurs. Avec le recul je comprends que ces douleurs existent vraiment. Ne dit-on pas qu’un fantôme est tout simplement un signe extérieur évident d’une frayeur intérieure ? J’ai un peu du mal à y croire. Et pourtant c’est vraiment ce qui m’est arrivé. Ma douleur n’était pas une douleur physique. Il s’agissait d’une douleur fantôme. Ou plutôt, une douleur de stress. Ce moment passé durant 2 jours a été crevant mentalement parlant. Mais je suis heureux de pouvoir en retirer quelques choses. Déjà, l’expérience. Je sais comment y réagir dans le futur. Ne pas me morfondre. Ne pas m’enfermer encore plus dans une spirale du mal. Et surtout, j’ai compris qu’il fallait que je pratique le stress, comme si c’était un sport. Comme si c’était du dénivelé. Que pour bien le vivre, il faut en bouffer. Bref. Pour la prochaine. On va s’entrainer un peu à la pratique du stress. Ca va être intéressant de s’inventer des exercices pour cela.

Ps : Charles (Mon chef) si tu lis ces quelques lignes – Tu peux y aller.. 1 semaine avant mon prochain ultra. Quand je réduis mon volume d’entrainement physique. Lâche toi. Fait monter la pression ! Je ne t’en voudrais pas 😉

 

2. L’attente. 

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Départ UTMB – Copyright Wider Mag’. 

Rien n’est plus délicieux que l’attente de ce qui parait inéluctable. Je me revois quelques années en arrière. Voyant les photos de ce fameux départ de l’UTMB. Je pensais alors que jamais je n’y serai. Tout simplement, car je n’en n’avais pas envie. Puis. Assez rapidement. Je me disais que ce n’était pas possible. Que c’était trop dur pour moi. Que jamais je n’y arriverai. Et bien c’est cela. C’est bien le fait de savoir que c’est impossible à ce moment là, qui m’a motivé pour le tenter. Il m’a suffit alors de quelques secondes. A regarder cette photo d’un départ. Aucun moment d’admiration. Juste une affirmation à moi-même : C’est impossible. Tu dois le faire. 

M’y voici donc. Je suis totalement serein. Presque habitué. Comme si je l’avais déjà fait. Comme si je l’avais déjà vécu. Rien ne m’affecte. Je suis programmé à ce départ. Cela fait des semaines, voir mêmes des mois que je m’y prépare. Je suis totalement à ma place. J’ai cette sensation d’être dans une vaste salle d’attente. De vivre un moment perdu. Je suis en fait déjà dans l’étape suivante. Je suis déjà 60 km plus loin. Je vis déjà ma course.

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Le mec alerte – Départ UTMB – Copyright Trong Phuoc Banh

Arrivé sous le soleil. Nous sommes baptisé par une petite pluie. Obligé de se mettre debout pour attendre. Je dois stopper ma petite sieste que j’improvisais sur mes genoux. J’ai aussi appris cela. La capacité à faire abstraction dans les grands moments. Me recentrer sur moi même. Sans toutefois m’enfermer totalement.

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Petit dodo tranquillou – Départ UTMB – Copyright ?

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Ready, mais trempé, To Go – Départ UTMB – Copyright Trong Phuoc Banh

La musique d’Evangelis se lance. Je ne l’aime pas. Tout le monde autour de moi semble très concentré. Je ne le suis pas du tout. C’est le cas aussi d’un coureur à droite de moi. Nous avons approximativement le même âge. Nous rigolons un peu ensemble. Je regarde le ciel. Je regarde l’arche. Je regarde la mairie de Chamonix. Mon regard se fixe sur une fenêtre. A celle-ci, une silhouette me dit quelque chose. Mon regard de myope insiste. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas lui. Pas maintenant. Je regarde mes chaussures et je relève ma tête dans la direction de la fenêtre. Je ne rêve pas. IL Y A EDOUARD BALLADUR A LA FENETRE BORDEL ! Rien à fichtre du départ. Rien à fichtre de me lancer dans un 170 km. Il y a Edouard Balladur à la fenêtre les mecs. Combien de fois ai-je imiter son fameux « Je vous demande de vous arrêter » –  » Combien de fois, je l’ai imaginé alpaguant son collègue d’un « Jacques » ? « . 10. 9. Je demande au coureur à ma droite. 8. 7. 6. C’est bien lui ? Hein ? 5. 4. Le coureur à côté de moi a été happé par sa course. Je ne pourrais partager ce moment. Je lui fais un coucou. 3. 2. Il lève la main. Je crie « COUCOU LE TUUUUUURC ». Il ne m’entend pas. 1. C’est parti. Merci Edouard. Merci Edouard de m’avoir fait sortir de cette folie ambiante qu’est le départ.

 

3. Départ serein. 

Il n’y a plus de secret entre nous. J’aime partir à mon allure. Mon allure de parisien. Peu importe les 170 km qui nous attendent après. Les 3 ou 4 premiers km qui s’offre à mon départ se font généralement entre 16 et 18 km/h. Et cela ne m’affecte pas. Cela me met en route.

Sur cet UTMB, je me suis promis de faire attention. De ne pas partir comme un fou. De rester dans les mollets. M’étant plutôt bien placé sur la ligne de départ, je ne marche que quelques centaines de mètres. Le monde autour créé un tube dans lequel le flux s’accélère automatiquement. Après 1 km, cela se libère un peu devant. Je n’ai plus besoin de mes bras pour me protéger d’un coup de bâtons ou d’un écart imprévu. Je peux m’élancer.

Je ne me laisse pas non plus emporter par la foule. J’imprime mon rythme calmement. J’ai de l’espace devant pour doubler. Je ne le prends pas à chaque fois. Je reste dans mon rythme. Je reste dans ma course. Folie ambiante. Tu ne m’auras pas. 

Je croise quelques têtes connues. Je les double en les encourageants. « Bonne course Sissi« . « Bonne course Timothy« . J’obtiens le même encouragement en réponse. Je continue tranquillement mon début de course. Après quelques km, j’hallucine un peu sur le nombre de personnes qui me reconnaissent. Les « ALLER Casquette Verte » me font rire. J’en profite un peu.

En passant au dessus du chemin de fer, pour rejoindre les Houches, je suis en parfaite synchronisation avec le train. Je me décale sur le bord du pont. Je monte sur le petit trottoir afin que le conducteur me voit. Je lui fais de grands signes. « Vas-y KLAXONNNNEEEEE l’ami ! « .. TCHUUUUUU TCHUUUUUUUUUUUUUUUUU ! Parfait. Faire klaxonner un train pendant l’UTMB : Check. 

Arrivé aux Houches. 34 min. 14 km/h. Je n’ai pas regardé ma montre depuis le départ. Je ne la regarde plus du tout en course de toute façon. Je suis heureux, car je sais que maintenant on part. On part dans la montagne. Celle-ci que je suis venu chercher. J’ai envie de m’amuser pendant les prochains kilomètres. De toute manière, la course ne commence pas maintenant. Elle commence bien plus loin pour moi. J’estime qu’elle commence à la bascule du Grand Col Ferret. On enchaine avec quelques km souples. On remonte sur Champex. Et là, il s’agit de faire le point. Si on en a assez gardé sous le pied, cela va le faire. On va même pouvoir accélérer sur les trois dernières difficultés. En revanche, si on y arrive physiquement atteint. Il est clair, que derrière ça va être long. Ma stratégie est donc la suivante : En garder sous le pied jusqu’à la descente sur La Fouly. Me tester à ce moment là. Faire le point à Champex. Et puis derrière. Tout donner. 

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Attaque talon – UTMB – Copyright ?

 

4. Une bouchée des premières difficultés. 

Il s’agit maintenant d’attaquer la première difficulté. Un + 800 suivi d’un – 800 sur 13 km pour rejoindre Saint Gervais. Le parcours est très roulant. La montée se passe incroyablement bien.

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Et ça bâtonne – UTMB – Copyright ?

Le duo Courtney Dauwalter  & Mimmi Kotka me rejoint en se début de grimpette. Je les avais doublé un peu plus tôt dans le plat. Comme à chaque fois qu’il y a des élites un peu connus, il y a un petit troupeau derrière qui pense que courir derrière cela peut aider. Je me retrouve devant elles deux. Je continue à mon rythme. Je ne me laisse pas déstabiliser par la notoriété à quatre pattes. A mi hauteur, je me rends compte que Courtney suit mon sillage. Je trouve cela amusant. S’agissant de Mimmi, elle semble plus en difficulté. Je suis étonné. Cela doit être un jour de moins bien. J’avais le souvenir qu’à Cape Town, elle m’avait totalement déposé dans la première montée. Je n’avais même pas réussi à rester dans ses jambes. La roue tourne. C’est amusant.

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Live UTMB – Copyright Live UTMB

Au sommet, je me retrouve avec Cédric. Cédric est un coureur Salomon du sud de la France. Nous avons fait plusieurs courses ensemble. Généralement, on termine plus ou moins dans les mêmes temps. Nous parlons un peu. Il a reconnu le premier bout du parcours. Cela me permet de lui demander quand ranger mes bâtons. C’est agréable de se sortir un peu de la course. On discute trail.. on discute des sensations.. de l’UTMB certes.. mais c’est un peu comme à l’entrainement. Je profite.

Un peu plus loin. Je me retrouve depuis 500 m avec un coureur qui me dit quelque chose. Je ne suis pas sûr à 100 %. Mais je crois bien que c’est lui. Je n’arrive pas à voir le drapeau de nationalité sur son dossard pour vérifier. « Sorry. You were in Cape Town last december ? » – « Yes » – « And you win ! » – « Yes. What a day ». Je suis impressionné un temps. Janosch Kowalczyk. Mais qu’est ce que tu fous là ? Tu devrais être devant ? Nous échangeons. Il m’explique que c’est son premier 100 miles. Je comprends mieux son départ tranquille. Le message lui a été donné d’en garder beaucoup sous le pied pour aller au bout. Ceci explique cela.

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En balade avec Janosch – UTMB – Copyright ?

Nous allons faire une trentaine de km ensemble. Il ne comprend pas bien pourquoi beaucoup de gens semblent me connaitre sur le bord du chemin. « Why everybody say Casquette Verte ? What is Casquette Verte ? ». Je lui explique toute l’histoire. Cela fait passer le temps. Et je lui parle de MontMartre. Il me fait répéter plusieurs fois le rapport distance / dénivelé… 80 kilometers and 11.650 meters ? Il ne me croit pas. Je lui donne donc rendez-vous à Montmartre en décembre. Voilà. Voilà ce que l’on raconte pendant un UTMB. Pas grand chose en fait. Une discussion simple. Comme si on échangeait un verre après une première journée de classe à la rentrée. On découvre une nouvelle personne. On se présente calmement. On se livre sans trop en donner. Et parfois, le feeling passe. Là, il est passé.

Au final, les 50 premiers km sont passés tout seul. L’énergie des Contamines et de Saint Gervais m’ont enivré. La folie dans la montée sur La Balme m’a éclaté. Et j’ai pu discuté avec pas mal de monde. Tout se passe comme prévu. 2 h pour arriver à St Gervais. 5h20 pour arriver en haut de la croix du bonhomme. Moins de 6h pour arriver aux Chapieux. Bref. Ca roule. Encore 60 km comme ça, et la course peut commencer.  

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Batonite – UTMB – Copyright ?

 

5. Tu doubles, un rocher et crac. 

Je le sais. Cela m’est déjà arrivé plusieurs fois. Sur les Templiers, sur l’Impérial Trail, sur la SaintéLyon. A chaque fois que je me blesse c’est en doublant. Un petit « Je passe à gauche » – Vérification de l’angle mort – Accélération – Je double par le bord du chemin – Distance de sécurité – Reprise du mono-trace. Sur le papier c’est simple. En réalité, cela se passe toujours bien. Mais de rares fois, cela se passe beaucoup plus mal. C’est le cas cette fois.

Nous descendons de la Croix du Bonhomme. En direction des Chapieux. J’ai mis ma PETZL en route car la nuit est tombée. Il fait sombre, mais ce n’est pas encore la nuit profonde. Ce moment où la visibilité est un peu réduite. On pourrait courir sans frontale, mais on devrait un peu ralentir pour bien voir les aspérités du terrain. Avec la PETZL, les aspérités ressortent. Mais pas assez. La luminosité de fin de journée combiné avec le phare de la PETZL créent des zones d’ombre.

Devant moi, un coureur semble ralentir. Je crois qu’il s’alimente. Je n’ai personne derrière moi. Nous sommes sur un petit monotrace qui traverse un champ. Le dénivelé négatif est assez léger pour envoyer un peu de vitesse, mais trop fort pour faire de grande foulée aérienne. Les pas sont rapides, mais proche du sol. Je mets le clignotant. j’averti que je passe à gauche. Léger décalage hors mono-trace. Je passe dans l’herbe. A ce moment, je fais un écart à gauche pour chercher un appui et accélérer. A 15 cm de toucher le sol, mon pied est surpris par une masse. PAAAAAAAAAM. Je ne l’avais pas vu. La masse n’était pas ronde. Elle était à 90° inclinée et rocheuse. Le pied tape droit dedans. Je suis surpris en pleine accélération. Je me vois totalement déséquilibré. Le choc est intense. Je suis propulsé dans les airs. D’autant que ma jambe droite se relevait pour accélérer ma foulée. Je pars en soleil. Dans un réflexe de mes années de judo, je tente la chute avant. Elle fonctionne. Je m’envole totalement et présente un saut périlleux avant de terminer lourdement sur le sol. Je m’arrête net. Je suis sur le dos. Au sol. Mon bras gauche a pris cher. Mon dos aussi. Mais ce n’est pas le plus grave. Je ne le sais pas encore.

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Radio Hôpital de Chamonix – UTMB – Copyright Instagram Casquette Verte

Je me relève seul. Le coureur devant moi ne s’est pas arrêté. J’ai mal un peu partout. J’enlève la terre présente sur mes mains. Mes bras et sur mon T-shirt. J’ai un peu mal au genou gauche, mais ce n’est qu’un coup. Je relance trois foulées. Aiiiiiiiiiiiiiiiie. Bordel. Ca fait vraiment mal là. Je m’arrête. J’identifie que la douleur provient du pied gauche. Plus précisément de mon orteil. Je l’agite un peu dans la chaussure. C’est très douloureux ! Je repars doucement. Je n’appuie pas sur l’orteil. J’arrive à courir. Dans ma tête, je ne sais pas. Je ne sais pas si j’ai vraiment entendu ce crac ressenti dans l’orteil. J’adapte ma foulée en appuyant uniquement sur le flanc gauche du pied et sur le talon. Cela fonctionne. Je suis ralenti, mais dans ma tête, je pense que d’ici 800 m la douleur sera disparue. It’s just an illusionnnnnnn.

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Bon appétit bien sûr – UTMB – Copyright Instagram Casquette Verte

Au ravito des Chapieux. Je pose mon pied sur un banc. J’enlève ma chaussure pour voir les dégâts. Première surprise. Ma chaussette est totalement trouée au niveau de la base de mon gros orteil. Bordel. La torsion a du être assez violente. Elles étaient neuve ma chaussette, et vu combien ça coute, je suis un peu énervé. Sur le moment, je ne pense pas à l’aspect pécuniaire. Mais, je me dis que cela ne va pas être terrible pour courir. Heureusement, je me rappelle que j’ai glissé une seconde paire dans mon sac d’allégement présent à Courmayeur. 30 km à faire avec l’orteil nu dans la chaussure. On va faire avec. Par contre, je vois à travers le trou de la chaussette que la base de l’orteil se colore. Ce n’est pas du rouge vif d’un simple coup. C’est déjà presque violet. Cela ne sent pas bon.

Je repars à froid du ravitaillement. Le col de la Seigne, les pyramides calcaires et l’arête du Mont Favre m’attendent. A froid, après un arrêt de 3 minutes. La douleur s’est intensifiée. Je comprends qu’il y a un réel soucis. Sur le plat, j’arrive à envoyer en adaptant la foulée sur le pied gauche. Je n’arrive pas à accélérer, mais j’avance pas trop mal quand même. Les ascensions se passent plutôt bien. Cela fait vraiment mal, mais j’arrive à faire abstraction. Par contre, dans les descentes c’est l’enfer. A chaque rebond, la douleur est terrible. Cela déclenche dans mon pied une décharge qui me fait bondir. Un sursaut qui ne sent pas bon. Petit à petit. Je comprends. Je comprends que cela va être mission impossible. Je le sais. Je suis obligé de la tenter. 

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Arrivée à Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Arrivé à Courmayeur, 5h30 plus tard. Je me suis fait une raison. Je suis presque sûr que mon orteil est cassé. La descente sur Courmayeur, assez nette et un peu technique me l’a confirmé. J’ai été obligé de diviser par 3 ma vitesse. Chaque appui à gauche est devenu une pause. Je souffre. Je souffre vraiment. Je récupère mon sac d’allégement et je cours jusqu’à un banc. Je veux changer de chaussette. J’enlève ma chaussure, puis ma chaussette. Le violet que j’avais aperçu auparavant s’est intensifié. Il représente une forme de S sur mon orteil. Signe d’un saignement interne. Je le sais. C’est cassé. Mais peu importe. Je veux continuer.

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Changement de chaussettes – Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Des bénévoles du service médical ont repéré que quelques choses ne va pas. Je les rassure. « Non. C’est bon. Pas d’inquiétudes. Ca va le faire. Oui. J’ai mal. Mais ce n’est qu’un coup. » – « Vous ne voulez pas voir le service médical ? ». « Non. Non merci. Ca va le faire. ». Je me tourne vers Tony (qui me fait l’assistance) : « Si je vais les voir. Ils m’arrêtent. ». Ma stratégie de course n’est plus la même qu’au départ. Maintenant, je dois feinter d’aller bien, pour pouvoir continuer. Je ne veux surtout pas être mis hors course. Il va falloir jouer de mes talents d’acteur. Avec le recul, je le dis haut et fort : Ce n’est pas un exemple. Si cela vous arrive. Arrêtez-vous. Allez voir les médecins. Et suivez leurs avis. Je ne veux pas être le contre-exemple qui pousserait à fuir le service médical.

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Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Je repars de Courmayeur après 7 minutes d’arrêt. La douleur est beaucoup trop forte maintenant. J’ai déjà compris que cela ne va pas le faire pour finir. Mais je tente le coup. Il y a un infime espace qui pourrait potentiellement me permettre de finir. Je tente de m’y glisser. Mais, plus j’avancerai. Plus je comprendrai que c’est déjà fini depuis le km 50. Que cette fuite en avant n’a pas d’issue possible. Je fuis. Certes. Mais je fuis vers le précipice de ma course.

 

6. Gestion de l’alimentation & du sommeil. 

Faisant abstraction de mon orteil cassé, je fais le constat que ma gestion de l’alimentation et du sommeil fonctionnent parfaitement. Je n’ai pas de sensation de soif. Je bois très régulièrement (toutes les 10 minutes à peu prés). Je n’attends pas d’avoir soif. Cela fonctionne bien. Preuve en est : Les pauses pipi sont écarlates. Généralement, peu importe la quantité bue, mes urines sont un peu colorées. Là, c’est la transparence qui fait plaisir. J’ai bien anticipé mes besoins. Des gorgées régulières tout au long de la course, et 350 à 500 ml avalés avant de quitter les ravitaillements pour recharger la bête.

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Ravito – UTMB – Copyright ?

En ce qui concerne l’alimentation, j’applique les préceptes acquis avec l’expérience. Du gel entre les ravitaillements. Et du salé sur les ravitos. J’utilise un gel GU pour faire le fond d’énergie ; et des coups de fouet pour rester sur le haut de la courbe. J’arrive totalement à anticiper les moments de moins bien. Je me connais. Je sais quand ca va, ou quand cela ne va pas. Je m’alimente dans le parfait timing pour ne pas tomber dedans. Lorsque je suis bien, j’anticipe la rechute. Je n’attends pas de me sentir un peu affaibli pour avaler un gel. C’est principalement sur cet aspect que je pense avoir grandi. Auparavant, j’attendais le dernier moment pour me sucrer. Le temps que celui-ci agisse dans mon corps, j’avais toujours des moments de moins bien de 10 à 20 min. En anticipant cela, j’arrive à tenir une ligne de sensation assez bonne de manière constante. Pas de pic vers le bas, mais pas non plus de pic vers le haut. J’apprécie vraiment d’avoir su mesurer ma consommation de gels pour rester entre un seuil bas et un plafond sans trop passer de temps au dessus et en dessous.

Dernière aspect de gestion que je constate avoir compris. La gestion de la fatigue. Enfin plus particulièrement du sommeil. Sur mes autres courses qui m’ont fait traverser des nuits, je me suis presque toujours retrouvé à bailler. A sentir un besoin de sommeil. Mais cette fois, rien. J’étais éveillé tout le long. Aucune envie, aucun besoin de dormir. Je pense que c’est le contre effet de ma nouvelle méthode de gestion du sommeil. Deux principes à cela : En course, quand je sens un peu de monotonie, je ne me laisse pas envahir par celle-ci. Je me secoue intellectuellement. Je ne m’enferme pas dans un sujet de pensée. Je chante un peu. Sur l’UTMB, il y a eu du Joe Dassin, du Patrick Bruel et du Macklemore. Eclectique me direz-vous. Ne connaissant pas les paroles des chansons entière, je bute plusieurs fois sur les couplets. Cela me tient parfaitement en éveil.

Deuxième principe. Celui-ci m’a été conseillé par Ugo Ferrari. Dorénavant, 3 semaines avant un ultra je me prive de toutes consommations de caféine. Pas de café. Pas de coca. Rien. Cette privation a un seul but : Etre plus réceptif lors de la course à la caféine. Les gels que je consomme en sont gavés. Si je sens le sommeil venir, je sais qu’un gel, ou dans les cas les plus limites : un grand café en ravitaillement. Et hop. C’est 8h du matin dans ma tête. Je ne vous conseille pas de tenter cette méthode sur un ultra important, sans avoir testé votre réaction sur des courses plus courtes. Et oui, le café qui va vous éveiller en ultra après une longue privation, peut aussi déclencher quelque chose de plus compliqué à gérer pour un coureur. Un bon gros problème digestif. J’avais vécu cette expérience sur le Trail du Mont D’Or quelques mois auparavant. J’avais compris, que le dosage était important et qu’il ne fallait pas forcément en prendre un dès le départ. Cette fois-ci tout a parfaitement fonctionné. En m’arrêtant. Après 18 h de course, j’étais toujours complètement alerte. Ce n’était pas la course, et la concentration nécessaire qui me faisait tenir. C’était vraiment la re-découverte par mon corps de la caféine.

Cela fera peut être baissé le cours de bourse des producteurs de café à long terme. Mais franchement, une fois bien réglé, cette méthode m’a convaincu. J’en ferai l’option pour chacun de mes prochains ultras.

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1 h après l’abandon ^^ – UTMB – Copyright Tony 

 

7. Découverte de l’assistance. 

Ca je pense que vous l’avez déjà bien compris. Je hais du profond de moi même les conseils. Je fuis les diseurs de « Tu devrais … ». Je déteste cela. Ce n’est pas que je pense avoir raison. Loin de là. C’est tout simplement car j’ai la volonté puissante de ne pas être redevable. Cette phrase de Cyrano résonne en moi « Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul ». Je ne sais pas pourquoi. Mais dans tout ce que je fais, course ou hors course. Dans le sport, comme dans la vie, je ne veux surtout pas me retrouver dans la situation de devoir remercier. Je ne veux vraiment pas être redevable. Je considère que le mérite est solitaire. Qu’aidé, qu’accompagné, qu’assisté.. c’est se résoudre à la simplicité.

J’ai déjà craqué à l’appel des bâtons. Et au fond de moi-même, c’est une déchirure. J’ai l’impression de rompre avec mes valeurs. Alors, lorsque Tony m’a proposé de faire mon assistance sur l’UTMB, je lui ai tout d’abord fait fin de ne pas recevoir. « On verra ». Et c’est au final, presque pour lui faire plaisir que j’ai accepté.

Notre programme était simple. Je lui ai fourni ce que je pensais avoir besoin alimentairement parlant pour les ravitaillements de Champex – Trient et Vallorcine. Cela n’allait pas non plus me faire gagner des minutes entières donc j’ai cédé. Pour moi, l’assistance c’est comme une drogue à laquelle on s’est toujours refusé de gouter. Il faut tout tester dans la vie, donc j’ai accepté son assistance. Mais je n’ai pas non plus poussé le vice en lui demandant des choses très précises. Un objectif de timing. Ou un besoin que je ne pourrais pas zapper. Savoir que je n’étais pas obligé de m’en servir, m’a permis de quelque peu garder mes valeurs vierges.

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Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Après cette expérience qui n’a pu être totalement testé (m’étant arrêté avant de l’avoir vraiment utilisé) ; j’ai compris quelques faits :

Avoir une assistance, c’est déjà découper un ultra en course à étapes. On ne fait plus une course en autonomie complète, mais on fait plusieurs courses d’un point à un autre. On découpe le long vecteur. Ce découpage rend les choses tellement plus simple. Il ne faut plus faire 170 km sur l’UTMB. Mais plutôt 50 + 30 + 45 + 20 + 10 + 15. Cela change totalement la linéarité de la course. C’est un peu dommage je trouve. On perd cette notion de course longue distance. Mais on ne va pas se le cacher, cela rend le tout tellement plus digeste.

Savoir que quelqu’un t’attend, te motive à accélérer un peu. Je n’avais pas donné à Tony de temps de passage précis. Je lui avais dit que j’allais faire ma course au feeling. Je n’avais donc pas cet impératif. Je n’avais pas de rendez-vous. Pour autant, je me suis plusieurs fois dit : « Dépêche toi. Il va t’attendre ». Savoir que l’on est attendu. Cela créé une pression supplémentaire. Il faut savoir la gérer pour ne pas faire n’importe quoi. Mais psychologiquement cela aide. On n’avance pas pour soi. On avance pour quelqu’un d’extérieur à sa propre course. Et ça. Ca change pas mal de choses dans sa conception de la course.

Enfin, avoir une assistance c’est aussi parer à l’imprévu. Ah. Cet imprévu. Celui qu’on déteste sur le moment, mais qui fait la saveur de l’ultra. J’avais beau avoir fourni à Tony quelques sacs bien précis, nomenclaturés des noms des différents ravitaillement. Je n’avais pas non plus prévu de surplus « au cas ou… ». Enfin si, j’avais glissé quelques petits gels si cela allait vraiment mal. Mais au final, j’ai compris que de savoir que quelqu’un n’est pas loin, avec tout ce qu’il faut pour palier à l’imprévu cela me permettait de courir plus sereinement. L’esprit plus léger. Sans avoir à trop réfléchir à ce qui est nécessaire sur le moment. Sans lesquels cela serait compliqué de terminer.

Au final, c’est très certainement cela l’assistance en ultra. C’est s’enlever un poids. C’est avoir une assurance. C’est réduire le risque. Et très franchement, je pense que cela aide énormément. J’ai beau penser que cela retire du panache à cette épreuve. J’ai beau me dire que ce n’est plus un ultra, mais une course à étapes. Je pense que si je reviens sur pied, lors de mon prochain 100 miles, je monterai un programme d’assistance ultra précis. Avec des temps de passage strictes. Je pense que cela va m’aider à performer. Enlever de la saveur certes. Mais mon objectif maintenant n’est plus forcément dans la saveur. Il se dirige irrémédiablement en direction de la performance.

 

8. Seuil de résistance à la douleur. 

Avoir l’ensemble des muscles de ses jambes tétanisés et devoir faire 50 km en marchant (UTCT) : Check.

Se faire une tendinite au releveur droit et devoir continuer sur 90 km en souffrant (Ultra Maxi Race) : Check.

Avoir le bide en vrac. Perdre la première place et résister au retour du top 5 sur 25 km (Trail du Mont D’or) : Check.

Faire 70 km d’UTMB avec une fracture à l’orteil gauche. Ca. Ca, je n’avais jamais fait.

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Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

D’accord, j’ai un haut seuil de résistance à la douleur. D’accord, j’ai appris à gérer les souffrances. Certes, je suis habitué à serrer les dents. A me dire que la douleur c’est dans la tête. Mais là, sur mon UTMB. Je suis passé à un autre niveau de gestion de la douleur. 70 km sur une fracture bordel. Je n’arrive même pas à y croire. On me le dirait d’un autre coureur. Je pense que je n’y croirais pas. Ou à la limite, je me l’imaginerais titubant. Luttant contre la douleur. Criant sur les sentiers. Mais pas du tout comme j’ai pu le vivre.

Qu’on se le dise. CE N’EST PAS UN EXEMPLE. IL NE FAUT SURTOUT PAS SE DIRE : S’IL L’A FAIT. JE PEUX LE FAIRE. Je pense que c’est réellement une grosse erreur. Maintenant que ça c’est dit, je peux vous raconter. Je n’ai jamais eu aussi mal, physiquement parlant de ma vie. Quand on court, appuyer sur le gros orteil est tout simplement essentiel. Que cela soit pour l’équilibre de votre corps, ou pour la propulsion. Le gros orteil c’est juste la direction assistée de votre foulée. Des milliers de pas de souffrance. Des milliers d’appuis déclenchant une terrible douleur de l’orteil jusqu’à la moelle épinière. Des centaines de bonds forcés par une pique nerveuse. Des dizaines d’accrocs avec des rochers, qui font disparaitre les centaines de mètres à se remettre dedans.

Bien évidement, la douleur c’est dans la tête. Bien évidement, je maitrise ce concept. Mais avec une fracture, ce concept est presque inapplicable. La seule solution a été de compenser. Courir sur une jambe. Appuyer fort sur le bâton gauche. Chercher tous ses appuis sur l’extérieur du pied. Mais cette compensation ne marche qu’un temps. Après 30 ou 40 km à courir comme cela. Vous avez mal au niveau de la fracture et cela s’accentue avec le temps. Mais le pire c’est que maintenant vous avez aussi terriblement mal sur les endroits de compensation.

D’abord, mon bras gauche. A force d’appuyer dessus, je me suis déclenché une petite tendinite très douloureuse de l’épaule au coude. Ensuite, mon talon gauche. A bordel, j’ai même pas envie de vous décrire la douleur que j’ai vécu après 50 km de bourrinage dessus. A la fin, j’avais presque moins mal en appuyant sur la fracture à l’avant du pied. Et enfin, le flanc gauche du pied. Alors là.. là.. c’était au dessus de tout. Une semaine plus tard, mon orteil est toujours douloureux. Mais le flanc c’est juste atroce. Je n’arrive pas à discerner si la douleur est osseuse, tendinaire ou c’est un simple énorme bleu qui met beaucoup de temps à disparaitre. J’en suis presque à me demander si je n’ai pas une fracture aussi de ce côté là.

Bref. J’ai crié. Mais réellement. J’ai hurlé de mal. Les « ressaisis-toi » ne servait à rien. J’avais besoin d’exprimer ce mal. Au final, je n’ai qu’une seule conclusion à cela. Avec un peu de recul j’ai compris. J’ai compris que seule la douleur peut éclairer l’esprit de ses erreurs. J’ai fait une erreur. D’abord physique en ne m’arrêtant pas. Mais ensuite une erreur humaine. Celle de refuser que ce n’est plus possible. Et la douleur était là pour me le rappeler. J’avais beau me dire « Bon.. tu le sais.. C’est certainement fracturé.. ta saison est terminée.. autant tenter de finir ». C’était une erreur. J’apprends pour plus tard. Si plus tard, il y aura.

 

9. Gestion de l’abandon. 

Mes deux dernières courses : Deux premiers abandons. Le constat devrait être sans équivoque. Il y a quelque chose qui cloche. Et bien, je ne le crois pas. Je pense réellement que ces abandons ne sont pas des résultantes d’une mauvaise préparation, ou d’une faiblesse.

Ce sont selon moi, uniquement deux faits de course. Deux hasards qui font partie prenantes de l’épreuve qu’est l’ultra.

Le premier en Corse était simplement un appui mal assuré sur une racine. Vlaaaaam. La cheville qui dérape. Et Biiiiiim. L’entorse.

Le second, un rocher mal placé.. une foulée trop proche du sol.. Et Staaaaaak.. La fracture. Impossible pour moi de me remettre en question. C’est abandons ne viennent pas de moi. J’en suis sûr. Je suis toujours le premier à identifier mes erreurs. Là, il n’y en a pas eu. Cela fait partie de la course. C’est normal. Et si c’est les premières fois que cela m’arrive c’est purement par hasard. Mon système n’a pas évolué. Les statistiques se sont simplement appliquées. A haut (bon) niveau. Ne pas se blesser, résulte selon moi à 95 % de sa méthode, de sa façon de s’entrainer. Et à 5 %, c’est la variable hasard. Et cette variable s’applique. Forcément. On ne peut l’éviter. A moins de réduire la quantité de course. Et ce n’est pas dans mon logiciel, ce n’est pas dans mes envies. Je dois passer par là. Cela fait partie de mon entrainement au final.

Pour en revenir à cet abandon. Je suis déçu. j’ai toujours attendu mes premiers abandons. Je les imaginais terribles. Pleins de sens. Pleins de choses à en retirer. J’espérais ces abandons atroces, cruels, malveillants. Là, rien du tout. Pourquoi ? Tout simplement, car selon ma façon de voir les choses, je n’ai pas abandonner. Pour moi, un abandon c’est quoi ? C’est quand tu ne veux plus. Quand tu refuses d’affronter l’épreuve. Dans ces deux cas. Et plus particulièrement sur l’UTMB. Ce n’était rien de cela. Je n’avais plus d’épreuve à affronter. Ma course s’était arrêtée au km 50. J’étais déjà mort. Un mort-vivant. Mon épreuve était de continuer. Je l’ai fait. Jusqu’à être enterré 70 km plus tard. Mon abandon, je l’ai vécu. Je ne l’ai pas subi. Et je le regrette un peu.

Vivement que je le rencontre. Ce bel. Ce beau. Ce terrible abandon. J’espère en pleurer. J’espère qu’il me foudroiera dans le plus profond de mon être. Que j’en serai marqué au fer rouge. Que des semaines passant, je n’aurais plus le goût de rien. Que des mois par la suite, j’aurais peur. Je flipperais que cela arrive à nouveau. Aaaaaaaaah. Ca va être bien de vivre cette épreuve. Ca va être une vrai expérience. Pas un simple moment. Un vrai instant atroce pour le soi. Qui dure, et qui dure encore. Que l’on n’efface pas avec de la volonté. Vivement, cet abandon indélébile.

Certains, beaucoup plutôt, m’ont félicité à l’arrivée et par la suite. « Bravo quand même ». « 70 km sur une fracture.. WOUUUUAHouuuu ». Ne m’en voulez pas. Mais je déteste cela. Un bravo, c’est quand on réussit pour moi. Des félicitations dans l’échec, c’est dire à la maitresse de maison qui a complètement raté une cuisson « Huuuum. Je me régale. ». Même si ce n’est pas volontaire de la part de certains, c’est totalement hypocrite. Et de l’hypocrisie, on ne se nourrit en rien. C’est un placebo que de se contenter de félicitations dans un échec. Un échec doit rester un échec. Et on ne doit pas l’encourager, le féliciter. On doit le pointer du point. Le gratter. Le mettre en avant. Si on veut vraiment en ressortir quelques choses par la suite. Accepter ces bravos, c’est se voiler la face. 

Km 123. Après avoir retapé l’orteil dans un rocher. Impossible de poser le pied par terre. C’est fini. Je viens de comprendre la différence immense entre un trouble et une évidence.

 

10. Chamonix : DisneyLand du Trail. 

Ok. L’UTMB. C’est l’UTMB. Comme je le disais dans l’introduction, L’UTMB est au centre d’une déformation créer par sa propre masse. D’accord, on est heureux d’y être. Certes c’est un graal. Tout à fait, il y a des personnes du monde entier. Et c’est un peu troublant la première fois qu’on vient. Comme la première fois qu’on rentre dans un parc à thème.

Oui. J’aime l’UTMB. Oui. J’ai déjà envie d’y retourner. Mais, franchement, entre nous, j’ai trouvé l’atmosphère personnellement très décevante. Je ne sais pas si c’est l’habitude d’une troisième année sur Chamonix en période d’UTMB. Mais sincèrement, c’était fade. Enfin, pas fade. Mais les artifices ne font plus effets. J’ai l’impression que l’autour de la course crée en moi une sensation de dédain. C’est peu être du snobisme de presque élite. Sur beaucoup de course, en regardant les membres du peloton, je suis heureux pour eux. Mais sur l’UTMB, l’humeur générale me pousse à ne plus aimer cela. J’ai l’impression que tout le monde veut sa part d’UTMB. Une volonté égoïste. Aucun partage. L’univers du « moi je » entre deux montagnes.

J’ai l’impression d’être un poisson d’eau douce qu’on plongerait dans un aquarium d’eau de mer. L’atmosphère de cette eau salée m’irrite. Les crevettes gravitent, se laissant balancer par les courants. Les crustacés s’enferment dans leurs coquilles, gardant un oeil sur l’extérieur. Quelques requins naviguent nonchalamment. C’est leur droit. Mais par contre, les 8000 personnes autour qui regardent l’aquarium. Ca non. Ca ce n’est pas supportable. Non monsieur. On ne touche pas les parois de l’aquarium pour que les poissons bougent. Non monsieur. On ne lance pas des pronostics sur de potentiels vainqueurs par ce que les médias les ont mis en avant. Non monsieur. On ne considère pas cet aquarium comme un spectacle payant dont vous avez acheté toutes les places au premier rang.

Ce sentiment est difficile à décrire pour moi. Mais j’ai l’impression que participer à l’UTMB. C’est un peu comme être un animal sauvage et gratter à la porte d’un Zoo pour s’y faire enfermer. Jusqu’à là, pas de problème. C’est un choix. Mais par contre, se taper les visiteurs qui jettent des cacahuètes, et des avis non discernés ce n’est pas acceptable. Sur la diagonale, j’avais vraiment vécu une sensation de fête et de respect. Là c’est plutôt : « Venez voir les débiles »… « Oh regarde celui-là, il a une tenue toute rouge »… « Je suis sûr qu’il va pas finir celui-là »…. C’est très certainement un ressenti de vieux con. Mais c’est le ressenti que j’ai eu. Le public est devenu plus important que les coureurs. Je pense même que l’organisation met plus de choses en oeuvre pour l’accompagnement, que pour les coureurs. Nous sommes peut être en train d’oublier qu’une course c’est avant tout des coureurs. J’ai beaucoup de respect pour l’épreuve, pour les personnes qui font que c’est possible. Mais nous sommes en train de tomber dans la construction d’un rendez-vous annuel, qui ne se révolutionne pas, qui perd un peu en saveur. A trop vouloir contenter tout le monde.. A trop vouloir donner sa part du gâteau à chacun… Ce gâteau devient fade.

J’espère que ce n’était qu’une sensation momentanée. Je crois vraiment que la perte de valeurs n’est pas une chute irrattrapable. Remettre au centre : la performance, le respect du dépassement de soit. Remettre au centre les coureurs n’est pas impossible. Peut-être faudrait-il éviter que l’UTMB ne devienne un salon du trail, un disneyland du trail autour d’une course. La course doit être remis en avant. Les supporters doivent rester à leur place. Les commentateurs peuvent commenter, mais je les remercierai de ne pas affirmer.

Quand en partant de Chamonix, je me suis dit que cela me donnait envies de montre un ultra qui me correspond plus. Plus dans le système D. Plus orienté autour du coureur. C’est que cela ne sent pas bon. Je reviendrai bien sur. Car je suis faible, et que la course me fait encore rêver. Par contre, s’agissant de l’évènement. De ces « à côté ». Pitié. Ralentissez sur la présence des marques. Ralentissez sur les lancements de produits. Ralentissez sur les produits dérivés. Ce que les gens aiment dans les kermesses. Ce sont les moments forts de celle-ci. Les « à-côté » ne sont que des parasites. Pas du tout des services supplémentaires ajoutant du gout.

 

11. TOP 50. Envisageable. 

Tout le monde ne peut pas habiter la place du village. Je l’ai toujours su. Je ne m’imagine tout de même pas pouvoir approcher d’un Top 30. Pouvoir approcher de quelques heures les premiers. Mais franchement, un top 50 c’est prenable.

Sur les 50 kilomètres avant la fracture. Et même sur les 70 km suivants. J’ai pu voir qu’avec ma préparation. 100 miles, en courant et marchant rapidement. Sans pause. C’est possible. Cela me confirme une chose. Que ma méthode d’entrainement.. avec un peu de volume OK. tout au feeling et sans trop de dénivelé. Ca le permet. J’ai bien en tête que la descente, ce n’est toujours pas ça. Mais j’arrive maintenant à assez économiser mes jambes pour en avoir sur les derniers tiers de course.

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Sortie de ravito – UTMB – Copyright ?

Je repars de zéro pour les inscriptions à l’UTMB. C’est reparti pour un cycle de trois ans logiquement. Mais j’ai presque déjà en tête l’objectif que je me fixerai : Entre 25 et 27 h. Je pense que c’est faisable. Vraiment. Avec une préparation un peu plus adaptée. Sans bien évidemment l’aléa blessure. Et en bossant à fond sur la technicité et sur les descentes.

Cet échec m’a rappelé qu’on est pas éternel. Si j’arrive à revenir, cela sera pour performer. Si je reviens, on va enlever quelques temps la notion de plaisir tout le temps, pour y mettre de la rigueur, de la sueur, du travail et toujours autant d’envie.

 

Place à la rééducation. 

Bon. Tu prends un chêne centenaire. Tu peux mettre tout l’engrais que tu veux. Il faudra toujours 100 ans. Voilà où j’en suis. Ma fracture me met à l’arrêt total pendant 6 semaines au minimum selon les médecins.

J’ai une volonté totale de tenter de revenir. D’abord à la course à pied. Par la suite à mon niveau. Je sais que cela va prendre du temps. Beaucoup plus de temps, certainement, que ce que je pense actuellement d’ailleurs. Mais, je vais tout mettre de mon côté pour y arriver. Mon protocole médical sera ma nouvelle ligne de conduite. Tant qu’un médecin, voir plusieurs, ne m’auront pas dit (et prouvé) que c’est totalement impossible. Que je ne pourrais jamais revenir à mon niveau. Alors j’y croirai.

Je pense que cette expérience va être follement intéressante. Quand je me lançais dans le trail, et surtout dans mes premiers ultra ; je me demandais vraiment : Est ce que c’est possible de le faire ? Maintenant, l’épreuve est différente. La question aussi : Est ce que c’est possible de revenir ? – J’espère le prouver. Me le prouver !

Au niveau planning. C’est simple. J’annule l’Impérial Trail (mi sept) – L’Ecotrail de WickLow en Ireland (fin sept) et la Diagonale des fous (mi oct). J’espère avoir le droit, et la possibilité physique de reprendre doucement courant octobre. Si cela est possible, je tenterai alors de me préparer sur novembre afin de pouvoir m’aligner sur la Lyon SaintéLyon (153 km) fin novembre/début décembre. Avec l’ambition de la gagne totalement abandonnée, mais simplement le besoin d’en finir pour me sentir vivant à nouveau.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

25 H DES 25 BOSSES – 8 tours – 129 km – 7040 m D+ – 24 h 06 min.


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Vous retrouverez ci-dessous 7 petits textes que j’ai écrit pour parler de mes #25hdes25Bosses.

Une aventure comme je les aime. Pas de dossards. Simplement une idée fixe. Courir pendant 25 h sur le circuit des 25 bosses à Fontainebleau. Chaque tour représente 16 km et quelques 880 m D+. Départ un samedi matin à 10 h. Pour une journée entière de bonheur et de course. J’ai adoré. Totalement. Vraiment entièrement. C’était juste bien. Juste la sensation de profiter à fond. D’être à ma place. Dans une forêt. Parfois seul. Parfois accompagné. Mais au fond, ce qui compte. Ce qui compte vraiment. C’est simplement de l’avoir tenté.

1/7 • Prendre du plaisir. Etre apaisé. 

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Cela peut paraître abstrait ou complètement loufoque pour certains, mais j’ai réellement pris du plaisir à courir pendant plus de 24 h dans le circuit des 25 bosses. Je parlais de « défi » avant de me lancer dedans. Mais pendant, et surtout après je n’ai pas du tout ressenti cela comme un challenge. C’est comme si c’était normal en fait. Une sortie un peu plus longue que d’habitude certes. Mais je n’ai pas ressenti le poids de la performance à réaliser ou en réalisation. J’ai tout simplement profité du moment que je vivais. Sans chichi. Sans aucun stress. Assez primairement, je pense que cela vient du fait de ne pas porter de dossard. Mais en grattant plus loin, je me rends compte que c’est un ensemble. Un physique suffisant, une bonne gestion de l’alimentation sans trop se prendre la tête, une foulée rythmée mais pas non plus bourrine et des appuis à la recherche constante d’économie… bref, une bonne base pour poser l’équation du plaisir sur ce genre d’aventure. Il faudrait le refaire tous les weekends, que cela ne me lasserait pas. Ce n’est pas de la planitude. Ni la sensation d’apesanteur. J’étais très loin de cette ivresse que je peux avoir sur certaine course. Là, ça avait réellement un goût de vérité.. un goût de repas du Dimanche en famille.. une odeur de feu de cheminée à la campagne.. un plaisir vrai. Quelque chose de fondamentalement apaisant 😌.

 

2/7 • Un terrain technique. Courir avec ses yeux.

 

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Pour ceux qui connaissent le coin, je n’ai pas besoin d’utiliser de flopée de mots pour décrire ce que leurs genoux, cuisses, bras, épaules et mains ont déjà vécu sur ce circuit. Pour les autres, imaginez des séries de 25 côtes de 30 à 60 mètres de dénivelé.. séparées par des sentiers et des monotraces couverts d’épines de pins, de maquis et d’un peu de sable. Ajouter y un passage pas plus large que le périmètre de vos bras, zigzagant entre des rochers de bonnes tailles. Pour le revêtement, cailloux.. cailloux.. et recailloux. Certains aggripant, d’autres recouverts d’une poussière glissante et d’autres encore aussi polis que le parquet de la galerie des glaces. Vous y êtes ? Parfait. Ne manque plus que 2 ou 3 passages roulants pour se relancer.. et une ambiance escalade de temps en temps. On ne prépare pas un UTMB sur ce parcours. On ne prépare pas de courses en particulier d’ailleurs je pense. Il y a certes quelques 900 m de dénivelé par tour. Mais ce n’est pas tant le dénivelé que la technicité qui rend se parcours intéressant. Chaque minute, la concentration doit être pointue. Chaque seconde, les appuis doivent être calculés et calculés encore. Plus que les jambes, c’est le corps dans son ensemble qui doit se mouvoir sur ce circuit. Avant de courir avec ses pieds, il faut courir avec ses yeux 👀.

 

3/7 • Un tour seul dans la nuit. 

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Je me suis retrouvé seul. Dans mon petit short. Avec mes petites chaussures. Et ma petite PETZL. C’est très étonnant de se retrouver seul en forêt la nuit. Sans aucune lumière autre que la frontale. C’est très différent des nuits sur un ultra où l’on sait très bien qu’à moins de 10 km devant ou derrière il y a un ravitaillement avec du people. Une sensation réelle de solitude. Profonde. Ce genre de solitude qui pèse. Qu’il faut savoir gérer. Pour ne pas craindre du sombre. Pour ne pas avoir peur de ce que l’on ne peut pas voir, mais que l’on peut si facilement imaginer. C’est très angoissant de passer entre deux pans de rochers sombre et froid. De se sentir compressé par ces masses rocheuses inamicales. Cela fait réfléchir de sauter des crevasses en sachant que personne n’est à des kilomètres. Cela fait se sentir libre d’être emprisonné dehors. Il y a bien quelques animaux qui vous rappellent la vie. Les deux yeux de renards qui brillent dans le faisceau de la PETZL. Le bruit des chouettes qui décollent à votre passage. Mais c’est troublant. Comme c’est difficile de ne pas faire de crise d’anxiété. Comme c’est dur de ne pas s’imaginer ce qui pourrait se cacher dans la partie sombre. Hors de son champ de vision éclairé. J’avais peur de me confronter à cet aspect avant de me lancer ce Samedi. J’y ai pensé pendant plusieurs semaines avant. Je suis content d’avoir vécu cette expérience et d’avoir su garder le contrôle sur cette frayeur que je pensais me faire. Ne pas avoir sombré. De n’être pas partie dans une frénésie anxieuse. Être resté focus sans s’enfermer dans une sur-concentration. Bref, un beau voyage intérieur au bout de la nuit 🌚.

 

4/7 • Un peu de logistique. 

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Je n’aurai pu faire ce délire des 25hDes25Bosses sans un minimum de logistique. Rien de fantastique hein. Mais voilà les quelques appuis sans lesquels je n’aurais pu y arriver. Tout d’abord :

(1) Mon coffre de ravito. J’ai placé au début de ma boucle une box (1m^3) de rangement. Dans laquelle se trouver : 18 L d’eau, 3 L de coca, des gels, du saucisson, des pistaches, du comté, des affaires de rechange, des batteries, une PETZL de rechange et un peu de matos médical. Ma plus grande crainte : Que des sangliers alléchés par l’odeur décident de se faire ma box’ en mon absence. Merci les gars de ne pas être passés 🐗.

(2) Du balisage pour la nuit. Si vous avez déjà fait les 25 bosses de jour, vous savez à quel point il est déjà facile de se perdre en suivant le marquage léger Rouge. Alors de nuit, je ne vous raconte pas. Merci à l’UT4M pour le prêt des balises (x160) ! Et surtout merci à Ronald, Claude et son acolyte pour le balisage – débalisage. À charge de revanche 😉 (3) D’un point de vu sécurité, je suis resté léger sans toutefois me mettre en danger. Pour le froid de la nuit, j’avais en permanence ma Salomon Bonatti   sur moi ainsi qu’un t-shirt manche longue et une couverture de survie dans mon sac. En cas de pépin, mon portable – son chargeur et une batterie portable afin de prévenir les secours. Enfin, merci à Guillaume pour le prêt de sa balise GPS qui en plus de permettre (presque facilement 😂) de me retrouver pour courir, m’aurait permis de balancer un signal SOS en cas de gros pépin. Je n’ai pas fait la traversée d’un 7000 au fin fond d’un territoire inconnu et hostile certes. J’étais à Fontainebleau.. on va se calmer ^^. Mais la sécurité était tout de même un facteur à prendre en compte pour se lancer dans ce genre de délire sans trop se mettre en danger.

 

5/7 • L’ambiance et le partage. 

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9 h 25. Mon père me dépose gentillement en voiture. Nous sommes sur l’A6. Et là, je me dis « Et si personne ne vient. Ça va être long 25 h tout seul ». Heureusement, dans la réalité, beaucoup sont venus m’accompagner. Je l’ai déjà beaucoup dit, je n’apprécie que peu le fait de courir en groupe. J’aime la solitude du coureur. Et j’ai cette satané tendance à faire le fanfaron quand je cours en groupe. Bref. C’est pas mon truc. Mais quand on se lance sur ce genre de délire, être accompagné, c’est franchement agréable. Au final, je pense que 25 personnes différentes m’ont accompagné. Nous n’étions jamais plus de 5 ou 6. Et la plus part du temps 3 ou 4. Parfois, je me mettais devant. Parfois je restais un peu derrière. Il n’y avait pas de règles. C’était au Feeling. Comme souvent. Certains se sont vu rapidement distancés (désolé) et d’autres ont dû baisser leur rythme pour traîner le zombie sur les dernières heures. Parfois, nous ne parlions plus. Pendant des dizaines de minutes. Ce genre de silence qui dit « Pas besoin de parler. On sait ce que l’on est en train de faire là. Ensemble. » D’autres fois nous nous échappions autour de sujets très trail. Et puis on se racontait nos vies. Nos souvenirs. Du partage à l’état brut. Il y a eu peu de chanson.. mais je me rappelle d’une bosse montée au lever du soleil orange brûlant. Me voilà chantant « Ingonyama bagithi baba – Sithi uhhmm ingonyama – Au matin de ta vie sur la planète – Ébloui par le dieu soleil – À l’infini, tu t’éveilles aux merveilles – De la terre, qui t’attend et t’appelle… » Et quelques bosses plus loin « Putin.. tu m’as foutu le roi lion dans la tête ». C’est ce genre de petits trucs qui était Cool. Et il y en a eu pleins.. Se retrouver dans la nuit.. Avec deux personnes qui ne se connaissent pas. Et qui ont tous deux leur femme enceinte de 8 mois et une / trois semaines qui les attend à la maison. Situation étonnante. Je suis dans la Forêt de Fontainebleau. Il est 4 h du matin. La fraîcheur de la nuit est bien là. Mais ces deux personnes ont décidé de m’accompagner alors qu’à tout moment ils peuvent être appelés pour leur grand moment à eux. Et après on dit que c’est moi le taré.. au final, j’aurai pleins de choses à raconter sur l’aspect aventure humaine. Sur la bienveillance qui m’a été portée et sur celle que j’ai aussi tenté d’avoir avec mes accompagnateurs. Une chose est certaine. Je les remercie. Seul. Je serai aller au bout. C’est certain. Mais seul je n’aurai pas pris autant de plaisir. Ça me donnerait presque envie de recommencer juste pour cela. Et ça c’est Top.

 

6/7 • Statistiques & perf’. 

 

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Je déteste la fausse modestie. J’ai pour exemple Dutronc (Jacques) en la matière. Ce petit bout d’homme définit merveilleusement bien ce qu’est la modestie : « C’est l’art de se faire louer une seconde fois ». J’aime ce panache qu’il y a dans la vanité. La vanité a été mise au pilori par la bien-pensance (Bordel.. fait avoir de sacré bollocks pour sortir cette phrase 😂). C’est à vomir pour moi. Je n’aime pas en faire des caisses. Et j’essaie de garder les pieds sur terre. Mais quand j’estime que je fais un truc bien, que pour moi, selon mes critères, c’est « Quand meme pas mal ». J’aime bien pouvoir le dire. Alors Bon.. 24h06 minutes – 8 tours des 25 Bosses – C’est quand même pas mal.. c’est pas ouf non plus hein.. mais c’est pas mal ». Trêve de blabla.. On passe aux chiffres : Mes temps au tour : Tour 1 = 2h20 / Tour 2 = 2h10 / Tour 3 = 2h33 / Tour 4 = 2h43 / Tour 5 = 3h09 / Tour 6 = 3h16 / Tour 7 = 3h14 / Tour 8 = 3h01 – Bref, cela fait une moyenne de 3h au tour. On est bien loin du record officieux (apparemment autour de 1h30). Mais c’est assez dur de trouver des statistiques officielles et d’être sur que le parcours a été parfaitement respecté. En tout cas, je crois que je prends les 3 records suivants (si vous avez des infos de meilleurs performances, je suis preneur 🙂) : Record du nombre de tours (x8) – Record du nombre de tours en 24 h (x8) – Et record de temps sur 8 tours (24h06). Cela ne sert pas à grand chose. Mais au mieux ça a le mérite d’exister. Et puis surtout ça donnera peut être envie à d’autres de péter les scores. Ce qui est selon moi complètement faisable. Je suis presque impatient que cela arrive d’ailleurs 🙂

 

7/7 • Et puis quoi maintenant ? 

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Dimanche 31 avril. 12h06. Je viens de finir mes 25hdes25bosses. Deux questions se posent maintenant. Je me les pose d’ailleurs naturellement. (1) Quel avenir pour les 25hdes25bosses ? (2) Et maintenant je fais quoi moi ?

[1] À la première question, je n’ai pas encore de réponses. Pourquoi pas proposer à quelques tarés de tenter à nouveau le truc à plusieurs l’an prochain mais en version un peu plus officielle. Ça serait sympa de voir plusieurs personnes le tenter. Et je suis sûr que cela pourrait aller au bout. Cela pose pas mal de questions de logistiques – D’autorisations – D’assurances – etc. Et tout cela me fait un peu suer (chier.. utilisons les mots). Donc, vers une officialisation de ce format ?! Je ne sais pas. Enfin, je n’y suis pas encore prêt. Et si je me chauffe il va falloir une bonne équipe bien motivée (Et folle). Bref, je vais regarder ça.

[2] À la seconde question.. Ben.. à vrai dire.. ça m’a beaucoup plu ce délire. Je continue à en chercher d’autres. Sur d’autres terrains et sur d’autres formats. Je pense faire un format un peu plus court sur mes terres du Bois De Vincennes fin Juillet pour préparer l’UTMB. Mais il y a tout de même quelque chose qui me titille très très fort. J’étais encore en forme à la fin des 8 tours. J’aurai bien aimé continuer. Je n’ai pas pris longtemps pour me décider d’ailleurs. Ça a commencé à me trotter dans la tête en buvant ma Goudale de fin de course. J’ai déjà trop envie de le tenter = Les 10 tours des 25 Bosses. Ça me donne beaucoup trop envie. 160 Km – 9000 m de dénivelé. Un bon format selon moi. Bref, vous l’aurez compris. On peut déjà se donner rendez-vous en 2020 pour que j’aille chercher cela 🙊

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