Le Grand Trail des Templiers – 76.2 km / 3514 m D+ – Le récit de Casquette Verte.

Lorsqu’on se lance dans le Grand Trail des Templiers, la tendance est de repousser toutes limites. Une épreuve physique et mentale.. un vrai challenge gavé à la motivation.. un défis à relever à tout prix.. une aventure dont l’essence est incertitude. Lorsqu’on se lance dans ce trail, chaque foulée est audacieuse, chaque respiration est arrogante, chaque instant s’appelle courage. Je ne savais pas que c’était impossible.. alors je l’ai fait.

Réveil Samedi matin – @Saint Mandé – 06 h 30 : 

Toutes mes affaires sont prêtes depuis hier soir. Comme l’écolier préparant son cartable, j’ai attentivement vérifié chaque matériel. Mes gommes, mes stylos, mon compas. Tout est là.

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Départ de Paris. Direction Millau – 07 h 30 : 

Mon collègue avec qui je vais courir passe me chercher. Il a 10 minutes d’avance sur notre heure de rendez-vous. A croire qu’il est impatient. Je monte dans la voiture. « On est parti ? » me lance-t-il alors. « C’est parti.. Grand Trail des Templiers à nous deux ! Prépares toi ! ».

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Voilà trois semaines, que chaque instant est devenu une opportunité de penser à la course. La route est donc un grand instant. On réfléchit tout d’abord à notre état physique. Personnellement, j’ai une grosse toux depuis maintenant 10 jours. Je continue à tousser dans la voiture. Le paysage défile, les mouchoirs aussi. Mes jambes sont reposées. Je n’ai pas couru depuis une semaine. Le démarrage ne sera pas dur. Mais aurais-je un peu de dynamisme. Deux jours de Malto ont eu raison de mon KO énergétique. Je me sens plutôt en forme. Cela me rassure un peu. Clignotant à droite. Tip Tap Tip Tap. Petit stop sur l’aire de Malto.

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La route est longue. Cela permet aux craintes d’émerger.. d’être exprimées. « Tu vois ce qui me fait le plus peur c’est… » « J’espère que mes douleurs récentes ne vont pas ressurgir… » « La dernière fois, j’avais vraiment du mal à m’alimenter..Est-ce que cela va être pareil ? ». Le doute me hante. Les affres de la peur sont en moi. Il faut conjurer le sort. Parler, c’est tout d’abord se rassurer. Parler, c’est dire : je connais cette peur. Je connais ce doux ennemi. Le connaitre, c’est le combattre. Le combattre c’est vaincre sa peur.

La route est longue. Lorsque tout à coup.. au loin.. apparaissent des reliefs qui seront bientôt à parcourir. Mon collègue me glisse un « Voilà ! C’est ici .. C’est ici le terrain de jeu de demain ». Je ressens une timidité. On m’a tellement parlé de ces monts. On me les a tant dessinés. Je connais ces formes, je ne suis pas surpris. Ils sont maintenant face à moi. Je n’ai plus qu’à franchir le pas. Cela me rappelle toutes ces fois, où l’on m’a parlé d’une nana. Où j’ai pu épier son Facebook, me renseigner sur elle. Et un soir, au bord du comptoir, je la croise. Elle ne me connait pas. J’ai le sentiment de déjà la connaitre. Il est tant de briser la glace. « Bonsoir.. Tu ne me connais pas.. On m’a énormément parlé de toi..  ton prénom c’est Causse Noir c’est ça ? »

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Récupération du dossard – @Festival des Templiers – 15 h 30 : 

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Mon arrogance m’a poussé à porter une écharpe du PSG. (Dimanche c’est PSG/OM). A l’entrée du salon, deux vigiles. L’un des deux, accent du sud est aux lèvres me lance : « Booooonjour mooonsieur.. C’est une écharpe de Paaaaaris ça ?! Ca va pas être possible.. au con. » Génial. La réaction que j’attendais s’est produite. Si j’ai aussi bien anticipé ma course, que cette réaction, tout va bien se passer. Un sourire. Une tape dans la main. Je rentre dans le salon. Au comptoir, je tend mon ID et mon certificat médical. « Alexandre.. Dossard 2029.. Tenez.. ». Merci madame. Bon courage à vous. Douce sensation de faire partie d’une tribu. La tribu des templiers. Le salon est plutôt sympa. Les exposants ne vous sautent pas dessus c’est agréable. Nous récupérons les cadeaux Kalenji. Une veste sans manche.. plutôt sympa. Un Buff aux couleurs des Templiers.. parfait. Une casquette noire..  Traitre ! Je n’ai qu’une casquette.. et elle est VERTE !

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Soir d’avant course – Pâtes et rigolades – 22 h : 

Bizarrement, je ne suis pas stressé. Je n’ai pas peur. Je me dis que de toutes manières, cela ne sert à rien. Peur ou pas, demain il faudra courir. Nous avalons un plat de pâtes. Pas de places pour la gastronomie. Je me suis fait plaisir en avalant un Ricard à l’apéro. Maintenant c’est glucide et au dodo !

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Pour détendre l’atmosphère, nous rions de la course.. de notre folie.. de notre condition. Nous étions deux enfants perdus pour la raison. Nous étions devenu deux trailers contre notre monde. Petit trailer, je riais dans le salon. Rigolant contre la peur, rêvant d’une course beaucoup moins chiante.. A ce moment là, je le savais déjà, rire était essentiel. Rire pour oublier que ça va être dur. Rire pour se voiler la face. Rire pour que la peur ne prenne pas le dessus.

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Réveil matinal – Départ pour le Grand Trail – 04 h 01 : 

Réveil matin. 04 h. Je me réveille comme une fleur (ou pas). Casquette verte dans le brouillard à besoin d’un tasse de thé. Je l’avale. La théine fait doucement son effet. Dans ma tête je suis prêt. Pourtant je n’ai pas l’impression qu’aujourd’hui je vais courir entre 13 et 17 heures. J’aimerais prévenir mon corps : « Tu sais mon gars.. Aujourd’hui je compte sur toi.. Je vais t’en faire baver.. Tu vas clairement en chier.. mais interdiction de me lâcher ! ».

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Arrivée sur le parking – 05 H 45 : 

Je remplis mes bidons d’eau. Dans très exactement 15 minutes cela va commencer. Je ne suis pas du tout, mais alors du tout dedans. J’aurais aimé qu’un néon rouge clignote devant mes yeux pour signifier à mon corps qu’il faut rentrer dedans. C’est la première fois que je ne ressens aucune excitation. Je n’ai toujours pas compris pourquoi. Serais-ce la peur qui inhibe mes sens ? Ou serait-ce mon ego qui rassure mes muscles ? En tout cas, je n’ai jamais été aussi  proche et aussi éloigné de me lancer dans un Grand Trail des Templiers..

Au loin, la musique des templiers retentit. Nous nous glissons dans le SAS de départ. Two minutes to go. Pas le temps de se mettre dans l’ambiance. Je prends un snap. 10. Je range mon téléphone. 9. 8. Je remets mon sac en place. 7. 6. 5. Je regarde mon collègue. 4. Je fais le con devant la GoPro. 3. Je me dis un gros ALLER MON GARS !. 2. Je regarde mes pieds. 1. Je sers les poings. 0.

Au passage de l’arche, les trailers lancent leurs montres. C’est un concert de Biiiiiiips qui assourdit la musique des templiers. Des flambeaux rouges sont allumés. Le départ est vraiment cool. Dommage qu’après 400 mètres cela soit silence radio. C’est toujours 400 mètres de gagner.. à penser à autres choses.

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Copyright : Instagram @DavidGonthier

Trois premiers kilomètres : 

C’est roulant. Le bruit assourdissant des sacs pleins qui frottent sur les coupes-vents nous met dans l’ambiance. Je fais attention à mes pieds. Beaucoup de coureurs ont mal attaché leur bardas. Des bidons, des bâtons et autres matériels tombent. Les propriétaires s’arrêtent net. Il faut être vigilant. Cela serait vraiment trop con de se blesser maintenant.

Côté sensation. Elles sont bonnes. Je sors à peine de mon lit. Je baille encore de temps en temps. Mes jambes tournent bien. Pas de petites douleurs annonciatrices de grands moments de solitude plus tard. Tout va bien. Je souris.

Première ascension en direction de Carbassas : 

Nous sommes tous à la Queue-leu-leu. Cela bouchonne un peu, mais au moins on ne s’arrête pas. Le rythme est plutôt bon. Je sens déjà qu’il y a un niveau de plus sur cette course par rapport aux trails que j’ai déjà fait. Autour de moi, la moyenne d’âge est plutôt entre 35 et 50 ans. Je cherche des jeunes de mon âge. Lui peu-être ? Lui ? Elle ? Non. Définitivement, les jeunes sont soit devant, soit absents.

Dans la montée assez raide, tout à coup, une frontale quitte le chemin au loin coupant un champ verticalement. C’est en fait une trailleuse prise par une envie présente. Alors que les hommes ne se gênent pas pour pisser sur le bas côté à la vue de tous; les trailleuses sont obligées de s’aventurer plus loin dans les sous bois. Cette scène est amusante. 200 bonhommes montent un chemin de montagne dans la nuit frontale en tête. Un champ vertical au dessus; et une petite lumière dans la forêt. La pauvre. Elle a du faire un effort de plus pour simplement pisser. Elle se relève et redescend dans le champ vertical, risquant de se blesser. Je lance un applaudissement repris de suite par les 200 personnes ayant assisté à la scène. J’espère que cela la fait sourire. J’adore ces moments lors des trails. Ces moments où l’on arrête de penser à la course. Où l’on rit ensemble de l’absurdité de notre condition. Rien que pour cela, je ne m’arrêterai jamais.

La première montée s’est bien passée. Je suis dans la queue de la course. 2043 ème. Maintenant c’est un faux plat sur 10 kilomètres puis une belle descente sur Peyreleau. Mon objectif est de faire avancer mon collègue le plus vite possible sur les parties où nous pouvons gagner du temps. Je veux absolument qu’il passe la barrière horaire du dernier ravito.

J’ai beaucoup réfléchi ces dernières semaines à ma stratégie pour le faire avancer. Je ne pense pas que courir à son rythme soit la bonne solution. De manière non voulue, il pourrait en profiter et ralentir. Ma tactique est donc de toujours être devant lui, comme une ligne de mire afin qu’il se pense toujours en retard. Ca va le faire chier grave, mais je pense que cela peut marcher. Je commence donc. Devant lui. J’accélère tranquillement. Je fais tourner les jambes. Je le mets sous tension. Lorsque je suis trop loin, qu’il ne peut plus me voir distinctement je ralentie et l’attends, sans jamais m’arrêter à son niveau. Toujours devant.  C’est partie pour 55 bornes de yoyo. J’espère ne pas m’épuiser de trop en faisant cela.

Première descente sur Peyreleau :

Doubler est impossible. Le monotrace et surtout le précipice sur notre gauche ne le permet pas. Je pense que si l’on veut courir dans cette partie, il faut vraiment être dans les 400 premiers.

Le paysage est magnifique. Le gouffre sur notre gauche donne du relief à nos impressions. Cette image restera gravée longtemps. Un pas de trop sur la gauche et c’est la chute mortelle. Je me concentre sur mes pieds. Fait pas le con.

En relevant les yeux, je vois de gros oiseaux tournoyer dans le ciel. Ils s’approchent. Ils sont vraiment gros ces oiseaux. Je plonge dans un tunnel d’arbres, et en ressortant ils sont encore plus près. Ils sont encore plus gros. Les mêmes que sur le logo des Templiers. Mais oui. Je sais. Ce sont des VAUTOURS. Tout va bien. Je cours pépouze et des vautours tournent au dessus de ma tête. C’est magnifique. « Surtout.. Ne pas faire le mort.. On sait jamais ! ».

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Copyright : Geneanet.org

J’accélère un peu pour pouvoir m’arrêter. Les vautours virevoltent dans le ciel. Ils passent nous dire bonjour. Ils doivent trouver notre activité étonnante. « Que font-donc tous ces bêtes à deux pattes courant dans nos belles montagnes ? Ne sont-ils pas fous ? .. en tout cas, si il y en a un qui se plante dans le ravin, cela sonnera l’heure du petit-déjeuner.. ». Le ravito est proche. J’accélère sur la fin de la descente et je salue la caméra. Je suis 2170ème.

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Montée du ravin de Malbouche puis tranquille jusqu’à St André de Vézines :

Nous restons peu de temps au ravito. Je force mon collègue à partir rapidement. Pour cela, je le guide dès son arrivée vers le point d’eau et vers une table proche de la sortie. Je sais qu’il a tendance à prendre son temps lorsque l’on s’arrête. Pas d’arrêt = pas de temps perdu. Ma tactique fonctionne. Il ne râle pas trop.

La montée qui suit est rude. Le rythme est soutenu. En haut, j’accélère à nouveau. C’est reparti pour une séance ce yoyo. Le mur des 30 kilomètres accentue les revendications de mon collègue. Peu importe. Nous avançons bien. Nous doublons une centaine de personnes. Cela fonctionne donc je ne m’arrête pas. Je commence à me poser la question de mon épuisement. Ces phases de courses et de ralentissements vont-elles m’être fatales plus tard ?

Le paysage est magnifique, mon esprit commence à divaguer. Les couleurs des arbres me rappellent le Canada. Des beaux jaunes, des magnifiques rouges et des cuivrés scintillant. C’est l’été indien sur le causse noir Kaou cha cha cha !

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Copyright : Instagram @Kilik95

De St André de Vézines à La Roque Saint Marguerite : 

On déroule plutôt pas mal sur cette section. Nous avons gagné près de 100 places en prenant peu de temps au ravito. Mon collègue semble plutôt OK. On avance. Dans ma tête je suis en train de me décider. Après Pierrefiche, il y a trois montées dans le Larzac. Je tiens mon collègue jusqu’à la dernière des trois et je le largue.

Le décor est super. On traverse le magnifique petit village moyenageux de Montméjean à flanc de montagne. C’est sûr, ici c’est bel et bien la route des Templiers. J’adore certaine vue et perspective. On court, et tout en avançant on voit au loin d’autres coureurs qui sont sur le flanc en face. L’impression de participer à une course est là.

700 mètres avant La Roque, mon corps m’exige un test. Je me mets à sprinter. Les jambes répondent. Pendant un instant j’ai l’impression de ressentir ce que Killian Jornet ressent lorsqu’il lâche le lion dans les descentes. Les ruelles du village sont pleines de supporters. Cela me motive à encore accélérer. Mes reprises dans les tournants du petit village sont assez impressionnantes. Les supporters applaudissent. Tout se passe à merveille. C’est très cool.

Remontée jusqu’à Pierrefiche – Kilomètre 44 – 07 h 15 min de course :

Sans le savoir, je suis à la moitié de ma course par rapport au chronomètre. Reste encore un peu plus de 07 heures d’efforts.

En traversant le petit pont juste à la sortie du village, nous faisons un point sur nos états de forme respectifs. « Ca va toi ? ».

Nous attaquons une montée difficile. Pour la première fois, j’ai l’impression de puiser dans mon énergie. J’avais préparé le coup. J’avais préparé ma stratégie dite du « Saucisson à mi-montée ». Cette tactique est assez simple. J’ai dans mon sac trois fois 5 bâtonnets de saucissons. Je dis à mon cerveau que je n’ai pas le droit de les entamer avant d’être à la moitié. Cela me fixe un premier objectif. A mi-montée, je sors mes bâtonnets entourés de cellophane. C’est chiant à ouvrir. Parfait cela fait passer le temps. J’avale les saucissons. Reste alors toute la fin de la montée pour décoincer les bouts de gras. Bon, Ok. C’est pas classe. C’est pas iso14001 mais ça fonctionne bien.

 Pierrefiche et 10 km de yoyo : 

Comme avant chaque ravito, pour me rassurer, je me lance dans un sprint. Le ravito est plutôt sympa. En attendant mon collègue, je demande des informations sur l’avant de la course. C’est Miguel Heras qui a gagné. Bravo champion ! Moi j’en suis à plus de 8 heures de courses. 1800 coureurs sont devant moi. Il me reste trente bornes. Et toi tu as fini depuis une heure et quart. Le monde est injuste.

Nous quittons Pierrefiche. La séance de yoyo commence à me taper sur les nerfs, mais je tiens. Il ne me reste plus que 10 kilomètres à tenir dans ce faux rythme. Dans la première montée après le ravito je m’occupe en calculant nos temps de passage et nos délais par rapport aux barrières horaires. Marty, si nous restons avec ce rythme cela devrait le faire pour mon collègue. C’est pas le moment de fléchir. Je vais pouvoir le lâcher sans remords.

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La montée difficile vers le kilomètre 55 m’indique mon état de forme. Je commence à devoir mettre les mains sur les cuisses en montée. Je ne suis pas inquiet c’est assez normal à ce moment de la course. Et puis il ne reste qu’un semi-marathon.

Après cette rude ascension et jusqu’au kilomètre 58 j’accélère un peu. La stratégie du yoyo commence à s’épuiser. Sans trop m’en rendre compte, j’ai fait un trou avec mon collègue. J’en profite pour faire quelques photos.

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En 20 minutes de descente je pense lui avoir pris 5 minutes. Je m’arrête alors en bas de la dernière montée avant de le lâcher. Il n’arrive pas. J’attends. J’attends. 5 minutes passent.. 10 minutes aussi.. En fait je lui est pris 15 minutes. Il est temps de le larguer.

Dans cette dernière montée à deux, je vérifie mes calculs. S’il ne s’arrête pas trop entre le 60ème kilomètre et Massebiau il devrait passer 10 à 15 minutes avant la dernière barrière horaire.

Kilomètre 60 – Ma course commence. 

Je conseille à mon collègue de pas trop trainer quand même. Une tape dans la main et c’est parti. Je lâche le fauve. Je suis autour de la 1800ème place à ce moment là.

Je sprint sur la plateau. Même dans les montées je cours. Cela me permet de doubler beaucoup de coureurs. En bas de la descente vers Massebiau, le chemin est mono-trace. Je découvre un beau passage dans la boue et sur les cailloux glissants. Pas de temps à perdre derrière les plus prudents. Je double. A l’arrache. Mais je double.

L’arrivée sur Massebiau est goudronnée. J’accélère encore plus. Un vrai sprint. Mon corps répond présent. Cela fait plaisir de pouvoir envoyer du lourd après 11 h 30 et 65 kilomètres de course. Un bénévole me voyant débouler comme un dingue me crie « Calmes-toi.. Gardes de l’énergie.. Tu es 30 minutes au dessous de la barrière horaire ! ». Je m’en tape. J’accélère d’autant plus. Ma relance devant lui est presque arrogante. J’aime ça.

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Copyright : Instagram @Aurel73

Juste avant le ravitaillement, nous traversons un pont. Celui-ci me rappelle le pont des espions dans le dernier film de Spielberg. C’est magnifique. Sur le pont personne. Au bout il y a la foule qui entoure un petit S formé par le tracé. J’accélère encore. La foule crie. J’ai l’impression d’être beau et fort en courant. Mon ego est ravi. J’entends des supporters « Eeeet Beeen Puuuuuutin ! Il a la pêche celui là ! » « Vas-y.. Tu vas rattraper les premiers » « Après 65 bornes c’est dingue ! Il court vachement bien ». Mon ego est ravi. Moi aussi.

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Montée vers le Cade. 

A Massebiau, je m’arrête seulement pour remplir mes bidons d’eau et je repars directement dans la montée vers le Cade. Ce sont 500 mètres verticaux qui m’attendent. Je suis 1668ème. Il est 17 h 45.

Les 200 premiers mètres à la sortie du ravito annonce la couleur. Tout droit et vertical. Je m’occupe en sortant de mon sac des gels pour la montée et des bonbons Dragibus. Faire autre chose que courir m’évite de penser à la difficulté que je rencontre.

J’entame la montée sur un chemin monotrace. Je me suis mis dans les mollets d’un trailleur à bâton. Il a un bon rythme. Nous croisons deux bonnes dizaines de coureurs arrêtés, allongés dans les fourrés bordant le chemin. Ils semblent vides. KO.

Au bout de 10 minutes de montée, mon esprit divague complètement. Je ne suis plus dans ma course. Soudain, mon corps dit stop. Plus d’énergie. C’est le KO. C’est la première fois que cela m’arrive. Je n’ai plus aucune force pour avancer. Je tente de tenir les pas du trailer devant moi. Cela dure 30 secondes. Je décide de m’arrêter. C’est difficile mentalement. C’est la toute première fois que je suis obligé de m’arrêter. Je m’assoie sur un rocher. Je contemple la vue pour mieux reprendre mes esprits. La lumière en moi s’est éteinte. Les dernières lueurs du soleil ravivent peu à peu ma flamme. Je n’arrive plus à me parler à moi même. Je me force. Au bout d’une grosse minute qui semble avoir duré une heure, je reprends vie. Je re-né. Un trailer passant me lance un « Aller petit. Tiens bon ! ». Cette simple phrase me motive. Je reprends le chemin. Je suis reparti. Le nez dans ses mollets. Nous sympathisons. Nous parlons d’autres choses. C’est un homme de 50/55 ans très expérimenté (UTMB – UT4M – etc.). Il est là pour le plaisir. Un peu plus tard dans la montée, je me sens plus en forme. Je lui propose de prendre un relai. Je passe devant. Cette fois, c’est moi qui le fait avancer. Sur les derniers mètres de la montée, je le remercie. J’ai vraiment l’impression que pour la première fois de ma vie, je suis allé au bout de moi même.

En haut de la montée et jusqu’au ravito, je relance en courant. L’homme qui m’a accompagné me dit « Vas-y petit ! » tout en me voyant m’éloigner.

Ravito – Le Cade – 12 h 40 min de course – 69 km : 

J’ai repris exactement 100 coureurs sur la montée. Je suis maintenant 1568ème.

Les dernières lueurs du jour laisse apparaitre au loin une superbe petite maison en pierre dans un clairière. Je pense que c’est une ancienne bergerie vu la forme du bâtiment. En tout cas, j’ai l’impression d’être dans un roman fantastique et que se sont des nains et des Leprechauns verts qui vont m’accueillir. Oui. Je suis devenu complètement fou.

En arrivant sur le ravito, un bénévole de 65/70 ans, barbe blanche et grands yeux bleus m’accueille avec un sourire bienveillant. Il s’occupe véritablement de moi. Presque une assistance personnalisée. Il me prend les bidons dans le dos, les remplis tout en me parlant. Sa voix douce et son tempo de parole lent sont réconfortants. « Alors là, petit. Il te reste 7 km. Une descente difficile et très technique.. Attention à toi.. puis une montée dangereuse.. Gardes bien le rythme. Tu ne pourras pas trop t’arrêter dans cette partie. Après une fois que tu es en haut du Puncho d’Agast.. Ca glisse jusqu’à la fin. Bon courage petit bonhomme ! ». Merci monsieur. Vous n’imaginez pas à quel point j’avais besoin qu’une personne comme vous s’occupe de moi.

Petit point sur les ravitos pendant toute la course : 

Les gros plus pour moi : Un accès à l’eau rapide. Des grandes tables pour l’alimentation permettant aux trailers de ne pas trop se bousculer. Du trèèèèèès bon roquefort. 

Le petit moins pour moi : La qualité de la nourriture. Pas de charcuterie. 

Après trois minutes passées au ravitaillement, je repars. J’ai simplement pris le temps d’enfiler ma frontale car on commence à plus voir grand chose. Dans ma main gauche un verre de St Yorre, dans ma main droite un verre de Cola. Je marche assez rapidement pour avancer, mais assez lentement pour finir ces deux verres. Un ravito rapide et parfait !

Je relance mon sprint. Les mecs que je double paraissent un peu étonnés. Je rattrape rapidement un peloton dans la descente technique du CAF. Doubler est impossible à cet endroit. La descente fait mal. Je retiens plusieurs fois une femme devant moi. Ses cuisses sont tétanisées. Je la fais rire. Trailleuse qui rit.. à moitié dans son lit ? Non je crois pas. Mais ça fait du bien d’aider les autres dans la difficulté.

Dernière montée sur le nez rocheux de la Puncho d’Agast – Km 73 – 13 h 30 de course :

Dans cette dernière difficulté ascendante de la course, les éléments commencent à se déchainer. Le vent s’est levé. A gauche, le vide. Autour de nous la nuit et la vue sur Millau et son pont. C’est magnifique. Les rafales de vent soulèvent du sable et de la poussière. J’ai  l’impression d’être un homme seul face à la nature. C’est l’instant animal de ma course.

Le groupe dans lequel je me trouve avance bien. Tous mes partenaires disposent de bâtons. Cela semble bien les aider pour avancer. Personnellement, je ne me vois pas du tout courir avec ces objets encombrants. Entre deux esquives de coups de bâtons du trailer me précédant, je regarde le beau paysage. Je profite pleinement de la fin de ma course.

La dernière difficulté de la montée est un raidillon vertical sur le Puncho d’Agast. En gros, c’est une montée tout droit dans les cailloux. Un pur bonheur. Même de jour et pas après 14 heures de course je pense que ce passage est difficile. Là c’est l’enfer, mais j’adore.

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Copyright : Salomon Running Facebook Vidéo

Dernière descente : 

Pour celui qui n’a jamais couru un 70 km avec du dénivelé, il est facile de croire que la montée est plus dure que la descente. Et bien c’est COMPLETEMENT FAUX. En descente les cuisses, les mollets, les chevilles brulent. Surtout après des dizaines de kilomètres. Je souffre beaucoup dans cette descente. Les grandes marches sont difficiles à passer et le terrain en dévert’ est particulièrement glissant. Je commence à en avoir un peu marre. Je me casse d’ailleurs la gueule dans le petit gouffre sur ma gauche en voulant m’arrêter pisser. Première chute de la journée. Il en fallait bien une.

Je rejoins finalement la Grotte dit du Hibou. Là un enfant assis sur un rocher sert des verres de Cola. Je le remercie et lui dit  » Tu es mon sauveur ! ». Je demande le nombre de kilomètres prècis avant l’arrivée à ce qui semble être sa maman. Elle me répond « Vous ne vous énervez pas si je vous dis la vérité ?! ». Moi : « Il y a pas de risques ». Elle : « Deux kilomètres exactement.. ». Moi : »Au top ! C’est que du bonheur alors. Bonne soirée. » Je repars.

Je descends sur 500 mètres assez tranquillement. Puis à 1.5 kilomètres de l’arrivée. Je me mets à sprinter. Me voyant, un autre trailer dit « Allez, tu as raison.. j’ai envie que ça se finisse vite.. ».

Nous commençons à doubler pas mal de coureurs. Je lui propose qu’on se tire la bourre jusqu’à l’arrivée. Il accepte. Nous sprintons. Mes jambes sont là. Aucune douleur en courant vite.

A 500 mètres de l’arrivée nous déboulons comme deux fusées dans le chemin entouré par la foule. Le commentateur au micro qui nous voit arriver annonce dans le micro « Houuuuulaaa.. Il y a deux bons dingos là ! ». Nous sprintons comme des fous. La foule nous acclame. Que c’est bon. Dans le dernier virage sur la droite, je relance très fort et double dans les 80 derniers mètres mon ami de fin de course. Sous l’arche d’arrivée, je lance mon traditionnel 360°. Et voilà c’est fait. Je suis un templier 😀

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C’est fini.. C’est fait.. 14 heures 38 minutes et 19 secondes – 76.2 km – 3514 D+ – 

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Je ne pense pas revenir l’an prochain pour cause de CCC, ni l’année suivante pour cause de Diagonale des fous… Mais une chose est sûre.. Je reviendrai ! Je reviendrai maintenant que je sais.. je sais que le vrai trésor, le vrai graal des templiers : c’est le Grand trail des Templiers !

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