UTMB 2019 by Casquette Verte – Fracture au km 50. Abandon au km 123.

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Instant pistaches – Départ UTMB – Copyright Trong Phuoc Banh

Savez-vous pourquoi la lune gravite autour de la terre ? Enfin plus précisément, pourquoi la lune est attirée par la terre, ce qui très schématiquement la fait tourner autour ?

Dans la réalité, la lune dispose d’une trajectoire en ligne droite. Une fuite vers l’avant éternelle. Sans la terre, sans l’attraction qu’elle provoque, celle-ci s’éloignerait et continuerait tranquillement son bonhomme de chemin comme un astéroïde allant se perdre aux confins de l’univers.

Mais cette attraction. Cette céleste attirance ? Comment l’explique-t-on ?

« Bah. Wesh ! La terre c’est un gros aimant quoi. ».

Et bien pas du tout JAMY ! En fait si la lune est attirée par la terre, c’est tout simplement car la terre est au centre d’une déformation créée par sa propre masse.

Imaginez un immense flan (Miam miam) assez mou, mais appétissant. Placez dessus un gros abricot auquel il faudrait encore quelques jours pour mûrir parfaitement. Cet abricot va se positionner au centre, du fait de son poids, formant une pente en sa direction. Si vous disposez alors des petites billes de sucre sur le bord du flan. Ceux-ci seront attirés par le centre. Et peu importe la vitesse ou la trajectoire initiale, celles ci sont tomberont sur l’abricot.

Et bien.. en schématisant cette comparaison universellement pâtissière.. l’UTMB c’est la même chose. Un bel abricot ! Moi. Gentille petite bille de sucre. Courant tranquillement en ligne droite. Je suis attiré par cet UTMB. Mais pourquoi ? « Bah par ce que c’est mythique » – « Bah par ce qu’il y a de la compétition ».. Pffff.. Arguments en carton. Si je suis attiré par l’UTMB c’est tout simplement car l’UTMB est au centre d’une déformation créée par sa propre masse. 

Il faut se laisser déséquilibrer. Il ne faut pas résister. C’est irrémédiable. Quoi que tu fasses. Ou que tu sois. Si l’ultra trail est ton univers. Tu tomberas. Plus ou moins vite. Vers cet astre qui déforme tout. Je préfère dire maintenant « cette masse » qu’est l’UTMB.

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 Départ UTMB – Copyright Alexis Berg

 

1. Avant départ – Douleurs fantômes et douleurs de stress.

Nous sommes mercredi matin. Le départ de l’UTMB sera donné ce vendredi à 18 h très précisément. J’ai déjà reçu un sms confirmant que les packs Canicule & Grand Froid resteront dans le placard. J’attends encore le sms qui doit confirmer l’heure de départ.

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Carré affaires – Copyright Instagram Casquette Verte

Il est très exactement 8h04. Je soulève mon sac, que je pose en bandoulière sur mon épaule droite. Celui-ci me pèse un peu. Certainement le poids de l’envie. Je fixe ma casquette verte sur ma tête. Je ferme à double tour ma porte en pensant que la prochaine fois que je la passe : J’aurai fini l’UTMB. Je ne m’enflamme pas. Mais j’y crois. Je sors de mon immeuble. La porte vitrée se ferme derrière moi. Je fais un pas à gauche. Puis un à droite. 

Et là. Cela couine dans la cheville. Je me hâte de refaire un pas à gauche pour vérifier cette sensation sur le droit. Aie. Ca grince vraiment là. J’accélère le pas. Trois foulées. Et cela ne se décoince pas. Au bout de ma rue. Chaque pas n’a pas réussi à faire passer cette sensation. A chaque étape, je me dit : « Oh. Ca va bien passer à un moment ». Les étapes passent pour rejoindre la gare de Lyon. J’espère qu’à la fin, j’aurai oublié cette douleur. Qu’il s’agit simplement d’une douleur du matin. Comme je peux en avoir de temps en temps.

Il me faut plus d’une heure pour commencer à m’inquiéter. Je suis dans le train. Je fais quelques exercices de proprioception pour décoincer ce mal qui me hante. Rien n’y fait. Mais bordel ! C’est pas possible. Mon entorse en Corse, c’était il y a 6 – 7 semaines. J’ai stoppé l’entrainement 10 jours. Et j’ai pu reprendre mes sorties. J’ai couru jusqu’à lundi soir. Et franchement, je ne ressentais aucun mal. Comment est-ce possible que cela tire maintenant ? Je me suis fait mal dans la nuit ? J’ai fais un faux pas en sortant de la douche ? Rien de tout cela ne me revient à l’esprit.

Arrivé à Chamonix. Installé. Je pars faire un tour. Je croise quelques connaissances. Quelques amis. Je n’arrive pas à me sortir de l’esprit cette douleur que j’ai. A chaque fois, le rituel de la question qu’on se pose avant un UTMB gratte la plaie : « Alors. En forme ? ». A chaque fois, je ne mens pas. Je parle de cette douleur à la cheville droite. Je n’en suis plus au stade de me demander si j’ai vraiment mal. J’en suis au stade de me demander si j’ai vais pouvoir courir vendredi. Tous tentent de me rassurer. Mais rien n’y fait.

Le jeudi se passe de manière encore plus terrible. En me levant, je boite presque. Je suis hors de moi. Comment est-ce possible ? Pourquoi maintenant ? A un jour d’un événement si patiemment attendu. Je ne l’accepte pas. La journée se passe. Durant une discussion à ce sujet avec Julien Chorier, il m’explique avoir vécu cela il y quelques années. Une douleur intense, presque paralysante les deux jours précédents une course très attendue pour lui. Il me parle de « Douleurs somatiques ». Que je verrai. A 2 h du départ, cela partira. A vrai dire, je ne suis pas rassuré. La douleur est trop intense pour cela. Mais savoir que c’est possible. Que cela pourrait aller mieux, me donne une option délivrante. Je la prends. Cela tombe bien. Je suis très stressé depuis mon départ de Paris et mon arrivée à Chamonix. Jeudi soir. Je me détends heure après heure.

Vendredi. 15h. J’ai fini ma sieste. Je m’habille avant de partir remettre mon sac assistance. Je sors de l’appartement. Je fais quelques pas. Je ne ressens plus rien. Je n’ai plus mal. Je préfère vérifier. Je cours 100 m au milieu de Chamonix. Aucune douleur. Incroyable. Je n’y crois pas. Le syndrome Casper existerait-il bien ? 

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Dossard – Copyright Instagram Casquette Verte

7 h plus tard. La nuit est tombée. Je cours bien. Cela fait 4 h que je suis dans mon UTMB. Je ne me rappelle même plus que j’ai pu tant souffrir ces derniers jours. J’ai même mal ailleurs. Avec le recul je comprends que ces douleurs existent vraiment. Ne dit-on pas qu’un fantôme est tout simplement un signe extérieur évident d’une frayeur intérieure ? J’ai un peu du mal à y croire. Et pourtant c’est vraiment ce qui m’est arrivé. Ma douleur n’était pas une douleur physique. Il s’agissait d’une douleur fantôme. Ou plutôt, une douleur de stress. Ce moment passé durant 2 jours a été crevant mentalement parlant. Mais je suis heureux de pouvoir en retirer quelques choses. Déjà, l’expérience. Je sais comment y réagir dans le futur. Ne pas me morfondre. Ne pas m’enfermer encore plus dans une spirale du mal. Et surtout, j’ai compris qu’il fallait que je pratique le stress, comme si c’était un sport. Comme si c’était du dénivelé. Que pour bien le vivre, il faut en bouffer. Bref. Pour la prochaine. On va s’entrainer un peu à la pratique du stress. Ca va être intéressant de s’inventer des exercices pour cela.

Ps : Charles (Mon chef) si tu lis ces quelques lignes – Tu peux y aller.. 1 semaine avant mon prochain ultra. Quand je réduis mon volume d’entrainement physique. Lâche toi. Fait monter la pression ! Je ne t’en voudrais pas 😉

 

2. L’attente. 

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Départ UTMB – Copyright Wider Mag’. 

Rien n’est plus délicieux que l’attente de ce qui parait inéluctable. Je me revois quelques années en arrière. Voyant les photos de ce fameux départ de l’UTMB. Je pensais alors que jamais je n’y serai. Tout simplement, car je n’en n’avais pas envie. Puis. Assez rapidement. Je me disais que ce n’était pas possible. Que c’était trop dur pour moi. Que jamais je n’y arriverai. Et bien c’est cela. C’est bien le fait de savoir que c’est impossible à ce moment là, qui m’a motivé pour le tenter. Il m’a suffit alors de quelques secondes. A regarder cette photo d’un départ. Aucun moment d’admiration. Juste une affirmation à moi-même : C’est impossible. Tu dois le faire. 

M’y voici donc. Je suis totalement serein. Presque habitué. Comme si je l’avais déjà fait. Comme si je l’avais déjà vécu. Rien ne m’affecte. Je suis programmé à ce départ. Cela fait des semaines, voir mêmes des mois que je m’y prépare. Je suis totalement à ma place. J’ai cette sensation d’être dans une vaste salle d’attente. De vivre un moment perdu. Je suis en fait déjà dans l’étape suivante. Je suis déjà 60 km plus loin. Je vis déjà ma course.

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Le mec alerte – Départ UTMB – Copyright Trong Phuoc Banh

Arrivé sous le soleil. Nous sommes baptisé par une petite pluie. Obligé de se mettre debout pour attendre. Je dois stopper ma petite sieste que j’improvisais sur mes genoux. J’ai aussi appris cela. La capacité à faire abstraction dans les grands moments. Me recentrer sur moi même. Sans toutefois m’enfermer totalement.

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Petit dodo tranquillou – Départ UTMB – Copyright ?

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Ready, mais trempé, To Go – Départ UTMB – Copyright Trong Phuoc Banh

La musique d’Evangelis se lance. Je ne l’aime pas. Tout le monde autour de moi semble très concentré. Je ne le suis pas du tout. C’est le cas aussi d’un coureur à droite de moi. Nous avons approximativement le même âge. Nous rigolons un peu ensemble. Je regarde le ciel. Je regarde l’arche. Je regarde la mairie de Chamonix. Mon regard se fixe sur une fenêtre. A celle-ci, une silhouette me dit quelque chose. Mon regard de myope insiste. Ce n’est pas possible. Ce n’est pas lui. Pas maintenant. Je regarde mes chaussures et je relève ma tête dans la direction de la fenêtre. Je ne rêve pas. IL Y A EDOUARD BALLADUR A LA FENETRE BORDEL ! Rien à fichtre du départ. Rien à fichtre de me lancer dans un 170 km. Il y a Edouard Balladur à la fenêtre les mecs. Combien de fois ai-je imiter son fameux « Je vous demande de vous arrêter » –  » Combien de fois, je l’ai imaginé alpaguant son collègue d’un « Jacques » ? « . 10. 9. Je demande au coureur à ma droite. 8. 7. 6. C’est bien lui ? Hein ? 5. 4. Le coureur à côté de moi a été happé par sa course. Je ne pourrais partager ce moment. Je lui fais un coucou. 3. 2. Il lève la main. Je crie « COUCOU LE TUUUUUURC ». Il ne m’entend pas. 1. C’est parti. Merci Edouard. Merci Edouard de m’avoir fait sortir de cette folie ambiante qu’est le départ.

 

3. Départ serein. 

Il n’y a plus de secret entre nous. J’aime partir à mon allure. Mon allure de parisien. Peu importe les 170 km qui nous attendent après. Les 3 ou 4 premiers km qui s’offre à mon départ se font généralement entre 16 et 18 km/h. Et cela ne m’affecte pas. Cela me met en route.

Sur cet UTMB, je me suis promis de faire attention. De ne pas partir comme un fou. De rester dans les mollets. M’étant plutôt bien placé sur la ligne de départ, je ne marche que quelques centaines de mètres. Le monde autour créé un tube dans lequel le flux s’accélère automatiquement. Après 1 km, cela se libère un peu devant. Je n’ai plus besoin de mes bras pour me protéger d’un coup de bâtons ou d’un écart imprévu. Je peux m’élancer.

Je ne me laisse pas non plus emporter par la foule. J’imprime mon rythme calmement. J’ai de l’espace devant pour doubler. Je ne le prends pas à chaque fois. Je reste dans mon rythme. Je reste dans ma course. Folie ambiante. Tu ne m’auras pas. 

Je croise quelques têtes connues. Je les double en les encourageants. « Bonne course Sissi« . « Bonne course Timothy« . J’obtiens le même encouragement en réponse. Je continue tranquillement mon début de course. Après quelques km, j’hallucine un peu sur le nombre de personnes qui me reconnaissent. Les « ALLER Casquette Verte » me font rire. J’en profite un peu.

En passant au dessus du chemin de fer, pour rejoindre les Houches, je suis en parfaite synchronisation avec le train. Je me décale sur le bord du pont. Je monte sur le petit trottoir afin que le conducteur me voit. Je lui fais de grands signes. « Vas-y KLAXONNNNEEEEE l’ami ! « .. TCHUUUUUU TCHUUUUUUUUUUUUUUUUU ! Parfait. Faire klaxonner un train pendant l’UTMB : Check. 

Arrivé aux Houches. 34 min. 14 km/h. Je n’ai pas regardé ma montre depuis le départ. Je ne la regarde plus du tout en course de toute façon. Je suis heureux, car je sais que maintenant on part. On part dans la montagne. Celle-ci que je suis venu chercher. J’ai envie de m’amuser pendant les prochains kilomètres. De toute manière, la course ne commence pas maintenant. Elle commence bien plus loin pour moi. J’estime qu’elle commence à la bascule du Grand Col Ferret. On enchaine avec quelques km souples. On remonte sur Champex. Et là, il s’agit de faire le point. Si on en a assez gardé sous le pied, cela va le faire. On va même pouvoir accélérer sur les trois dernières difficultés. En revanche, si on y arrive physiquement atteint. Il est clair, que derrière ça va être long. Ma stratégie est donc la suivante : En garder sous le pied jusqu’à la descente sur La Fouly. Me tester à ce moment là. Faire le point à Champex. Et puis derrière. Tout donner. 

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Attaque talon – UTMB – Copyright ?

 

4. Une bouchée des premières difficultés. 

Il s’agit maintenant d’attaquer la première difficulté. Un + 800 suivi d’un – 800 sur 13 km pour rejoindre Saint Gervais. Le parcours est très roulant. La montée se passe incroyablement bien.

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Et ça bâtonne – UTMB – Copyright ?

Le duo Courtney Dauwalter  & Mimmi Kotka me rejoint en se début de grimpette. Je les avais doublé un peu plus tôt dans le plat. Comme à chaque fois qu’il y a des élites un peu connus, il y a un petit troupeau derrière qui pense que courir derrière cela peut aider. Je me retrouve devant elles deux. Je continue à mon rythme. Je ne me laisse pas déstabiliser par la notoriété à quatre pattes. A mi hauteur, je me rends compte que Courtney suit mon sillage. Je trouve cela amusant. S’agissant de Mimmi, elle semble plus en difficulté. Je suis étonné. Cela doit être un jour de moins bien. J’avais le souvenir qu’à Cape Town, elle m’avait totalement déposé dans la première montée. Je n’avais même pas réussi à rester dans ses jambes. La roue tourne. C’est amusant.

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Live UTMB – Copyright Live UTMB

Au sommet, je me retrouve avec Cédric. Cédric est un coureur Salomon du sud de la France. Nous avons fait plusieurs courses ensemble. Généralement, on termine plus ou moins dans les mêmes temps. Nous parlons un peu. Il a reconnu le premier bout du parcours. Cela me permet de lui demander quand ranger mes bâtons. C’est agréable de se sortir un peu de la course. On discute trail.. on discute des sensations.. de l’UTMB certes.. mais c’est un peu comme à l’entrainement. Je profite.

Un peu plus loin. Je me retrouve depuis 500 m avec un coureur qui me dit quelque chose. Je ne suis pas sûr à 100 %. Mais je crois bien que c’est lui. Je n’arrive pas à voir le drapeau de nationalité sur son dossard pour vérifier. « Sorry. You were in Cape Town last december ? » – « Yes » – « And you win ! » – « Yes. What a day ». Je suis impressionné un temps. Janosch Kowalczyk. Mais qu’est ce que tu fous là ? Tu devrais être devant ? Nous échangeons. Il m’explique que c’est son premier 100 miles. Je comprends mieux son départ tranquille. Le message lui a été donné d’en garder beaucoup sous le pied pour aller au bout. Ceci explique cela.

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En balade avec Janosch – UTMB – Copyright ?

Nous allons faire une trentaine de km ensemble. Il ne comprend pas bien pourquoi beaucoup de gens semblent me connaitre sur le bord du chemin. « Why everybody say Casquette Verte ? What is Casquette Verte ? ». Je lui explique toute l’histoire. Cela fait passer le temps. Et je lui parle de MontMartre. Il me fait répéter plusieurs fois le rapport distance / dénivelé… 80 kilometers and 11.650 meters ? Il ne me croit pas. Je lui donne donc rendez-vous à Montmartre en décembre. Voilà. Voilà ce que l’on raconte pendant un UTMB. Pas grand chose en fait. Une discussion simple. Comme si on échangeait un verre après une première journée de classe à la rentrée. On découvre une nouvelle personne. On se présente calmement. On se livre sans trop en donner. Et parfois, le feeling passe. Là, il est passé.

Au final, les 50 premiers km sont passés tout seul. L’énergie des Contamines et de Saint Gervais m’ont enivré. La folie dans la montée sur La Balme m’a éclaté. Et j’ai pu discuté avec pas mal de monde. Tout se passe comme prévu. 2 h pour arriver à St Gervais. 5h20 pour arriver en haut de la croix du bonhomme. Moins de 6h pour arriver aux Chapieux. Bref. Ca roule. Encore 60 km comme ça, et la course peut commencer.  

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Batonite – UTMB – Copyright ?

 

5. Tu doubles, un rocher et crac. 

Je le sais. Cela m’est déjà arrivé plusieurs fois. Sur les Templiers, sur l’Impérial Trail, sur la SaintéLyon. A chaque fois que je me blesse c’est en doublant. Un petit « Je passe à gauche » – Vérification de l’angle mort – Accélération – Je double par le bord du chemin – Distance de sécurité – Reprise du mono-trace. Sur le papier c’est simple. En réalité, cela se passe toujours bien. Mais de rares fois, cela se passe beaucoup plus mal. C’est le cas cette fois.

Nous descendons de la Croix du Bonhomme. En direction des Chapieux. J’ai mis ma PETZL en route car la nuit est tombée. Il fait sombre, mais ce n’est pas encore la nuit profonde. Ce moment où la visibilité est un peu réduite. On pourrait courir sans frontale, mais on devrait un peu ralentir pour bien voir les aspérités du terrain. Avec la PETZL, les aspérités ressortent. Mais pas assez. La luminosité de fin de journée combiné avec le phare de la PETZL créent des zones d’ombre.

Devant moi, un coureur semble ralentir. Je crois qu’il s’alimente. Je n’ai personne derrière moi. Nous sommes sur un petit monotrace qui traverse un champ. Le dénivelé négatif est assez léger pour envoyer un peu de vitesse, mais trop fort pour faire de grande foulée aérienne. Les pas sont rapides, mais proche du sol. Je mets le clignotant. j’averti que je passe à gauche. Léger décalage hors mono-trace. Je passe dans l’herbe. A ce moment, je fais un écart à gauche pour chercher un appui et accélérer. A 15 cm de toucher le sol, mon pied est surpris par une masse. PAAAAAAAAAM. Je ne l’avais pas vu. La masse n’était pas ronde. Elle était à 90° inclinée et rocheuse. Le pied tape droit dedans. Je suis surpris en pleine accélération. Je me vois totalement déséquilibré. Le choc est intense. Je suis propulsé dans les airs. D’autant que ma jambe droite se relevait pour accélérer ma foulée. Je pars en soleil. Dans un réflexe de mes années de judo, je tente la chute avant. Elle fonctionne. Je m’envole totalement et présente un saut périlleux avant de terminer lourdement sur le sol. Je m’arrête net. Je suis sur le dos. Au sol. Mon bras gauche a pris cher. Mon dos aussi. Mais ce n’est pas le plus grave. Je ne le sais pas encore.

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Radio Hôpital de Chamonix – UTMB – Copyright Instagram Casquette Verte

Je me relève seul. Le coureur devant moi ne s’est pas arrêté. J’ai mal un peu partout. J’enlève la terre présente sur mes mains. Mes bras et sur mon T-shirt. J’ai un peu mal au genou gauche, mais ce n’est qu’un coup. Je relance trois foulées. Aiiiiiiiiiiiiiiiie. Bordel. Ca fait vraiment mal là. Je m’arrête. J’identifie que la douleur provient du pied gauche. Plus précisément de mon orteil. Je l’agite un peu dans la chaussure. C’est très douloureux ! Je repars doucement. Je n’appuie pas sur l’orteil. J’arrive à courir. Dans ma tête, je ne sais pas. Je ne sais pas si j’ai vraiment entendu ce crac ressenti dans l’orteil. J’adapte ma foulée en appuyant uniquement sur le flanc gauche du pied et sur le talon. Cela fonctionne. Je suis ralenti, mais dans ma tête, je pense que d’ici 800 m la douleur sera disparue. It’s just an illusionnnnnnn.

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Bon appétit bien sûr – UTMB – Copyright Instagram Casquette Verte

Au ravito des Chapieux. Je pose mon pied sur un banc. J’enlève ma chaussure pour voir les dégâts. Première surprise. Ma chaussette est totalement trouée au niveau de la base de mon gros orteil. Bordel. La torsion a du être assez violente. Elles étaient neuve ma chaussette, et vu combien ça coute, je suis un peu énervé. Sur le moment, je ne pense pas à l’aspect pécuniaire. Mais, je me dis que cela ne va pas être terrible pour courir. Heureusement, je me rappelle que j’ai glissé une seconde paire dans mon sac d’allégement présent à Courmayeur. 30 km à faire avec l’orteil nu dans la chaussure. On va faire avec. Par contre, je vois à travers le trou de la chaussette que la base de l’orteil se colore. Ce n’est pas du rouge vif d’un simple coup. C’est déjà presque violet. Cela ne sent pas bon.

Je repars à froid du ravitaillement. Le col de la Seigne, les pyramides calcaires et l’arête du Mont Favre m’attendent. A froid, après un arrêt de 3 minutes. La douleur s’est intensifiée. Je comprends qu’il y a un réel soucis. Sur le plat, j’arrive à envoyer en adaptant la foulée sur le pied gauche. Je n’arrive pas à accélérer, mais j’avance pas trop mal quand même. Les ascensions se passent plutôt bien. Cela fait vraiment mal, mais j’arrive à faire abstraction. Par contre, dans les descentes c’est l’enfer. A chaque rebond, la douleur est terrible. Cela déclenche dans mon pied une décharge qui me fait bondir. Un sursaut qui ne sent pas bon. Petit à petit. Je comprends. Je comprends que cela va être mission impossible. Je le sais. Je suis obligé de la tenter. 

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Arrivée à Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Arrivé à Courmayeur, 5h30 plus tard. Je me suis fait une raison. Je suis presque sûr que mon orteil est cassé. La descente sur Courmayeur, assez nette et un peu technique me l’a confirmé. J’ai été obligé de diviser par 3 ma vitesse. Chaque appui à gauche est devenu une pause. Je souffre. Je souffre vraiment. Je récupère mon sac d’allégement et je cours jusqu’à un banc. Je veux changer de chaussette. J’enlève ma chaussure, puis ma chaussette. Le violet que j’avais aperçu auparavant s’est intensifié. Il représente une forme de S sur mon orteil. Signe d’un saignement interne. Je le sais. C’est cassé. Mais peu importe. Je veux continuer.

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Changement de chaussettes – Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Des bénévoles du service médical ont repéré que quelques choses ne va pas. Je les rassure. « Non. C’est bon. Pas d’inquiétudes. Ca va le faire. Oui. J’ai mal. Mais ce n’est qu’un coup. » – « Vous ne voulez pas voir le service médical ? ». « Non. Non merci. Ca va le faire. ». Je me tourne vers Tony (qui me fait l’assistance) : « Si je vais les voir. Ils m’arrêtent. ». Ma stratégie de course n’est plus la même qu’au départ. Maintenant, je dois feinter d’aller bien, pour pouvoir continuer. Je ne veux surtout pas être mis hors course. Il va falloir jouer de mes talents d’acteur. Avec le recul, je le dis haut et fort : Ce n’est pas un exemple. Si cela vous arrive. Arrêtez-vous. Allez voir les médecins. Et suivez leurs avis. Je ne veux pas être le contre-exemple qui pousserait à fuir le service médical.

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Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Je repars de Courmayeur après 7 minutes d’arrêt. La douleur est beaucoup trop forte maintenant. J’ai déjà compris que cela ne va pas le faire pour finir. Mais je tente le coup. Il y a un infime espace qui pourrait potentiellement me permettre de finir. Je tente de m’y glisser. Mais, plus j’avancerai. Plus je comprendrai que c’est déjà fini depuis le km 50. Que cette fuite en avant n’a pas d’issue possible. Je fuis. Certes. Mais je fuis vers le précipice de ma course.

 

6. Gestion de l’alimentation & du sommeil. 

Faisant abstraction de mon orteil cassé, je fais le constat que ma gestion de l’alimentation et du sommeil fonctionnent parfaitement. Je n’ai pas de sensation de soif. Je bois très régulièrement (toutes les 10 minutes à peu prés). Je n’attends pas d’avoir soif. Cela fonctionne bien. Preuve en est : Les pauses pipi sont écarlates. Généralement, peu importe la quantité bue, mes urines sont un peu colorées. Là, c’est la transparence qui fait plaisir. J’ai bien anticipé mes besoins. Des gorgées régulières tout au long de la course, et 350 à 500 ml avalés avant de quitter les ravitaillements pour recharger la bête.

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Ravito – UTMB – Copyright ?

En ce qui concerne l’alimentation, j’applique les préceptes acquis avec l’expérience. Du gel entre les ravitaillements. Et du salé sur les ravitos. J’utilise un gel GU pour faire le fond d’énergie ; et des coups de fouet pour rester sur le haut de la courbe. J’arrive totalement à anticiper les moments de moins bien. Je me connais. Je sais quand ca va, ou quand cela ne va pas. Je m’alimente dans le parfait timing pour ne pas tomber dedans. Lorsque je suis bien, j’anticipe la rechute. Je n’attends pas de me sentir un peu affaibli pour avaler un gel. C’est principalement sur cet aspect que je pense avoir grandi. Auparavant, j’attendais le dernier moment pour me sucrer. Le temps que celui-ci agisse dans mon corps, j’avais toujours des moments de moins bien de 10 à 20 min. En anticipant cela, j’arrive à tenir une ligne de sensation assez bonne de manière constante. Pas de pic vers le bas, mais pas non plus de pic vers le haut. J’apprécie vraiment d’avoir su mesurer ma consommation de gels pour rester entre un seuil bas et un plafond sans trop passer de temps au dessus et en dessous.

Dernière aspect de gestion que je constate avoir compris. La gestion de la fatigue. Enfin plus particulièrement du sommeil. Sur mes autres courses qui m’ont fait traverser des nuits, je me suis presque toujours retrouvé à bailler. A sentir un besoin de sommeil. Mais cette fois, rien. J’étais éveillé tout le long. Aucune envie, aucun besoin de dormir. Je pense que c’est le contre effet de ma nouvelle méthode de gestion du sommeil. Deux principes à cela : En course, quand je sens un peu de monotonie, je ne me laisse pas envahir par celle-ci. Je me secoue intellectuellement. Je ne m’enferme pas dans un sujet de pensée. Je chante un peu. Sur l’UTMB, il y a eu du Joe Dassin, du Patrick Bruel et du Macklemore. Eclectique me direz-vous. Ne connaissant pas les paroles des chansons entière, je bute plusieurs fois sur les couplets. Cela me tient parfaitement en éveil.

Deuxième principe. Celui-ci m’a été conseillé par Ugo Ferrari. Dorénavant, 3 semaines avant un ultra je me prive de toutes consommations de caféine. Pas de café. Pas de coca. Rien. Cette privation a un seul but : Etre plus réceptif lors de la course à la caféine. Les gels que je consomme en sont gavés. Si je sens le sommeil venir, je sais qu’un gel, ou dans les cas les plus limites : un grand café en ravitaillement. Et hop. C’est 8h du matin dans ma tête. Je ne vous conseille pas de tenter cette méthode sur un ultra important, sans avoir testé votre réaction sur des courses plus courtes. Et oui, le café qui va vous éveiller en ultra après une longue privation, peut aussi déclencher quelque chose de plus compliqué à gérer pour un coureur. Un bon gros problème digestif. J’avais vécu cette expérience sur le Trail du Mont D’Or quelques mois auparavant. J’avais compris, que le dosage était important et qu’il ne fallait pas forcément en prendre un dès le départ. Cette fois-ci tout a parfaitement fonctionné. En m’arrêtant. Après 18 h de course, j’étais toujours complètement alerte. Ce n’était pas la course, et la concentration nécessaire qui me faisait tenir. C’était vraiment la re-découverte par mon corps de la caféine.

Cela fera peut être baissé le cours de bourse des producteurs de café à long terme. Mais franchement, une fois bien réglé, cette méthode m’a convaincu. J’en ferai l’option pour chacun de mes prochains ultras.

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1 h après l’abandon ^^ – UTMB – Copyright Tony 

 

7. Découverte de l’assistance. 

Ca je pense que vous l’avez déjà bien compris. Je hais du profond de moi même les conseils. Je fuis les diseurs de « Tu devrais … ». Je déteste cela. Ce n’est pas que je pense avoir raison. Loin de là. C’est tout simplement car j’ai la volonté puissante de ne pas être redevable. Cette phrase de Cyrano résonne en moi « Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul ». Je ne sais pas pourquoi. Mais dans tout ce que je fais, course ou hors course. Dans le sport, comme dans la vie, je ne veux surtout pas me retrouver dans la situation de devoir remercier. Je ne veux vraiment pas être redevable. Je considère que le mérite est solitaire. Qu’aidé, qu’accompagné, qu’assisté.. c’est se résoudre à la simplicité.

J’ai déjà craqué à l’appel des bâtons. Et au fond de moi-même, c’est une déchirure. J’ai l’impression de rompre avec mes valeurs. Alors, lorsque Tony m’a proposé de faire mon assistance sur l’UTMB, je lui ai tout d’abord fait fin de ne pas recevoir. « On verra ». Et c’est au final, presque pour lui faire plaisir que j’ai accepté.

Notre programme était simple. Je lui ai fourni ce que je pensais avoir besoin alimentairement parlant pour les ravitaillements de Champex – Trient et Vallorcine. Cela n’allait pas non plus me faire gagner des minutes entières donc j’ai cédé. Pour moi, l’assistance c’est comme une drogue à laquelle on s’est toujours refusé de gouter. Il faut tout tester dans la vie, donc j’ai accepté son assistance. Mais je n’ai pas non plus poussé le vice en lui demandant des choses très précises. Un objectif de timing. Ou un besoin que je ne pourrais pas zapper. Savoir que je n’étais pas obligé de m’en servir, m’a permis de quelque peu garder mes valeurs vierges.

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Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

Après cette expérience qui n’a pu être totalement testé (m’étant arrêté avant de l’avoir vraiment utilisé) ; j’ai compris quelques faits :

Avoir une assistance, c’est déjà découper un ultra en course à étapes. On ne fait plus une course en autonomie complète, mais on fait plusieurs courses d’un point à un autre. On découpe le long vecteur. Ce découpage rend les choses tellement plus simple. Il ne faut plus faire 170 km sur l’UTMB. Mais plutôt 50 + 30 + 45 + 20 + 10 + 15. Cela change totalement la linéarité de la course. C’est un peu dommage je trouve. On perd cette notion de course longue distance. Mais on ne va pas se le cacher, cela rend le tout tellement plus digeste.

Savoir que quelqu’un t’attend, te motive à accélérer un peu. Je n’avais pas donné à Tony de temps de passage précis. Je lui avais dit que j’allais faire ma course au feeling. Je n’avais donc pas cet impératif. Je n’avais pas de rendez-vous. Pour autant, je me suis plusieurs fois dit : « Dépêche toi. Il va t’attendre ». Savoir que l’on est attendu. Cela créé une pression supplémentaire. Il faut savoir la gérer pour ne pas faire n’importe quoi. Mais psychologiquement cela aide. On n’avance pas pour soi. On avance pour quelqu’un d’extérieur à sa propre course. Et ça. Ca change pas mal de choses dans sa conception de la course.

Enfin, avoir une assistance c’est aussi parer à l’imprévu. Ah. Cet imprévu. Celui qu’on déteste sur le moment, mais qui fait la saveur de l’ultra. J’avais beau avoir fourni à Tony quelques sacs bien précis, nomenclaturés des noms des différents ravitaillement. Je n’avais pas non plus prévu de surplus « au cas ou… ». Enfin si, j’avais glissé quelques petits gels si cela allait vraiment mal. Mais au final, j’ai compris que de savoir que quelqu’un n’est pas loin, avec tout ce qu’il faut pour palier à l’imprévu cela me permettait de courir plus sereinement. L’esprit plus léger. Sans avoir à trop réfléchir à ce qui est nécessaire sur le moment. Sans lesquels cela serait compliqué de terminer.

Au final, c’est très certainement cela l’assistance en ultra. C’est s’enlever un poids. C’est avoir une assurance. C’est réduire le risque. Et très franchement, je pense que cela aide énormément. J’ai beau penser que cela retire du panache à cette épreuve. J’ai beau me dire que ce n’est plus un ultra, mais une course à étapes. Je pense que si je reviens sur pied, lors de mon prochain 100 miles, je monterai un programme d’assistance ultra précis. Avec des temps de passage strictes. Je pense que cela va m’aider à performer. Enlever de la saveur certes. Mais mon objectif maintenant n’est plus forcément dans la saveur. Il se dirige irrémédiablement en direction de la performance.

 

8. Seuil de résistance à la douleur. 

Avoir l’ensemble des muscles de ses jambes tétanisés et devoir faire 50 km en marchant (UTCT) : Check.

Se faire une tendinite au releveur droit et devoir continuer sur 90 km en souffrant (Ultra Maxi Race) : Check.

Avoir le bide en vrac. Perdre la première place et résister au retour du top 5 sur 25 km (Trail du Mont D’or) : Check.

Faire 70 km d’UTMB avec une fracture à l’orteil gauche. Ca. Ca, je n’avais jamais fait.

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Courmayeur – UTMB – Copyright Mickael Lefevre pour WONDERTRAIL

D’accord, j’ai un haut seuil de résistance à la douleur. D’accord, j’ai appris à gérer les souffrances. Certes, je suis habitué à serrer les dents. A me dire que la douleur c’est dans la tête. Mais là, sur mon UTMB. Je suis passé à un autre niveau de gestion de la douleur. 70 km sur une fracture bordel. Je n’arrive même pas à y croire. On me le dirait d’un autre coureur. Je pense que je n’y croirais pas. Ou à la limite, je me l’imaginerais titubant. Luttant contre la douleur. Criant sur les sentiers. Mais pas du tout comme j’ai pu le vivre.

Qu’on se le dise. CE N’EST PAS UN EXEMPLE. IL NE FAUT SURTOUT PAS SE DIRE : S’IL L’A FAIT. JE PEUX LE FAIRE. Je pense que c’est réellement une grosse erreur. Maintenant que ça c’est dit, je peux vous raconter. Je n’ai jamais eu aussi mal, physiquement parlant de ma vie. Quand on court, appuyer sur le gros orteil est tout simplement essentiel. Que cela soit pour l’équilibre de votre corps, ou pour la propulsion. Le gros orteil c’est juste la direction assistée de votre foulée. Des milliers de pas de souffrance. Des milliers d’appuis déclenchant une terrible douleur de l’orteil jusqu’à la moelle épinière. Des centaines de bonds forcés par une pique nerveuse. Des dizaines d’accrocs avec des rochers, qui font disparaitre les centaines de mètres à se remettre dedans.

Bien évidement, la douleur c’est dans la tête. Bien évidement, je maitrise ce concept. Mais avec une fracture, ce concept est presque inapplicable. La seule solution a été de compenser. Courir sur une jambe. Appuyer fort sur le bâton gauche. Chercher tous ses appuis sur l’extérieur du pied. Mais cette compensation ne marche qu’un temps. Après 30 ou 40 km à courir comme cela. Vous avez mal au niveau de la fracture et cela s’accentue avec le temps. Mais le pire c’est que maintenant vous avez aussi terriblement mal sur les endroits de compensation.

D’abord, mon bras gauche. A force d’appuyer dessus, je me suis déclenché une petite tendinite très douloureuse de l’épaule au coude. Ensuite, mon talon gauche. A bordel, j’ai même pas envie de vous décrire la douleur que j’ai vécu après 50 km de bourrinage dessus. A la fin, j’avais presque moins mal en appuyant sur la fracture à l’avant du pied. Et enfin, le flanc gauche du pied. Alors là.. là.. c’était au dessus de tout. Une semaine plus tard, mon orteil est toujours douloureux. Mais le flanc c’est juste atroce. Je n’arrive pas à discerner si la douleur est osseuse, tendinaire ou c’est un simple énorme bleu qui met beaucoup de temps à disparaitre. J’en suis presque à me demander si je n’ai pas une fracture aussi de ce côté là.

Bref. J’ai crié. Mais réellement. J’ai hurlé de mal. Les « ressaisis-toi » ne servait à rien. J’avais besoin d’exprimer ce mal. Au final, je n’ai qu’une seule conclusion à cela. Avec un peu de recul j’ai compris. J’ai compris que seule la douleur peut éclairer l’esprit de ses erreurs. J’ai fait une erreur. D’abord physique en ne m’arrêtant pas. Mais ensuite une erreur humaine. Celle de refuser que ce n’est plus possible. Et la douleur était là pour me le rappeler. J’avais beau me dire « Bon.. tu le sais.. C’est certainement fracturé.. ta saison est terminée.. autant tenter de finir ». C’était une erreur. J’apprends pour plus tard. Si plus tard, il y aura.

 

9. Gestion de l’abandon. 

Mes deux dernières courses : Deux premiers abandons. Le constat devrait être sans équivoque. Il y a quelque chose qui cloche. Et bien, je ne le crois pas. Je pense réellement que ces abandons ne sont pas des résultantes d’une mauvaise préparation, ou d’une faiblesse.

Ce sont selon moi, uniquement deux faits de course. Deux hasards qui font partie prenantes de l’épreuve qu’est l’ultra.

Le premier en Corse était simplement un appui mal assuré sur une racine. Vlaaaaam. La cheville qui dérape. Et Biiiiiim. L’entorse.

Le second, un rocher mal placé.. une foulée trop proche du sol.. Et Staaaaaak.. La fracture. Impossible pour moi de me remettre en question. C’est abandons ne viennent pas de moi. J’en suis sûr. Je suis toujours le premier à identifier mes erreurs. Là, il n’y en a pas eu. Cela fait partie de la course. C’est normal. Et si c’est les premières fois que cela m’arrive c’est purement par hasard. Mon système n’a pas évolué. Les statistiques se sont simplement appliquées. A haut (bon) niveau. Ne pas se blesser, résulte selon moi à 95 % de sa méthode, de sa façon de s’entrainer. Et à 5 %, c’est la variable hasard. Et cette variable s’applique. Forcément. On ne peut l’éviter. A moins de réduire la quantité de course. Et ce n’est pas dans mon logiciel, ce n’est pas dans mes envies. Je dois passer par là. Cela fait partie de mon entrainement au final.

Pour en revenir à cet abandon. Je suis déçu. j’ai toujours attendu mes premiers abandons. Je les imaginais terribles. Pleins de sens. Pleins de choses à en retirer. J’espérais ces abandons atroces, cruels, malveillants. Là, rien du tout. Pourquoi ? Tout simplement, car selon ma façon de voir les choses, je n’ai pas abandonner. Pour moi, un abandon c’est quoi ? C’est quand tu ne veux plus. Quand tu refuses d’affronter l’épreuve. Dans ces deux cas. Et plus particulièrement sur l’UTMB. Ce n’était rien de cela. Je n’avais plus d’épreuve à affronter. Ma course s’était arrêtée au km 50. J’étais déjà mort. Un mort-vivant. Mon épreuve était de continuer. Je l’ai fait. Jusqu’à être enterré 70 km plus tard. Mon abandon, je l’ai vécu. Je ne l’ai pas subi. Et je le regrette un peu.

Vivement que je le rencontre. Ce bel. Ce beau. Ce terrible abandon. J’espère en pleurer. J’espère qu’il me foudroiera dans le plus profond de mon être. Que j’en serai marqué au fer rouge. Que des semaines passant, je n’aurais plus le goût de rien. Que des mois par la suite, j’aurais peur. Je flipperais que cela arrive à nouveau. Aaaaaaaaah. Ca va être bien de vivre cette épreuve. Ca va être une vrai expérience. Pas un simple moment. Un vrai instant atroce pour le soi. Qui dure, et qui dure encore. Que l’on n’efface pas avec de la volonté. Vivement, cet abandon indélébile.

Certains, beaucoup plutôt, m’ont félicité à l’arrivée et par la suite. « Bravo quand même ». « 70 km sur une fracture.. WOUUUUAHouuuu ». Ne m’en voulez pas. Mais je déteste cela. Un bravo, c’est quand on réussit pour moi. Des félicitations dans l’échec, c’est dire à la maitresse de maison qui a complètement raté une cuisson « Huuuum. Je me régale. ». Même si ce n’est pas volontaire de la part de certains, c’est totalement hypocrite. Et de l’hypocrisie, on ne se nourrit en rien. C’est un placebo que de se contenter de félicitations dans un échec. Un échec doit rester un échec. Et on ne doit pas l’encourager, le féliciter. On doit le pointer du point. Le gratter. Le mettre en avant. Si on veut vraiment en ressortir quelques choses par la suite. Accepter ces bravos, c’est se voiler la face. 

Km 123. Après avoir retapé l’orteil dans un rocher. Impossible de poser le pied par terre. C’est fini. Je viens de comprendre la différence immense entre un trouble et une évidence.

 

10. Chamonix : DisneyLand du Trail. 

Ok. L’UTMB. C’est l’UTMB. Comme je le disais dans l’introduction, L’UTMB est au centre d’une déformation créer par sa propre masse. D’accord, on est heureux d’y être. Certes c’est un graal. Tout à fait, il y a des personnes du monde entier. Et c’est un peu troublant la première fois qu’on vient. Comme la première fois qu’on rentre dans un parc à thème.

Oui. J’aime l’UTMB. Oui. J’ai déjà envie d’y retourner. Mais, franchement, entre nous, j’ai trouvé l’atmosphère personnellement très décevante. Je ne sais pas si c’est l’habitude d’une troisième année sur Chamonix en période d’UTMB. Mais sincèrement, c’était fade. Enfin, pas fade. Mais les artifices ne font plus effets. J’ai l’impression que l’autour de la course crée en moi une sensation de dédain. C’est peu être du snobisme de presque élite. Sur beaucoup de course, en regardant les membres du peloton, je suis heureux pour eux. Mais sur l’UTMB, l’humeur générale me pousse à ne plus aimer cela. J’ai l’impression que tout le monde veut sa part d’UTMB. Une volonté égoïste. Aucun partage. L’univers du « moi je » entre deux montagnes.

J’ai l’impression d’être un poisson d’eau douce qu’on plongerait dans un aquarium d’eau de mer. L’atmosphère de cette eau salée m’irrite. Les crevettes gravitent, se laissant balancer par les courants. Les crustacés s’enferment dans leurs coquilles, gardant un oeil sur l’extérieur. Quelques requins naviguent nonchalamment. C’est leur droit. Mais par contre, les 8000 personnes autour qui regardent l’aquarium. Ca non. Ca ce n’est pas supportable. Non monsieur. On ne touche pas les parois de l’aquarium pour que les poissons bougent. Non monsieur. On ne lance pas des pronostics sur de potentiels vainqueurs par ce que les médias les ont mis en avant. Non monsieur. On ne considère pas cet aquarium comme un spectacle payant dont vous avez acheté toutes les places au premier rang.

Ce sentiment est difficile à décrire pour moi. Mais j’ai l’impression que participer à l’UTMB. C’est un peu comme être un animal sauvage et gratter à la porte d’un Zoo pour s’y faire enfermer. Jusqu’à là, pas de problème. C’est un choix. Mais par contre, se taper les visiteurs qui jettent des cacahuètes, et des avis non discernés ce n’est pas acceptable. Sur la diagonale, j’avais vraiment vécu une sensation de fête et de respect. Là c’est plutôt : « Venez voir les débiles »… « Oh regarde celui-là, il a une tenue toute rouge »… « Je suis sûr qu’il va pas finir celui-là »…. C’est très certainement un ressenti de vieux con. Mais c’est le ressenti que j’ai eu. Le public est devenu plus important que les coureurs. Je pense même que l’organisation met plus de choses en oeuvre pour l’accompagnement, que pour les coureurs. Nous sommes peut être en train d’oublier qu’une course c’est avant tout des coureurs. J’ai beaucoup de respect pour l’épreuve, pour les personnes qui font que c’est possible. Mais nous sommes en train de tomber dans la construction d’un rendez-vous annuel, qui ne se révolutionne pas, qui perd un peu en saveur. A trop vouloir contenter tout le monde.. A trop vouloir donner sa part du gâteau à chacun… Ce gâteau devient fade.

J’espère que ce n’était qu’une sensation momentanée. Je crois vraiment que la perte de valeurs n’est pas une chute irrattrapable. Remettre au centre : la performance, le respect du dépassement de soit. Remettre au centre les coureurs n’est pas impossible. Peut-être faudrait-il éviter que l’UTMB ne devienne un salon du trail, un disneyland du trail autour d’une course. La course doit être remis en avant. Les supporters doivent rester à leur place. Les commentateurs peuvent commenter, mais je les remercierai de ne pas affirmer.

Quand en partant de Chamonix, je me suis dit que cela me donnait envies de montre un ultra qui me correspond plus. Plus dans le système D. Plus orienté autour du coureur. C’est que cela ne sent pas bon. Je reviendrai bien sur. Car je suis faible, et que la course me fait encore rêver. Par contre, s’agissant de l’évènement. De ces « à côté ». Pitié. Ralentissez sur la présence des marques. Ralentissez sur les lancements de produits. Ralentissez sur les produits dérivés. Ce que les gens aiment dans les kermesses. Ce sont les moments forts de celle-ci. Les « à-côté » ne sont que des parasites. Pas du tout des services supplémentaires ajoutant du gout.

 

11. TOP 50. Envisageable. 

Tout le monde ne peut pas habiter la place du village. Je l’ai toujours su. Je ne m’imagine tout de même pas pouvoir approcher d’un Top 30. Pouvoir approcher de quelques heures les premiers. Mais franchement, un top 50 c’est prenable.

Sur les 50 kilomètres avant la fracture. Et même sur les 70 km suivants. J’ai pu voir qu’avec ma préparation. 100 miles, en courant et marchant rapidement. Sans pause. C’est possible. Cela me confirme une chose. Que ma méthode d’entrainement.. avec un peu de volume OK. tout au feeling et sans trop de dénivelé. Ca le permet. J’ai bien en tête que la descente, ce n’est toujours pas ça. Mais j’arrive maintenant à assez économiser mes jambes pour en avoir sur les derniers tiers de course.

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Sortie de ravito – UTMB – Copyright ?

Je repars de zéro pour les inscriptions à l’UTMB. C’est reparti pour un cycle de trois ans logiquement. Mais j’ai presque déjà en tête l’objectif que je me fixerai : Entre 25 et 27 h. Je pense que c’est faisable. Vraiment. Avec une préparation un peu plus adaptée. Sans bien évidemment l’aléa blessure. Et en bossant à fond sur la technicité et sur les descentes.

Cet échec m’a rappelé qu’on est pas éternel. Si j’arrive à revenir, cela sera pour performer. Si je reviens, on va enlever quelques temps la notion de plaisir tout le temps, pour y mettre de la rigueur, de la sueur, du travail et toujours autant d’envie.

 

Place à la rééducation. 

Bon. Tu prends un chêne centenaire. Tu peux mettre tout l’engrais que tu veux. Il faudra toujours 100 ans. Voilà où j’en suis. Ma fracture me met à l’arrêt total pendant 6 semaines au minimum selon les médecins.

J’ai une volonté totale de tenter de revenir. D’abord à la course à pied. Par la suite à mon niveau. Je sais que cela va prendre du temps. Beaucoup plus de temps, certainement, que ce que je pense actuellement d’ailleurs. Mais, je vais tout mettre de mon côté pour y arriver. Mon protocole médical sera ma nouvelle ligne de conduite. Tant qu’un médecin, voir plusieurs, ne m’auront pas dit (et prouvé) que c’est totalement impossible. Que je ne pourrais jamais revenir à mon niveau. Alors j’y croirai.

Je pense que cette expérience va être follement intéressante. Quand je me lançais dans le trail, et surtout dans mes premiers ultra ; je me demandais vraiment : Est ce que c’est possible de le faire ? Maintenant, l’épreuve est différente. La question aussi : Est ce que c’est possible de revenir ? – J’espère le prouver. Me le prouver !

Au niveau planning. C’est simple. J’annule l’Impérial Trail (mi sept) – L’Ecotrail de WickLow en Ireland (fin sept) et la Diagonale des fous (mi oct). J’espère avoir le droit, et la possibilité physique de reprendre doucement courant octobre. Si cela est possible, je tenterai alors de me préparer sur novembre afin de pouvoir m’aligner sur la Lyon SaintéLyon (153 km) fin novembre/début décembre. Avec l’ambition de la gagne totalement abandonnée, mais simplement le besoin d’en finir pour me sentir vivant à nouveau.